Belles-lettres: De l’au-delà, Kotto Bass expose ses bourreaux

Par Adeline TCHOUAKAK | Le Messager
- 09-Jan-2013 - 08h30   68647                      
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L’ouvrage que sa nièce a rendu public le 20 novembre 2012, date anniversaire de son décès, est le fruit d’un entretien mystérieux avec son oncle. Révélations inédites sur les vraies causes de son décès.

Kotto Bass
Photo: © Archives
« Comme un oiseau en plein envol »… Accrocheur. Le livre l’est. L’on ne se lasse pas de le lire. De la 1ère à la 188ème page. « Comme un oiseau en plein envol » est le titre retenu par l’auteur, Danielle Eyango et la maison d’édition, les Editions du Protocole. Un simple vers de poème à priori. La première phrase inscrite dans la note de l’auteur suffit pourtant à embastiller le lecteur : « tout commence par un rêve ». Un songe qui s’est fit réalité et plus tard un roman à son issu. « Ceci n’est pas l’histoire de Kotto Bass, ceci est l’histoire d’un mort qui ne veut pas mourir », précise-t-elle. Avant de conclure, «Ceci est l’histoire de tonton Vieux réécrite par lui-même ». De quoi faire frémir n’importe quelle sensibilité qui, retournant son livre quelques pages en arrière, découvre à la première de couverture cet artiste de Makossa mythique tenu à la fenêtre avec sa fidèle canne à son aisselle. Le visage noirci sur un sourire forcé, il regarde une colombe blanche vomissant du sang sur sa guitare basse.
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Kotto Bass: Maman Scandale
VIDEO: © Kotto Bass
La trame du livre est bien dévoilée. Qui a tué Kotto Bass, qu’est-ce qui s’est passé cette fameuse nuit du 19 au 20 novembre 1996 où l’artiste a brutalement passé l’arme à gauche ? Danielle Eyango ne s’y jette pas aussitôt. Elle introduit d’abord le lecteur dans la famille de « Tonton Vieux » comme elle l’appelle affectueusement. Une famille déchirée et émiettée par la haine, la jalousie et les égos. Le choix des mots et le style d’écriture chargé d’emphase et de métaphore en disent long sur cette atmosphère particulièrement polluée. Morceaux choix : « l’oiseau noire » « pathétique liane courbée » « mocheté » « malingre » « nausée », « lapsus de nature », « laideron » « sorcière », « blocage mystique » « assassin », « nauséabonde grossesse », « bébé perfide et cruel » etc. Deux grands clans existaient dans cette famille si ça en est une. Celui constitué de « mater » (Sa grand-mère et mère de Kotto Bass) et de ses autres enfants parmi lesquels Ruth Kotto et d’un autre, Chantal (la mère de l’auteure et sœur aînée de l’artiste), Kotto Bass et elle. Chantal avait d’ailleurs été traînée devant le tribunal pour répondre des faits de meurtre après le décès du bassiste. « Mater » l’accusait d’avoir vendu son fils dans la sorcellerie pour s’enrichir davantage. Et pourtant…
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Kotto Bass: J'aime tout le monde
VIDEO: © Kotto Bass
Poison à la braise Quatre ans après son décès, la vérité éclate. Kotto Bass en l’an 2000, le révèle en songe à sa nièce. En lui intimant l’ordre d’écrire tout ce qu’il lui dit. La causette d’outre-tombe durera plus d’une décennie. De 2000 à 2011. C’est Carole, la petite amie de Kotto Bass qui l’avait précipitamment poussé à la tombe, révèle Danielle Eyango. Celle-ci craignait que son amant qui se déplaçait pour une tournée en Europe dès ce 20 novembre 1996 ne l’oubli dans la ferveur de la célébrité. « Comme tu es devenu célèbre, tu veux me plaquer, n’est-ce pas ? Tu veux me plaquer, n’est-ce pas ? Toutes celles qui te tournent autour étaient où quand tu trimais ? Qui osait même regarder un pauvre infirme comme toi ? Tu oublies ce que Pa Gaston (le marabout Ndlr) t’a dit ? Que sans moi, tu n’es rien…maintenant que tu aperçois déjà le bout du tunnel, tu veux me jeter ? Tu es malade ! Ça ne se passera pas comme ça ! Tu ne me connais pas Kotto ! Cette maison va pleurer le sang !… », avait menacé Carole quelques jours avant le décès de son « amour » de star. Les rapports du médecin légiste et les témoignages des personnes qui avaient amené Kotto Bass chez sa petite avaient confirmé l’assassinat. Et les révélations d’outre-tombe de Kotto Bass aussi. Carole avait à en croire l’auteure, dissimulé du poison dans du poisson à la braise.
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Kotto Bass: Edith
VIDEO: © Kotto Bass
