Adamou Ndam Njoya, président de l’Udc et député-maire: “Les choses vont changer en 2004”

Par | Le Messager
- 29-Sep-2003 - 08h30   66222                      
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Adamou Ndam Njoya a signé récemment avec le chairman Ni John Fru Ndi du Sdf une alliance en vue de la présidentielle de 2004. De passage à Douala le 17 septembre dernier, le député-maire de Foumban a honoré Le Messager d’une visite de courtoisie. Les journalistes ont vite fait de saisir cette opportunité pour s’entretenir avec lui sur les tenants et les aboutissants de l’alliance signée entre le Sdf et l’Udc, sur la gestion du pays, les chances de l’opposition à la prochaine échéance électorale, le rôle de l’opposition à l’Assemblée nationale, son regard sur l’école camerounaise aujourd’hui.
Son passage à la tête du ministère de l’Education nationale sous le régime d’Ahmadou Ahidjo a fait d’Adamou Ndam Njoya une personnalité atypique. Aujourd’hui président de l’Union démocratique du Cameroun (Udc) dont il est le chef de file à l’Assemblée nationale, il est aussi maire de la ville de Foumban. Adamou Ndam Njoya a signé récemment avec le chairman Ni John Fru Ndi du Sdf une alliance en vue de la présidentielle de 2004. De passage à Douala le 17 septembre dernier, le député-maire de Foumban a honoré Le Messager d’une visite de courtoisie. Les journalistes ont vite fait de saisir cette opportunité pour s’entretenir avec lui sur les tenants et les aboutissants de l’alliance signée entre le Sdf et l’Udc, sur la gestion du pays, les chances de l’opposition à la prochaine échéance électorale, le rôle de l’opposition à l’Assemblée nationale, son regard sur l’école camerounaise aujourd’hui. Commençons par l’actualité: vous venez de signer une alliance avec le Sdf dans la perspective de l’élection présidentielle 2004. Pouvez-vous en préciser les contours? Depuis 1990 nous menons les réflexions dans ce pays pour créer un nouveau cadre. Mais nous nous sommes rendus compte jusqu’ici que depuis 1990 il y a un certain égoïsme qui a prévalu, avec des conséquences sur l’évolution institutionnelle de notre pays, et sur les conditions de vie des Camerounais. Depuis cette époque, je me suis encore plus rapproché du chairman du Sdf, Ni John Fru Ndi que je connaissais bien avant. Les épreuves que nous avons connues depuis les années 90- 91-93 et les réalités que nous vivons dans nos communes, à l’Assemblée nationale, nous ont conduit à dire qu’il faut faire quelque chose, qu’on ne mette plus une personne comme objectif, mais un programme et une équipe pour la diriger ; car on ne peut réussir qu’en équipe et en respectant une certaine éthique. Je crois que c’est tout cela qui sous-tend ce que nous sommes en train de mettre sur pied à la lumière des expériences et des limites que nous avons connues. On a l’impression que vous voulez limiter cette alliance aux partis politiques représentés à l’Assemblée nationale même si l’Upc et l’Undp n’y figurent pas ! Pas du tout. Même si la déclaration a été mûrie par les deux partis, elle est ouverte à tous les autres partis. Je dois dire qu’à l’heure où nous parlons il y a certains partis qui ont les mêmes préoccupations, qui ont compris la nécessité de se réunir autour d’un programme qui réponde aux aspirations des Camerounais sur le plan politique, social, culturel, économique et formulent les solutions aux questions qui se posent ; et pour que ce programme soit réalisé par une équipe c’est-à-dire sans plus mettre l’accent sur l’idée d’un parti politique. A l’heure où je vous parle nous avons eu des rencontres avec d’autres partis, et les réflexions sont avancées en ce qui concerne le programme. Vous répondez encore au titre Excellence. Quelle fonction vous confère ce titre d’abord, et ensuite, vous avez été ministre sous Ahidjo et vous connaissez bien Biya : quelle différence faites-vous entre les deux hommes. Je suis diplomate, et j’ai été ministre des Affaires étrangères. C’est peut-être à ce titre qu’on m’appelle Excellence. Actuellement, je suis ministre plénipotentiaire de classe exceptionnelle dans le corps des diplomates, j’ai été enseignant à l’université, j’ai formé les diplomates, c’est moi-même qui ai créé l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric). Ceci étant, Biya ou Ahidjo c’est la même chose. C’est peut-être étonnant, mais c’est la même chose. Je dois dire que mon mariage n’a jamais été total avec le premier et il n’a jamais existé avec le deuxième. Il n’était pas total avec Ahidjo parce que quand j’ai parlé de la nouvelle éthique, ça n’avait rien à voir avec l’Unc, c’était quelque chose