Annexion: Comment le Nigeria a occupé Darak

Par Thierry Ngogang | Mutations
Yaoundé - 11-Sep-2003 - 08h30   57260                      
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L’histoire sécrète de l’invasion des îles Darak: Comment des Camerounais ont permis l'occupation nigériane en 1987.
Les membres de la commission mixte des Nations Unies chargée de la démarcation des frontières qui doivent se rendre les 29 et 30 septembre prochains dans la zone du Lac Tchad auront fort à faire. Au delà des infernales mouches (le jour) et les essaims de moustiques (la nuit), ils devront en plus subir les mauvaises conditions de routes qui rendent l’accès à cette zone de 475 Km2 véritablement infernal. Et pourtant, en dépit de ces difficultés, les arrondissements de Hilé Alifa et Makary (situés à environ 140 km de Kousseri) et autres sont extrêmement riches. Au delà du Lac Tchad, dont ils dépendent tous et qui leur fournit une abondante quantité de poissons, la zone est extrêmement fertile. Selon les propres aveux de Ali Adjit, député du Logone et Chari et de monsieur Maguira, maire de Hilé Alifa, le sol est extrêmement fertile et presque tout y pousse. Et cela est effectivement confirmé par les nombreux champs de maïs, manioc, patates, bananes, haricots et autres que l’on peut par exemple observer tout au long des 50 km qui séparent Fotokol (située à la frontière avec le Nigéria) de Makary, Hilé Alifa, Toroya, Darak, Mada ou encore Bargaram. La rétrocession prochaine au Cameroun de certains villages actuellement occupés par les forces nigérianes comble de joie le maire de Hilé Alifa qui prévoit par exemple que, grâce aux échanges qui s’y effectueront, sa commune verra son actuel budget de 85 millions de francs Cfa au moins multiplié par 10. Et c’est justement toute cette abondance qui a été (et continue d’être) la cause des problèmes des populations camerounaises, à majorité Arabes Choas, vivant à proximité du Lac Tchad. Selon des informations recueillies sur place, à l’époque, Ali Salé, le sultan de Makary était le principal souverain de cette zone reculée. Chef traditionnel d’une région située au carrefour de trois pays (Cameroun, Nigeria, Tchad), son influence lui permettait de prélever d’importantes taxes sur tout ce qui avait trait au commerce ou au transit sur son «territoire». Pour ne citer que quelques exemples de l’importance économiques de cette zone, les riverains estiment que 17 à 20 camions de 10 tonnes chacun, chargés de poissons, transitaient chaque jour par l’arrondissement de Makary. Autour des années 80, seul le village situé sur l’île de Darak existait. Or, avec le recul du Lac Tchad, pour des raisons de baisse de la pluviométrie, les populations riveraines ont effectué des migrations en créant de nouveaux villages pour se rapprocher du nouvel emplacement des eaux. Au fil du temps, le sultan de Makary a perdu la mainmise sur ces populations qui ont acquis leur autonomie. Tensions Pour essayer de garder le contrôle de ce juteux trafic, associé à Woubri Ramat, le chef du village Katikimé I, ayant fait fortune comme lui dans le prélèvement des taxes, le sultan de Makary a noué une alliance avec l’époux d’une de ses sœurs qui était le Laouan (chef traditionnel) du village de Woulogo, situé en terre nigériane. En 1983, en complicité avec ce dernier et grâce au laxisme de l’administration camerounaise, ils auraient dans un premier temps placé un certain Garba issu du village de Woulogo (donc de nationalité nigériane) à la tête du village de Darak. Dans un second temps, Woubri Ramat, en aurait profité pour créer un embarcadère reliant son village de Katikime I au Nigeria afin de faciliter ses transactions commerciales avec le village de Woulogo. Fort de tous ces éléments, cumulés à l’omniprésence du naïra, les populations nigérianes se sont répandues à Darak et dans toutes les îles camerounaises environnantes afin de les surexploiter. En 1987, les soldats d’Abuja viendront tout simplement annexer tous ces villages. Bien évidemment, ils en ont profité pour chasser tous les chefs légitimes afin d’installer leurs compatriotes. Ces chefs ont dû précipitamment se réfugier avec leurs familles dans les villages encore contrôlés par les autorités camerounaises. L’arrêt rendu par la Cour internationale de justice de la Haye le 10 octobre 2002, qui délimite définitivement la frontière entre les deux pays, a suscité d’autres appétits du côté camerounais. Le lancement officiel de ces actes de boulimies s’est déroulé le 17 août dernier lorsque, au cours d’une visite inopinée, Amadou Ali, le ministre d’Etat chargé de la justice, a réuni les chefs de troisième degré de la zone pour leur révéler que le Nigeria allait se retirer de certains villages d’ici la fin de l’année. Quelques jours plus tard, à la tête d’une délégation d’une quarantaine de personnes, le général Semengue a effectué une tournée dans le but d’expliquer le retrait aux camerounais et de rassurer les ressortissants nigérians. Aussitôt, mus par les enjeux financiers véritablement important qui se chiffrent en dizaine de milliards de Francs Cfa, des batailles pour le contrôle des villages à rétrocéder ont recommencé. Alors que, comme le prévoit les autorités administratives, le chef Béri Adoum (héritier de Mahamat Assalé, fondateur du village de Darak) doit légitimement retrouver son poste, Woubri Ramat souhaite en profiter pour y faire installer son frère cadet Tom Ramat. Il projette le même dessein pour le village de Socotram où il espère faire installer Moussa Ramat, un autre de ses frères. Comme on pouvait le prévoir, cette tendance à la vénalité n’est pas du tout appréciée par les populations locales qui se disent êtres prêtes à l’irréparable, si les règles de succession ne sont pas respectées.




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