En marge de cette vérité fracassante, Danielle Eyango estime que son « Tonton vieux » à travers ses visites, l’a guérie de cette haine qu’elle avait héritée de sa famille et lui a confié son héritage musical, ce fameux cahier comportant son répertoire qu’il avait enterré dans un coin de la cour de la maison Quelques jours avant son décès. Une disparition prédit par le défunt Eboa Lottin. Adeline TCHOUAKAK Danielle Eyango: «J’espère que ce livre servira à réconcilier ma famille» L’auteure du Roman donne quelques précisions sur des interrogations que suscite le livre. Quels objectifs recherchiez-vous en révélant 16 ans après, les causes du décès de Kotto Bass? Il est important pour moi de situer ou de préciser comment nait ce roman, qui est une thérapie, et dont l'objectif principal (surtout pour tonton Vieux) est de me guérir. Les révélations sur les causes de sa mort ne sont que collatérales, elles ne sont aucunement l'objectif principal de ce roman. Suite à son décès brutal le 20 Novembre 1996, j'ai alors 14 ans. Grandit en moi sans que j'en sois consciente une haine réelle vis-à-vis de certains membres de ma famille et d'autres personnes. L’objectif pour lui n'est pas du tout de révéler au public comment il est mort, ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel c'est cette souffrance qu'il voit en moi et dont il veut me débarrasser, comme il le dira lui-même lors de ses visites "tu es malade...tu es à l'agonie seulement tu ne le sais pas...".les causes de son décès ne sont pas tellement des révélations, parce qu'il y a eu un procès pénal basé sur des rapports d'autopsie et des témoignages: le roman met juste "dans un roman" si je puis me permettre la répétition, les soubassements de la procédure judiciaire publique qui ont suivi sa mort. Procédure qui a été d'ailleurs pendant quelque temps relayée par la presse à l'époque. Ce n'est donc pas tant une révélation, simplement peut-être le Camerounais lamda ne le savait pas. Est-ce qu'il est possible pour vous de donner des preuves matérielles de ces visites en songe? Quand on vit une expérience pareille, on comprend que l'essentiel ce n'est pas d'en apporter des preuves, de créer des confrontations pour en faire une sorte de campagne ou de propagande politique. Non. Ce serait regrettable, parce qu'on n'aurait rien compris, parce qu'alors tonton Vieux (Kotto Bass) serait revenu pour rien. Ce qui est important pour le lecteur qu'il y croit ou pas, c'est le fruit qui en découle, la leçon de vie qu'il pourrait en tirer. Ne vous focalisez pas sur les songes de manière avide, cherchant à savoir ou revendiquant les preuves de la réalité d'une vérité (car tout le monde a un jour rêvé d'un être cher) qui sans cesse nous bluffe. Focalisez-vous sur ce que cette expérience, que vous y croyez ou pas, vous enseigne: Que l'amour doit l'emporter sur la haine, car la haine fait de nous des prisonniers, et une fois libérés de cette haine, nous pouvons nous envoler, comme des oiseaux; que la mort n'arrête pas l'amour et que nous devons continuer d'aimer ceux qui sont partis car notre oubli est pour eux une deuxième mort, et que la ténacité d'un môme-serpent brinquebalant de trois ans, a réussi à elle seule à faire de lui une icône de tout un pays, sans que pour autant il eut besoin d'avoir les mains sales... On comprend en lisant que vous avez souffert de la division de votre famille, est-ce que ce n'est pas un règlement de compte à ceux qui ont torturé votre mère ? Je n'ai pas vécu cette expérience comme un règlement de compte, tel n'était pas mon état d'esprit. Cependant, je comprends que le lecteur puisse le prendre ainsi. Ma mère en a bavé, c'est vrai et c'est justement cela qui crée en moi cette rancune et cette haine, et c'est encore justement pour cela que tonton Vieux revient. Pour m'en libérer. Parce qu'il ne veut pas que je vive ainsi, dans cette spirale de haine et de vengeance. Pour qu'il puisse m'en guérir, il faut que ça sorte, il faut qu'il me pousse à parler, il faut qu'il me pousse à écrire. Car, ce serait alors non seulement sortir cela du plus profond de mon cœur, mais aussi et d’abord me faire prendre conscience de ce qui grandit en moi, de ce que je suis en train de devenir: une enfant dont le cœur est déjà vieux d'aigreur et d'amertume. Non, ce roman n'est pas un règlement de comptes, ce sont les crachats de sang d'une enfant qui vomit enfin telles qu'elles sont, les blessures qui infectaient son cœur, c'est la libération d'une enfant qui peut redevenir telle qu'elle est au fond d'elle-même, c'est-à-dire, une enfant. Vous dites aussi que votre Oncle vous a guéri, comment vous sentez-vous maintenant? Apaisée, et sereine. On ne peut vaincre un ennemi qu'on ne connait pas et la haine est un ennemi puissant pour peu qu'on refuse de la regarder bien en face. J'ai pris conscience de mon coté noir, je l'ai accepté, grâce à tonton Vieux, j'ai maintenant le dessus sur lui. La haine ne me domine plus. Je suis guérie. Je me sens calme malgré les tempêtes. Qu'allez-vous faire de ce fameux cahier appartenant à Kotto Bass que vous avez déterré dans la cour familiale ? Si vous le permettez, Adeline, l'avenir de ce cahier restera strictement entre tonton Vieux et moi... Quel commentaire faites-vous de la mauvaise appréciation de Ruth Kotto du livre ? J'aurais aimé être étonnée, mais je ne le suis pas. C'est dommage. J'aurais tellement aimé être étonnée, déroutée... pour une fois. Ma guérison doit s'étendre à chaque membre de la famille, sa réaction prouve au moins déjà qu'il y a secousse. C'est bien quand on remue le couteau dans la plaie, c'est parfois pour que le pu en sorte. Avec le temps, ce roman nous emmènera peut-être à nous asseoir autour d'une table, pour parler cartes sur table et nous pardonner les uns les autres, comme des adultes. Parce qu'à un moment, il faut grandir. Entretien avec Adeline TCHOUAKAK




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