de révolutionnaire à l’époque, ça mettait en cause les principes mêmes du parti unique. Dans le cas du Renouveau, je n’y suis jamais allé. Quand je quittais les fonctions ministérielles, je suis allé à l’Inspection d’Etat, et l’importance que revêt ce département m’a inspiré un document sur la rigueur et la moralisation dans la gestion. J’ai quitté le gouvernement en janvier 1982 et en novembre Ahidjo a démissionné. Biya est devenu président. J’ai seulement été heureux de constater qu’il s’est inspiré de mon document pour écrire son livre. Je lui ai écrit pour dire que je serais très content si ça marche. Il m’a répondu et on s’est arrêté là. Quelle serait votre réaction si on décidait aujourd’hui de fédérer les forces négligées depuis 20 ans pour mettre en œuvre cette politique fondatrice du Renouveau, et souscririez-vous aujourd’hui à un gouvernement de transition pour la préparation de l’élection de 2004 ? Ce qui nous préoccupe à l’Udc, ce qui nous a amené à signer cette alliance ce n’est pas de former ou d’entrer dans un gouvernement. L’objectif est de mettre sur pied des institutions démocratiques, de créer des conditions de développement démocratique. Quant à la première question l’heure n’est plus à cela. Il y a une expérience que nous avons vécue. Les réalités sont là, en ce qui concerne notre situation économique, la santé et l’éducation des Camerounais, le poids qui pèse sur nos paysans. Un gouvernement de transition pour faire quoi ? Ce serait entraîner encore les Camerounais sur un chemin sans issue et éviter qu’ils ne se prononcent sur l’essentiel. Le véritable problème maintenant c’est de voir ce qu’il y a lieu de faire, Comment? Qui doit le faire? Face aux difficultés réelles que connaît notre pays, on avait reçu plus de 217 milliards de francs sur les fonds Ppte qui devaient être dépensés jusqu’au mois de juillet. Mais à cette date on n’a dépensé que 10 milliards. On peut prendre d’autres exemples : en ce qui concerne la coopération avec l’Union européenne, la coopération bilatérale… en ce qui concerne notre action. Voyez ce qui s’est passé à Cancun (où s’est tenu le sommet de l’Omc ndlr). Les “pauvres” réunis ont pu faire échec aux “riches” réunis. Nous devons prendre conscience de cela. Depuis près de six mois le gouvernement muselle systématiquement la presse au Cameroun: suspension de titres, interdiction des télévisions, incarcération de journalistes, étouffement de radio privées. Et jusqu’ici les partis politiques n’ont pas officiellement levé le petit doigt. Pensez-vous que vous pouvez faire sans une presse libre ? Ce volet communication-média constitue l’un des points les plus importants dans le cadre du programme que nous sommes en train d’élaborer. Il y a un certain nombre de stratégies et d’actions que nous entendons mener en ce qui concerne cette libre expression qui doit prévaloir, que ce soit au niveau de la presse écrite ou de la presse orale. Isolés, les différents partis, n’ont peut-être pas pu se prononcer, dérouler des actions pour mettre fin à cela, mais nous sommes en train d’élaborer une stratégie. Les tribus semblent occuper une place essentielle dans les votes. N’avez-vous pas l’impression d’être l’otage d’une tribu, en l’occurrence les Bamouns ? Non, je dépasse le cadre du Bamoun à travers ce que j’ai fait et ce que je représente pour les Camerounais. Les jeunes peut-être ne le savent pas par manque de communication. Je ne peux pas être prisonnier des Bamouns. Ce n’est pas vrai, ce sont des éléments qui ont été développés à des fins politiques. D’ailleurs ils n’ont pas réussi, parce que étant dans ce cadre-là, cela constitue une forme de laboratoire de gestion. Pour gagner les élections dans le Noun ce n’est pas donné. A l’époque où nous avons gagné les élections dans le Noun il y avait le chef de sécurité le plus terrible du Cameroun qui était là, il y a le sultan le plus fort du Cameroun qui était là; il y avait toute l’administration et tout l’argent de la République qui étaient là, et nous avons gagné. Ce qui a permis d’ailleurs de donner une autre image aux Bamoun. Ceci étant cela nous a permis d’expérimenter une autre façon de gérer. A l’heure actuelle, il y a un programme qui intéresse 5 villes au Cameroun et c’est grâce à ces élections; parce qu’ils nous ont élu, nous avons eu des communes, on est à l’Assemblée nationale, ce qui nous a amené à mener une politique qui peut être appliquée maintenant dans toute la République. Elle permet à ces villes de bénéficier d’un programme d’appui au capacité décentralisées de l’Union européenne. Ce programme s’appelle Pacdue, et après les élections de 