Cameroun - Accords coloniaux: Selon Maurice Kamto, le régime de Paul Biya «tente de livrer la France à la vindicte populaire»

Par Fred BIHINA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 18-Jan-2021 - 07h44   14547                      
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Maurice Kamto Archives
L’opposant soutient qu’il y a une forme d’instrumentalisation de la question relative aux accords coloniaux entre le Cameroun et la France, l’ancienne puissance coloniale.

La question des pactes coloniaux qui lient le Cameroun et la France suscite le débat dans notre pays depuis plusieurs mois, voire des années. Les thuriféraires du régime de Yaoundé, parmi lesquels Jean De Dieu Momo, ministre délégué auprès du ministre de la Justice, soutiennent que le Président Paul Biya a décidé du non renouvellement de ces accords, notamment les volets liés à l’économie et à la défense. Ce qui selon ces derniers, aurait provoqué la colère de l’ancienne puissance coloniale qui tenterait ainsi de déstabiliser le Cameroun.

Le sujet a même récemment obligé l’ambassadeur de la France à sortir de sa réserve. Dans un droit de réponse au quotidien Mutations. «la France et le Cameroun ont signé depuis l’indépendance 125 accords bilatéraux dont 46 sont en vigueur», a indiqué Christophe Guilhou.

De l’avis de Maurice Kamto, le régime de Yaoundé instrumentalise cette question, dans l’optique de faire porter à la France le chapeau des crises multiformes que le Cameroun connait.

«Face à son incapacité à résoudre les crises multiformes qui plombent le Cameroun, à proposer un cap qui vaille à notre pays qui s’enfonce, et incapables d’assumer son bilan désastreux, le pouvoir en place fait appel de manière récurrente à l’un de ses justificatifs de prédilection, à savoir la bouc-émissarisation», écrit le leader du MRC dans un message publié le 17 janvier 2021 sur sa page Facebook.

Selon l’opposant, «il s’agit de tentatives d’instrumentalisation du nationalisme profond du peuple camerounais en tentant de livrer un partenaire de premier plan à la vindicte populaire».

L’ancien ministre explique que «Ni la Chine, ni les Etats-Unis, ni la France, ni quelque autre puissance ne sont responsables ultimes de notre sous-développement, de la misère galopante de nos populations, de notre corruption endémique, de l’absence d’Etat de droit et d’une Justice juste, de la violation barbare des droits de nos propres compatriotes, d’une gouvernance archaïque, du manque de vision et d’ambition pour notre Nation».

Ci-après, le texte intégral:

LA POLITIQUE DES BOUCS-EMISSAIRES NE DEVELOPPERA PAS LE CAMEROUN

Face à son incapacité à résoudre les crises multiformes qui plombent le Cameroun, à proposer un cap qui vaille à notre pays qui s’enfonce, et incapables d’assumer son bilan désastreux, le pouvoir en place fait appel de manière récurrente à l’un de ses justificatifs de prédilection, à savoir la bouc-émissarisation. On se bornera à deux illustrations récentes.
La première illustration consiste en la mise en scène par le régime d’une prétendue « libération » récente du Cameroun du joug « colonial» français, du fait du non-renouvellement allégué par Monsieur BIYA d’accords secrets qui existeraient entre le Cameroun et la France. Les accords dont il s’agit seraient arrivés à échéance à la fin de l’année 2019 et le preux Monsieur BIYA aurait décidé d’y mettre un terme. Comme conséquence, il subirait désormais les représailles de l’ex-partenaire bilatéral désormais présenté comme étant à l’origine des crises sécuritaires auxquelles fait face le pays !

Une telle mise en scène est à la fois pathétique et regrettable. Il s’agit de tentatives d’instrumentalisation du nationalisme profond du peuple camerounais en tentant de livrer un partenaire de premier plan à la vindicte populaire. Ce faisant, le régime accrédite la thèse de l’infantilisation du Cameroun dont il prétend vouloir s’émanciper. Pour mémoire, Monsieur BIYA s’est auto-désigné «meilleur élève de la France», il n’a pas été élevé à ce rang par cette dernière.

