Cameroun - Bilan du CHAN 2020/Haman Mana (journaliste): «On a construit de belles enceintes sportives dans le Cameroun de Paul Biya, pays perclus par une guerre fratricide, une économie exsangue, une incertitude lourde sur l’avenir»

Par Fred BIHINA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 10-Feb-2021 - 10h44   14382                      
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Haman Mana, DP Le Jour capture d'écran
Le directeur de publication du quotidien Le Jour a publié un éditorial sur le CHAN dans son journal paru ce 10 février 2021.

Le ton est délibérément satirique ! Haman Mana commence par magnifier l’organisation du sixième CHAN par le Cameroun.

«Hourrah ! Le Championnat d’Afrique des Nations au Cameroun s’est donc achevé. Une belle cérémonie de clôture, ponctuée de feux d’artifice et autant de coups de canon célébrant l’apothéose de cette magnifique fête sportive africaine… Il manque des superlatifs pour parler de cette compétition où tout: hôtels, déplacements, sécurité, tout fut si bon et si bien…» écrit-il.

Citant le cas des infrastructures sportives, le journaliste constate que le pays présente désormais des «stades avec des loges à faire pâlir de jalousie, les VIP des plus huppées des enceintes mondiales de renom: le Camp Nou, le Parc-des-princes, Wembley…».

Et pourtant, note le patron du quotidien Le Jour, la splendeur des stades contraste avec les difficultés que traversent les Camerounais sur le plan socioéconomique.

«Dans le Cameroun de Paul Biya, pays perclus par une guerre fratricide et d’autres encore, une économie exsangue, une incertitude lourde sur l’avenir, due à l’interminable règne du souverain, on a construit de belles enceintes sportives – on reparlera un jour de leurs coûts- on a ravalé des façades et rebouché les trous sur les avenues passantes», fustige notre confrère.

L’enseignant de journalisme termine son éditorial par une exhortation: «Aux citoyens camerounais encore ébaubis par la qualité des stades de football de leur pays, il est bon de revenir sur terre: de l’eau potable pour la majorité, du courant électrique, des routes et voies d’accès à leurs domiciles convenables, des écoles et collèges acceptables pour leurs enfants, de réels débouchés pour ces derniers…».

Voici l’intégralité de son éditorial:

Hourrah ! Le Championnat d’Afrique des Nations au Cameroun s’est donc achevé. Une belle cérémonie de clôture, ponctuée de feux d’artifice et autant de coups de canon célébrant l’apothéose de cette magnifique fête sportive africaine.

Même si, sur le terrain de la performance, le Cameroun et ses Lions indomptables furent rattrapés par leurs contradictions, preuve que le sport ne ment pas, il y a tout de même dans l’atmosphère, un air de célébration. La célébration d’une organisation presque parfaite, louée par la majorité des participants qui ont chacun trouvé leur compte. Il manque des superlatifs pour parler de cette compétition où tout: hôtels, déplacements, sécurité, tout fut si bon et si bien…

Et puis il y a ces stades: des stades que nous envie désormais le monde entier. Avec des pelouses impeccables, des gradins aux couleurs aussi chatoyantes que l’humeur des spectateurs qui ont répondu présent. Des stades avec des loges à faire pâlir de jalousie, les VIP des plus huppées des enceintes mondiales de renom: le Camp Nou, le Parc-des-princes, Wembley…À coup sûr, le Cameroun, son peuple, sous – évidement- la grande maîtrise de son chef, ont séduit. Le meilleur est à venir: le CHAN n’était que la mise en bouche de la CAN de l’an prochain. Que du bonheur !

Dans la Russie des Tsars, un ministre du nom de Grigori Potemkine, informé de la visite de l’impératrice Catherine, fit construire en carton-pâte, de magnifiques façades de villas sur le parcours de la souveraine. Derrière ces maquettes grandeur nature, il y avait pourtant, les masures insalubres des villageois, pauvres hères vêtus de neuf et massés au bord du chemin pour applaudir la souveraine ébahie par la prospérité des campagnes de son pays…

Dans le Cameroun de Paul Biya, pays perclus par une guerre fratricide et d’autres encore, une économie exsangue, une incertitude lourde sur l’avenir, due à l’interminable règne du souverain, on a construit de belles enceintes sportives – on reparlera un jour de leurs coûts- on a ravalé des façades et rebouché les trous sur les avenues passantes.

Afin d’accueillir la fête. Dans le même temps, mourraient des femmes en couches et par dizaines. Sur les routes, on perdait la vie, écrasés ou calcinés. Les enfants faisaient l’école sous les branchages, et des maladies infantiles faisaient rage. Le seul horizon des jeunes était la recherche de la nyama (la nourriture). Sans aucune émotion de ceux qui gouvernent, obnubilés, eux, par l’accumulation effrénée des dernières ressources disponibles, sous le regard impassible du «chef», désormais préoccupé par la seule perpétuation de son pouvoir, et ayant pris conscience du fait que le temps, qui par le passé fut son allié, est désormais son ennemi.

Aux citoyens camerounais encore ébaubis par la qualité des stades de football de leur pays, il est bon de revenir sur terre: de l’eau potable pour la majorité, du courant électrique, des routes et voies d’accès à leurs domiciles convenables, des écoles et collèges acceptables pour leurs enfants, de réels débouchés pour ces derniers… Et un pays où on sollicite et on obtient un service public aisément, sans être assigné à la vénalité tracassière des fonctionnaires; Mais surtout une nation réconciliée avec elle- même. A ce stade, on est bien loin de nos jolis stades…

Ceux qui ont aimé en hors d’œuvre le CHAN, adoreront certainement la CAN en plat principal. Bon appétit !

Auteur:
Fred BIHINA
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