96, nous avons entrepri des négociations avec l’Ue. Comme maire, et comme président de l’Union des communes et villes du Cameroun, qui est née dans des circonstances particulières. C’était la première grande victoire de l’opposition contre le pouvoir établi de l’Etat parti unique. On a dit non à l’association des maires reconnue par le gouvernement avec un bureau fabriqué. On a dit non et on a fait notre union contre la volonté du gouvernement, on a réussi. Je disais donc que dans le cadre de cette union nous avons entrepris des négociations, et j’ai réussi à obtenir que 5 villes (Bafoussam, Bamenda, Ngaoundéré, Maroua, Foumban) bénéficient de ce qu’on appelle coopération décentralisée. Cette coopération est intéressante à plus d’un titre, parce qu’on assiste véritablement à cette coopération dont les moyens financiers ne passent pas par l’Etat, le pouvoir central, mais vont directement aux populations, où les populations sont directement associés, dans la mesure où il y a un comité local de concertation qui est mis sur pied, avec la participation des différents représentants des quartiers, associations, Ong. Et ces Ong ou associations qui participent au développement présentent des projets qui reçoivent des financements directs pour des réalisations dans tous les domaines. Et ceci est intéressant non seulement au niveau institutionnel c’est-à-dire la gestion de la commune, mais elle permet de développer une démocratie réelle à la base. Dans le cadre de l’alliance que faites-vous pour attirer les autres partis qui vous soupçonnent d’égoïsme dans votre cadre et ensuite que faites-vous de la formation des masses à la culture politique notamment en ce qui concerne l’inscription sur les listes électorales ? Pour la deuxième question, vous savez que si les électeurs ne s’inscrivent pas ce n’est pas parce qu’ils ne s’intéressent plus à la politique ou que les partis ne font rien. Les acteurs des inscriptions que sont les sous-préfets ont tout fait pour les fausser. Quand vous réussissez même à vous inscrire, on vous dit après qu’il n’y a pas votre carte d’électeur. Et c’est à dessein, parce que après ils vont préparer des listes électorales fictives pour truquer les élections. Je dois dire que dans un Etat de droit, l’inscription sur les listes électorales est l’une des premières missions de ceux qui gouvernent. Parce que dès qu’un enfant naît aujourd’hui, on doit savoir que dans 18, 19 ou 20 ans, il doit voter ; et son nom doit figurer quelque part. Ceux qui se déplacent d’un point à l’autre doivent être suivis pour être inscris là où ils se trouvent. C’est parce que notre administration ne fonctionne pas que rien n’est fait dans ce sens. Les ressources humaines, je le répète ne sont pas bien gérées, et cela est fait à dessein. Si tout est fait selon les normes, il y aurait des élections transparentes, libres et démocratiques. Et c’est à cela que nous voulons arriver. Ceci étant, nous avons signé une alliance, et chacun est libre de dire ce qu’il en pense, et ceux qui disent des choses nous les comprenons. Peut-être qu’ils ont choisi leur camp ; peut-être qu’ils sont alliés au gouvernement. Mais que personne ne se trompe de temps. Nous ne sommes plus en 1992, nous sommes en 2003, à la veille de 2004. Et on n’a pas dormi pendant ce temps. On s’est battu, on continue à se battre malgré les pires difficultés que nous rencontrons et nous disons qu’en 2004 ce sera différent, ce ne sera plus la même chose que par le passé. Même le pouvoir en est conscient. Votre alliance avec le Sdf, n’est-ce pas pour effrayer M. Biya pour qu’il ne se présente pas ? Qu’il se présente ou qu’il ne se présente pas, nous allons pour gagner, et on va gagner. En 2004 on va gouverner ce pays, ce ne sera plus la même chose. On ne doute pas, nous avons cette foi, nous travaillons dans ce sens-là. Etes-vous prêt à soutenir le candidat unique s’il n’est pas Ndam Njoya, et quel critère avez-vous pour dégager ce candidat qui est le gage de votre victoire ? Quand on s’engage, ce peut-être moi, ou une autre personne, mais nous sommes engagés pour quelque chose. On ne s’est pas engagé pour une personne, on s’est engagé pour une cause. C’est pour cela que nous disons qu’on ne va pas se laisser distraire par ceux qui vont brandir que Ndam est concurrent de Fru Ndi, Fru Ndi est concurrent de Ndam, etc. Nous nous employons à fond pour l’instant, afin de sortir un programme, une équipe digne de ce pays ; et puis le moment venu on verra celui qui va animer cette équipe. Et en ce qui me concerne personnellement, je serai très heureux d’avoir pu contribuer à mettre sur pied un programme digne. Nous