Bilinguisme: Le fulfuldé à la place de l’anglais

Par | Le Messager
- 01-Feb-2008 - 08h30   58740                      
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La journée nationale du bilinguisme se célèbre aujourd’hui, 1er février 2008. Mais dans certaines régions du pays, le bilinguisme officiel (français/anglais) semble boycotté. C’est le cas de l’Extrême-Nord où les populations préfèrent le fulfuldé à l’anglais.
L’anglais n’est pas la chose la mieux partagée dans la province de l’Extrême-Nord où la langue officielle dominante reste le français. Ce constat a été fait de nouveau le lundi 28 janvier, date du lancement de la semaine du bilinguisme, à la salle de réunion de l’Ecole normale d’instituteurs de l’enseignement général (Enieg) de Maroua. L’hymne national (entonné en anglais) a été proprement malmené. "C’est le Cameroun qui est bilingue et non les Camerounais. Même le français dépasse les élèves combien de fois l’anglais", relève ironiquement un enseignant. Dans le discours de lancement du délégué provincial des Enseignements secondaires, une infime partie a été rédigée en anglais. Abakaka Moussa a servi (en anglais) à l’assistance des phrases détachées, le tout dans une lecture saccadée et émouvante. A l’analyse, la semaine du bilinguisme dans la province de l’Extrême-Nord se réduit aux activités sportives, tables rondes, activités culturelles et autres ripailles pendant cinq jours. Les activités pédagogiques devant être déployées en permanence sont reléguées au second plan. Même si l’inspecteur pédagogique provincial chargé de la promotion du bilinguisme n’en est pas convaincu. "La province compte 16 écoles primaires bilingues de 4700 élèves et 30 écoles maternelles bilingues de 256 élèves. Le tout encadré par 122 instituteurs. Chaque département dispose d’un établissement scolaire bilingue en plus de l’existence du centre de ressources bilingue de Maroua. C’est le signe de notre souci de la promotion du bilinguisme", déclare-t-il. Toutefois, le quota d’heures allouées à la langue de Shakespeare dans les emplois du temps sont infimes. Seulement 5 heures de cours par semaine au Lycée classique et moderne de Maroua. Par ailleurs, “ comment voulez-vous que les élèves soient bilingues lorsque ces derniers fuient les cours. D’abord qu’ils ont de la peine à s’exprimer en français. Ils préfèrent le fufuldé à tout. Bien sûr que le bilinguisme n’est pas l’affaire de tous les Camerounais, mais le cas de l’Extrême Nord est grave", se plaint un enseignant de langue anglaise au Lycée de Domayo -Maroua. La préférence des citoyens de l’Extrême-Nord, voire de toute la partie septentrionale du pays pour le fufuldé, langue véhiculaire plutôt populaire, repose le problème du multilinguisme au Cameroun et, partant, de l’appropriation d’une ou de plusieurs langues nationales comme langue officielle à côté des langues coloniales importées. Il est peut-être temps, face à la résistance des peuples du Cameroun à se voir imposer certaines langues, d’envisager comment prendre en compte les réalités linguistiques locales pour réinventer une pédagogie fonctionnelle de pénétration des langues officielles. Mais pour le moment, on est bien obligé de constater que c’est encore le rejet de l’anglais dans certaines régions du pays, comme à Maroua. Ce qui suscite des critiques d’observateurs avertis. Hassana Bouba, un parent d’élèves croit savoir qu’il n’existe d’établissement bilingue public que de nom à Maroua : "C’est deux blocs séparés. On enseigne en anglais dans l’un et en français dans l’autre. Cela ne promeut pas le bilinguisme". La proportion d’enseignants de langue anglaise dans l’Extrême-Nord est l’une des plus faibles du pays. Les écoles primaires ne disposent presque pas d’enseignant dans cette matière. "C’est chaque maître qui donne le cours d’anglais aux élèves. Ce n’est qu’au secondaire qu’ils peuvent véritablement connaître ce que c’est que l’anglais", confie Kolwé Alexis, enseignant à l’école privée catholique de Mokong. Jacques KALDAOUSSA