Au demeurant, pour espérer rallier le soutien du peuple camerounais à son acte de «bravoure», pourquoi ne rendrait-il pas public ces fameux accords, ce d’autant plus qu’ils ne seraient plus en vigueur ?

En outre, si des accords secrets ont existé entre le Cameroun et la France, ils auraient été renouvelés entre 1974 et 2009; ils auraient donc expiré depuis 11 ans, et non pas fin 2019. Et si ceux signé en 2009 font partie des accords secrets dénoncés, il n’y a pas lieu de claironner autour puisqu’ils devraient bien avoir été signés, au nom du Cameroun, par la personne faisant fonction de chef de l’Etat à l’époque, en l’occurrence Monsieur Paul BIYA, ou par un de ses mandataires.

Que le passage du temps rende nécessaire le toilettage de certains accords de coopération participe du jeu normal des relations interétatiques. Les dissensions entre partenaires qui se respectent ne se règlent pas dans la rue. En cas de difficulté d’importance touchant aux intérêts vitaux de son pays, tout leader légitime et démocratiquement élu sait pouvoir compter sur le soutien et la compréhension de son peuple, de manière directe ou par le truchement d’un parlement véritablement représentatif. La bouc-émissarisation de l’étranger ne peut ni tenir lieu de politique étrangère, ni servir de cache-sexe au bilan catastrophique de la gouvernance en place. De même en est-il de la diplomatie des coups de semonce ou des francs-tireurs embusqués dans des journaux à la solde. Si celui qu’on croit ainsi exalter pourrait s’en satisfaire, ce n’est assurément pas bon pour le pays.

La seconde illustration a trait au traitement désobligeant réservé à l’Ambassadeur de France au Cameroun à la suite de sa réaction aux massacres survenus le 10 janvier à Mautu. Il s’agissait pourtant d’un communiqué fort détaché, sans parti pris, condamnant non seulement les massacres eux-mêmes mais aussi les attaques indiscriminées contre les populations civiles et appelant à ce que toute la lumière soit faite sur ces crimes odieux. Que pouvait-on attendre d’autre du représentant d’un pays ami face à une telle situation ? Le lynchage organisé de l’Ambassadeur Christophe GUILHOU qui n’a rien dit d’autre que ce que demandent toutes les personnes de bonne volonté, à commencer par les Camerounais eux-mêmes, en dit long sur la fébrilité ambiante dans les cercles du pouvoir. Auraient-ils quelque chose à se reprocher dans ces massacres ? Qui peut se satisfaire de ce que le quotidien de notre pays soit rythmé par de tels évènements macabres ?

La poursuite de la guerre et des tueries dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est notre responsabilité, nous camerounais, et notre responsabilité à nous seuls.

Le premier président du pays, Ahmadou Ahidjo, dont les conditions d’accession au pouvoir ainsi que le rôle dans la répression du mouvement nationaliste camerounais sont historiquement établis, ne fut pas moins le bâtisseur du Cameroun prospère, respecté et en décollage économique que nous avons connu. Prenant appui sur un réseau diversifié de partenaires intelligemment bâti, il a pu, en l’espace d’une dizaine d’années, placer le Cameroun sur la rampe d’un développement global, certes progressif, mais bien pensé. La destruction méticuleuse de cet héritage doit être assumée par son illustre successeur.
Nous devons nos échecs d’abord à nous-mêmes. Nous ne nous en sortirons pas si, au lieu d’en prendre conscience nous passons notre temps à pleurnicher et à pointer d’un doigt accusateur les pays étrangers.

Ni la Chine, ni les Etats-Unis, ni la France, ni quelque autre puissance ne sont responsables ultimes de notre sous-développement, de la misère galopante de nos populations, de notre corruption endémique, de l’absence d’Etat de droit et d’une Justice juste, de la violation barbare des droits de nos propres compatriotes, d’une gouvernance archaïque, du manque de vision et d’ambition pour notre Nation. Il nous est loisible de nous organiser, de nous discipliner, de travailler dur, de travailler plus, de cultiver la confiance entre camerounais et entre les camerounais et l’Etat, et immanquablement le développement partagé et équilibré dans un Cameroun moderne sera au bout de nos efforts.

Yaoundé le 17 janvier 2021

Auteur:
Fred BIHINA
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