Cameroun - Alternance/Cardinal Tumi (archevêque émérite de Douala): «Paul Biya a fait tout ce qu’il pouvait… si j’étais à sa place, je donnerais ma démission»

Par Fred BIHINA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 28-Dec-2020 - 07h52   27657                      
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Cardinal Christian Tumi archives
Le prélat, âgé de 90 ans, a récemment accordé une interview fleuve à Sputnik, l’agence internationale de presse russe. Mgr Christian Tumi revient sur le conflit armé en zone anglophone, dont il est originaire. Il propose notamment le retour des militaires dans les casernes et le désarmement des groupes armés. L’archevêque émérite de Douala se prononce aussi sur la transition politique dans notre pays. Et pour lui, l’actuel Chef de l’Etat devrait passer la main.

Cameroon-Info.Net vous propose quelques extraits de cet entretien publié le 19 décembre 2020:

Question: Cela fait maintenant plus de quatre ans que le Cameroun est confronté à une crise meurtrière dans le Nord-Ouest et le Sud-ouest. Qu’est-ce qui empêche les choses de revenir à la normale malgré toutes les mesures prises, notamment la tenue du Grand dialogue national auquel vous avez pris part ?

Cardinal Christian Tumi: J’ai déjà rencontré quelques-uns de ces hommes [les séparatistes armés, ndlr] qui sont dans la brousse avec des armes. Aujourd’hui, certains d’entre eux ne savent même plus pourquoi ils luttent. Il semblerait que ceux qui sont aux États-Unis et qui militent pour la création d’un État indépendant [les leaders de la sécession, ndlr] leur aient dit que les Nations unies allaient intervenir et que le conflit se réglerait en une année. Mais ces leaders ne maîtrisent plus la situation.

Cependant, de nombreux combattants commencent à quitter leur cachette. J’en ai déjà reçu quelques-uns ici à Douala, avec le soutien du gouvernement représenté par le Premier ministre, je les ai aidés à réintégrer la société et des centaines d’autres émergent progressivement de la brousse. L’archevêque de Bamenda, qui vient d’être installé, a déjà fait revenir presque 400 séparatistes au Nord-Ouest. J’en ai rencontré en janvier quand j’étais à Kumbo (Nord-Ouest), dans mon village, et leur chef m’a confié qu’il comptait se réfugier au Nigeria. L’une des révélations qu’il m’a faites, c’est que la majorité de ceux avec qui il se trouve sont des Nigérians et qu’il comptait un seul Camerounais dans ses rangs. Depuis que cette crise a commencé, je vais chaque année à Kumbo chez moi pour être vraiment au courant de ce qui se passe.»

Question: Vous avez été vous-même il y a quelques semaines victime d’un enlèvement dans le Nord-Ouest anglophone du pays. Après avoir échangé avec ces défenseurs de la cause séparatiste, pensez-vous que les solutions préconisées jusqu’ici permettront de faire taire les armes ?

Cardinal Christian Tumi: L’armée doit retourner dans les casernes et les jeunes séparatistes qui sont en brousse doivent aussi déposer les armes qu’ils portent illégalement pour qu’il y ait la paix. C’est du moins la réponse que m’a donnée une vieille femme qui est restée dans son village depuis le début de la guerre lorsque j’ai sollicité son point de vue. Toutefois, la seule personne capable d’ordonner le cessez-le-feu n’est autre que Paul Biya. S'il décide de faire rentrer l’armée dans les casernes, ce sera la fin.

Question: Le Cameroun vient d’assister aux toutes premières élections régionales qui viennent parachever le processus de décentralisation sur le territoire. Cette décentralisation est présentée par les autorités comme une des solutions à la crise actuelle. N’est-il pas temps de passer plutôt au fédéralisme réclamé par plusieurs leaders anglophones modérés ?

Cardinal Christian Tumi: Nous avons déjà eu l’expérience du fédéralisme pendant onze ans, entre 1961 et 1972. Et cela a marché. C’est la période la plus pacifique que notre pays ait jamais connue depuis la réunification. À l’aune de cette expérience-là, ce que le Président Paul Biya vient de faire [l’accélération du processus de décentralisation, NDLR], c’est un début de solution.

Cette décentralisation peut être une solution si les régions ont tout le pouvoir nécessaire pour gérer les affaires à la base. Cependant, il n’y a aucun système qui marche de lui-même, c’est l’homme qui est au cœur du système et doit le faire fonctionner. Seulement si je suis pour le fédéralisme, je suis contre ceux qui luttent à tout prix pour créer un autre État.

Question: Que peut encore le Président Paul Biya face à ces crises protéiformes que traverse le Cameroun ?

Cardinal Christian Tumi: Je crois que le Président de la République a fait tout ce qu’il pouvait mais il est difficile de diriger les Camerounais. La corruption est là, malgré un organisme [Commission nationale anticorruption, ndlr] créé pour lutter contre cette gangrène. Je crois que le chef de l’État a déjà épuisé toutes ses possibilités. À vrai dire, si j’étais à sa place, je donnerais ma démission. Chaque fois que j’ai rencontré le Président de la République, je lui ai dit ce que je pensais. Avant qu’il ne soit réélu [en octobre 2018, NDLR], je lui avais dit que si j’étais à sa place, je ne me représenterais plus à une élection pour gérer un pays comme le Cameroun.

Il a besoin d’énergie physique, mais pas seulement parce qu’à cet âge-là [87 ans, ndlr], on est aussi intellectuellement diminué, on n’est plus aussi fin que quand on avait une cinquantaine ou une soixantaine d’années. J’espère que ce mandat est vraiment le dernier pour lui et qu’il commence déjà à confier des responsabilités à d’autres qui sont plus jeunes.

Question: La question de la succession à la tête du pays revient de plus en plus au centre de l’actualité. Beaucoup d’observateurs et d’acteurs politiques craignent une transition violente. Ces craintes sont-elles justifiées à votre avis ?

Cardinal Christian Tumi: Les Camerounais n’aiment plus la violence, personne n’aime la violence. Moi-même, je n’aimerais pas voir l’armée à la tête du pays. Elle peut arriver au pouvoir pour arranger les choses puis revenir à ses missions originelles, c’est-à-dire nous défendre lorsque nous sommes attaqués par un ennemi extérieur. Mais il y a un certain désordre dans le pays, j’ai l’impression que tout le monde fait ce qu’il veut, que les lois ne sont plus suivies. Si beaucoup de personnes contestent les lois électorales, pourquoi avons-nous peur de les réformer pour que tout le monde en soit satisfait ?

Auteur:
Fred BIHINA
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