Cameroun - Banque: Comment la Guinée Equatoriale a accaparé CCEI Bank GE

Par Béatrice KAZE | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 26-Jan-2021 - 11h19   9905                      
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CCEI Bank GE archives
Un article publié dans les colonnes du quotidien Le Jour édition du 22 janvier 2021 explique comment le gouvernement équato-guinéen a décidé de faire main basse sur CCEI Bank GE, filiale de la holding bancaire Afriland First Group, fondée par le Camerounais Paul Fokam Kammogne.

Selon Chantal Kenfack, l’auteur de cet article, «le gouvernement équato-guinéen a offert de racheter les actions d’Afriland First Group à moins du tiers du prix réel. Or, sans exécuter le paiement, il s’empare desdites actions dans des conditions irrégulières».

Voici dans son intégralité, l’article publié dans Le jour du 22 janvier 2021.

Les entreprises étrangères éprouvent d’énormes difficultés en Guinée-Equatoriale où le climat des affaires est hostile. Le groupe de télécommunications français Orange, la société de BTP italienne Piccini, Sogeca ou encore la banque camerounaise CBC ont été poussés hors du pays dans la douleur, avec force procès et saisies d’avions à l’étranger. Aujourd’hui, c’est au tour de la filiale de la banque panafricaine Afriland de subir l’escroquerie d’Etat à Malabo.

Tout commence par les conditions de vente des actions détenues par Afriland First Group dans CCEI Bank GE. En consultant le rapport d’expertise des cabinets PWC et Fezeu, on se rend compte que les fonds propres nets s’élevaient à 152milliards FCFA au 31 décembre 2019. Afriland First Group qui détient en tout 66% des capitaux de la banque aurait dû s’en sortir avec 100 milliards FCFA au minimum. Le prix conclu au terme de plusieurs sessions de négociation n’est finalement que de 30 milliards. Pour quelle raison le gouvernement équato-guinéen aura-t-il poussé Afriland First Group à vendre ses actions au tiers du prix réel minimum ? Les deux parties ont-elles convenu d’une compensation officieuse ? Nous avons contacté Afriland First Group. Elle n’a pas souhaité nous éclairer sur les conditions de cette négociation, arguant le fait qu’il s’agit d’un secret contractuel.

Malgré cette décote aussi exceptionnelle que mystérieuse, le gouvernement a pris possession des actions transigées sans exécuter le paiement. Le ministre des Finances, de l’économie et du plan, Valentin Eya Maye Mba nommé à ce poste le 26 octobre 2020 en véritable chargé de mission, a cosigné avec l’administrateur Ad Hoc une convocation en date du 13 novembre 2020 pour la tenue d’une assemblée générale extraordinaire pour le lendemain, 14 novembre ! Ceci alors que l’administrateur ad hoc désigné par la justice du pays avait convoqué le 29 octobre 2020 une première assemblée générale extraordinaire pour la date du 18 novembre 2020. Qu’est-ce qui justifie une telle cacophonie ? Des sources internes de la COBAC, cela est difficile à comprendre et personne ne veut se prononcer sur ce sujet épineux. Par ailleurs, les statuts de CCEI Bank GE prévoient un délai de 16 jours entre la convocation et la tenue de l’Assemblée générale. Pourquoi une telle précipitation qui met en marge des statuts ? Comme si cela ne suffisait pas, cette assemblée générale extraordinaire convoquée dans des conditions illégales se tient en l’absence de l’actionnaire majoritaire et de l’administrateur Ad Hoc, autre illégalité puisque le quorum n’est pas atteint. De source interne, notre journal apprend qu’il y a eu plusieurs séances de travail en Guinée-Equatoriale entre le président de la république et le gouvernement de la banque centrale.

Récapitulons : convoquée illégalement, par une autorité qui n’en a pas qualité, tenue illégalement, cette AG produit un procès-verbal qui naturellement est nul et de nul effet. Cette assemblée nomme précisément les administrateurs Mariola Bindang Obiang, Félix Nguema Mba et Rafael Tung Nsue Bi-logo. En raison de l’irrégularité constatée plus haut, des experts en matière de régulation bancaire ont la conviction que la Commission bancaire n’a pas entériné ces actes illégaux car la mission est la protection du secteur bancaire par la mise en place de bonnes pratiques, de bonnes règles ; la prévention de toute fraude et de toute manœuvre dolosive.

En principe, si l’autorité de supervision bancaire a toutes les informations nécessaires, elle ne peut en aucun cas approuver de tels agissements. En général, l’organe de supervision bancaire qu’est la Cobac met en moyenne trois mois pour approuver les actes d’une assemblée générale. Ce délai de trois mois représente la périodicité de session. Or, l’Assemblée générale extraordinaire s’est tenue le 14 novembre 2020 et le Conseil d’administration extraordinaire le 9 janvier 2021. C’est dire qu’il ne s’est passé que 54 jours entre l’Assemblée générale extraordinaire et le Conseil d’administration extraordinaire. En conséquence, il y a de fortes chances que l’autorité de régulation n’ait pas eu le temps de se prononcer sur la nomination des nouveaux administrateurs. Le conseil d’administration extraordinaire s’est tenu le 9 janvier 2021 sur convocation du ministre des Finances. Une nouvelle violation de la réglementation, le ministre des Finances n’ayant pas qualité pour convoquer un conseil d’administration.

Le ministre des Finances a royalement ignoré l’administrateur ad hoc et le conseil d’administration extraordinaire s’est réuni en l’absence des représentants de l’actionnaire majoritaire (Afriland First Group) qui détient jusque-là les trois quarts des administrateurs. Ce conseil d’administration extraordinaire a nommé un directeur général en la personne d’Agapito Teodosio Nguema Obiang, qui aurait déjà pris fonction en violation des dispositions de la réglementation qui exige une autorisation préalable à la nomination de tout dirigeant responsable de banque. Compte tenu des irrégularités qui ont entouré ces nominations, il y a fort à parier que l’autorité de supervision ne les approuvera pas. En somme, le 9 janvier a donné lieu à trois violations : d’un côté un conseil illégal qui nomme un exécutif et de l’autre un exécutif qui prend fonction sans autorisation préalable de la commission bancaire et enfin, la propriété des actions d’Afriland First Group a été transférée au gouvernement équato-guinéen en violation de l’art 6.1 de la convention de cession signée par les deux parties le 14 juillet 2020 et qui stipule que « la cession et l’achat des actions cédées sont soumis à la réalisation des conditions suspensives au plus tard à la date de cession [...] le paiement intégral du prix de cession.»

Nous avons contacté Afriland First Group au sujet du non-paiement de la contrepartie contractuelle des 30 milliards FCFA. Le groupe bancaire panafricain n’a pas souhaité se prononcer. Tout au plus avons-nous appris qu’il a saisi les tribunaux à ce sujet. Idem pour les autorités entrant et sortant de CCEI Bank GE qui n’ont pas souhaité se prononcer. Néanmoins, certaines sources proches de la Banque centrale ont avancé que la banque centrale s’est opposée au transfert des fonds. Si cela était vrai, on serait en droit de se demander ce que vient faire la banque centrale dans des transactions commerciales simples.

Auteur:
Béatrice KAZE
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