ne voyons pas le poste, nous voyons maintenant le Cameroun. Et beaucoup de leaders politiques et responsables de la société civile pensent la même chose. Nous avons discuté avec Etéki du Front des forces alternatives et les autres. Nous verrons ce qu’on va faire ensemble. Depuis deux législatures vous êtes à l’A.N. Avez-vous l’impression d’avoir changé quelque chose à l’intérieur ? Nous nous battions hier dans la rue. Maintenant on est à un autre niveau. On est à l’Assemblée pour continuer cette bataille. On a déjà fait un certain nombre de propositions de loi, même si elles n’ont pas été retenues, elles ont contribué à faire avancer le débat, à créer l’Onel par exemple. Et même jusque-là nous continuons de dire que ce n’est pas ce que les Camerounais veulent. Sur des questions de budget, économie, nous avons inquiété certains ministres par des commissions d’enquêtes ; mais ce n’est pas là l’essentiel. Nous nous sommes rendus compte des limites de nos institutions. La loi fondamentale qui est la constitution donne tous les pouvoirs au chef de l’Etat, rien au parlement. L’article 2 de la constitution dit que le pouvoir de l’Etat est exercé par le président de la République et le parlement. Cela veut dire qu’il y a une séparation et une complémentarité. Mais il se trouve que le président de la République, par des dispositions réglementaires prend tous les pouvoirs. Quand on est à l’extérieur on ne s’en rend pas compte ; et cela nous amène encore à agir comme force de changement. Pensez-vous qu’à ce jour, M. Biya a encore des capacités physiques et intellectuelles pour se représenter à la magistrature suprême ? Il y a longtemps que je ne l’ai pas vu personnellement face à face. La première fois que je l’ai rencontré on était dans le gouvernement du président Ahidjo, et la dernière fois que je l’ai rencontré, je me souviens c’était en 1985 ou 86 à l’aéroport de New York. Je me trouvais à New York parce que j’étais parmi les 17 experts intergouvernementaux chargés de la réforme des Nations unies. Alors l’ambassadeur m’a dit que le président est en visite, qu’il faut absolument qu’on aille le saluer. On est allé, je l’ai salué, et on s’est séparé. Peut-être que si je serre sa main aujourd’hui je saurai s’il est… (rire). En tant qu’ancien ministre d’Education : Que pensez-vous de la répétition des épreuves aux examens officiels tous les 2 ou 3 ans ? Le véritable problème, et cela est valable pour toute l’administration, c’est que les gens ne font pas leur travail, ils n’ont pas de conscience. Le travail de fond ne les préoccupe pas et c’est là le défi. Les fonctionnaires de l’éducation comme ceux de tous les autres secteurs arrivent au bureau à 10h, regardent un peu et ressortent. Personne ne fait son travail. Si les gens faisaient correctement leur travail, ils se rendraient compte qu’ils étaient en train de proposer les mêmes épreuves dans un laps de temps anormalement court. Quel regard portez-vous sur cette rentrée scolaire ? Cette rentrée est aussi difficile que les autres dans la mesure où dans certains villages, on voit qu’il n’y a pas de salles de classes, il y a des toitures qui se sont envolées, il n’y a pas de bancs, il n’y a pas d’enseignant. Au lycée technique de Foumban, il manque 20 professeurs. L’année passée on a muté 17 sans les remplacer, on en a encore enlevé cette année. Au lycée bilingue il n’y a pas de professeurs. Ce n’est pas normal. Ailleurs ce doit être pareil. Difficile aussi parce que les enseignants ne trouvent pas leur compte. On ne pense pas à eux comme des citoyens. Et moi je dis que les enseignants sont des citoyens de première classe. S’il y a des avantages à donner, c’est à eux d’abord. Vos enfants, où font-ils leurs études? Au Cameroun pour ceux qui ont l’âge scolaire. Quel regard sur l’école au Cameroun ? Le système éducatif doit répondre à ce qu’on est en droit d’attendre de l’école. Qu’est-ce que l’école ? C’est un espace d’harmonie entre les enfants et les enseignants à tous les niveaux. L’enfant grandit, il a des choses dans la tête. L’enseignant vient pour ordonner cela, et les examens sont là pour tester s’il les a bien ordonnées. L’enseignant n’est pas là pour matraquer les enfants. On n’a pas créé cette harmonie, les gens sont tellement préoccupés par les intérêts égoïstes qu’ils ne réfléchissent pas sur cela. On est comme si on était des otages, des colons, on fait comme si ce n’était pas des Camerounais. C’est nous qui devons nous imposer et créer quelque chose de très fort pour partager avec les autres. Cela manque au Cameroun aujourd’hui.




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