Au-delà des langues: Le bilinguisme, une culture marquée*

Subséquemment à la simple pratique de la langue, le bilinguisme officiel au Cameroun devrait déboucher sur une culture originale, synthèse des savoirs, savoir-faire et savoir-vivre camerounais, français et anglo-saxons. Par bilinguisme, nous entendons l’usage de nos deux langues officielles, le français et l’anglais, sur toute l’étendue du territoire. ” Ainsi s’exprimait Ahmadou Ahidjo, alors président de la République du Cameroun, dans son discours d’inauguration du Lycée bilingue de Buéa en 1963. Aux premières heures de la réunification, on n’avait du bilinguisme qu’une politique centrée sur la pratique des deux langues pour faciliter la communication entre anglophones et francophones. C’est pourquoi les exégètes d’Ahidjo affirmaient à l’époque que le bilinguisme “ implique les notions d’acquisition et de degré de la maîtrise des langues, et peut signifier l’apprentissage simultané de deux langues du fait de leur usage dans l’environnement immédiat de l’enfant (famille ou société) ” Mais au fur et à mesure que la République évoluait, l’idée d’un bilinguisme qui va au-delà de la pratique de la langue s’est affinée pour finalement s’affirmer dans la 2e moitié des années 70. C’est ainsi qu’à la faveur de l’inauguration du Lycée bilingue de Yaoundé le 24 juin 1977, M. Ahidjo avait clairement présenté et expliqué d’une manière définitive l’orientation et les fondements du bilinguisme officiel. “ Avec l’institution de l’Etat unitaire, affirmait-il, nous avons inscrit au fronton de la Constitution le bilinguisme et le pluriculturalisme comme éléments irréductibles de la nouvelle République de manière à engager des actions plus vigoureuses devant conduire à une plus grande pénétration du bilinguisme dans les habitudes et au modelage d’une culture nationale originale. ” Une orientation pertinente Convaincu de la pertinence de cette orientation, William Eteki Mboumoua, ancien ministre de l’Education nationale et ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (Oua) estimait alors que “ le Cameroun doit devenir le creuset où, nourries de la flamme de notre foi et des cultures anglo-saxonne et française, les éminentes valeurs physiques, intellectuelles et morales de nos races fondront et fusionneront. ” Dans son ouvrage Pour le libéralisme communautaire, Paul Biya exprime aussi à sa façon cette idée du dépassement de l’aspect langue pour intégrer dans la politique nationale du bilinguisme, l’aspect culture. “ Le bilinguisme devra, écrit-il, recevoir une impulsion permanente tant pour faciliter encore davantage la communication entre les Camerounais de toutes origines linguistiques que pour renforcer l’identité culturelle de notre pays dans le monde. ” On est donc loin, très loin de la conception première qui voudrait que le bilinguisme soit simplement la maîtrise des deux langues ; il est aussi une assimilation des cultures dont ces langues sont l’expression. Concrètement, l’élève qui est soumis à l’apprentissage dans les 2 sous-systèmes scolaires apprend non seulement à faire usage des deux langues, mais aussi des cultures française et anglo-saxonne dont la fusion produit de façon dialectique une culture qui n’est ni francophone ni anglophone. Cette nouvelle culture n’est non plus la somme des 2 cultures initiales, mais une troisième dont l’élément caractéristique n’appartiendrait ni à l’un, ni à l’autre. C’est ce que le président Ahidjo appelait une “ culture originale ”. Telle était la grande ambition du Cameroun à la fin des années 70. Manque de suivi Mais cette intention a été professée sans que des moyens adéquats ne soient déployés pour réaliser l’ambition. Et l’évolution de l’Education nationale est venue en rajouter un peu à la confusion en créant des lois et règlements qui sont loin de remplir les attentes. Lors des états généraux de l’Education en mai 95, la question avait été largement débattue. On attendait que la loi d’orientation de l’Education, partant du constat d’échec établi, ouvre une brèche dans le sens de la compénétration des deux sous-systèmes de sorte que l’apprenant soit initié dès la base et qu’à l’issue de la formation le système produise un citoyen modèle capable d’exprimer l’originalité camerounaise. Hélas, la loi d’orientation du 14 avril 1998 est restée rigide en perpétuant le cloisonnement des deux sous-systèmes. Ce qui fait que la note de l’inspecteur général de pédagogie chargé de la promotion du bilinguisme demandant d’encourager les “ modèles de Molyko ” (Buéa) et “ Saint Kisito ” (Maroua) – ce sont des modèles véritablement bilingues – semble déroger aux dispositions de la loi. Même si dans cette inspection générale on affirme que la loi n’interdit pas le modèle de Molyko, elle ne dit pas non plus qu’il doit être appliqué. Par ailleurs, ce que les techniciens du bilinguisme appellent le “ modèle de Molyko ” doit être pris avec beaucoup de pincettes aujourd’hui car avec l’avènement du Renouveau, il y a eu une ligne de fracture et on y assiste, comme dans les autres lycées bilingues de la République, à une simple cohabitation des deux sous-systèmes dans le même campus. Autrement dit, l’intention politique formulée par le président Ahidjo est un échec. Car même si on vulgarise de plus en plus l’enseignement du français ou de l’anglais dans les établissements scolaires, la culture originale dont il parlait reste à produire. De nombreux hommes politiques en disent du bien et il n’est pas tard pour la mettre en route. Alexandre T. Djimeli (*)Article publié dans Le Messager n°1810, mercredi 02 fevrier 2005




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