Cameroun - Crise socio-politique: Le journaliste et activiste politique Boris Bertolt répond à Alain Foka

Par Pierre Arnaud NTCHAPDA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 17-Aug-2019 - 14h20   16550                      
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Boris Bertolt Archives
Dans un texte publié sur Facebook ce 17 août 2019, l’ancien des quotidiens Le Jour et Mutations accuse son confrère de Radio France internationale (RFI) de masquer par son silence sur la crise politique multiforme que traverse le Cameroun un supposé soutien au régime de Yaoundé

 

Voici la première réaction aux propos tenus sur une antenne de Douala le 15 août 2019 par le célèbre journaliste camerounais de Radio France internationale (RFI) Alain Foka. Elle émane de Boris Bertolt. Le journaliste, lanceur d’alerte, écrivain et activiste politique répond à son aîné dans une post publié ce 17 août 2019 sur Facebook. L’ancien des journaux camerounais Le Jour et Mutations croit que le présentateur-concepteur du programme à succès Archives d’Afrique a par ses récentes déclarations dit qui il soutient réellement dans la crise politique en cours au Cameroun, son pays natal. « Je t’écris ce texte parce que je suis fier qu’enfin tu aies eu le courage de t’assumer et plus précisément de clarifier ton soutien au dictateur génocidaire au pouvoir depuis 37 ans au Cameroun, Paul Biya. Je te félicite pour cette audace », a commencé l’opposant au régime du président Paul Biya.

Le doctorant en criminologie croit savoir que la cote de popularité de son confrère a baissé auprès de ses compatriotes pour cette raison. « Tes émissions ont pris l’allure d’un savant dosage d’équilibrisme où les acteurs les plus acerbes contre les tyrannies étaient régulièrement interrompus ou recadrés. Mais l’apothéose c’est sur le cas du Cameroun qui est en réalité l’objet de mon interpellation. Je ne te manquerai pas de respect. Je peux te manquer de respect, mais je ne le ferai pas. Il y a quelques temps nous t’avons interpellé sur ton silence par rapport à la situation au Cameroun. Pas d’émissions sur le génocide dans la zone anglophone, rien sur la détention arbitraire de Maurice Kamto, les membres de la coalition et 500 prisonniers politiques, silence absolu sur la traque au faciès, sur les tortures et les violations des droits de l’homme. Pour résumer, tu as abandonné la lutte la démocratie », accuse Boris Bertolt.

Jeudi, Alain Foka, invité d’ABK Radio, une  émettant de Douala déclarait au sujet de la crise socio-politique en cours au Cameroun : « je sais que tous les Camerounais enfin ceux qui s’agitent sur les réseaux sociaux voudraient que je parle de ce qui se passe ici. Moi je suis journaliste. Je ne suis pas militant ou autre. Ce qui se passe ici m’attriste évidemment en tant que Camerounais mais ça ne m’éloigne pas de mon métier de journaliste. Je dis les choses, je dirai toujours les choses mais prendre parti je n’ai pas envie de prendre parti ». Il poursuivait : « si on veut que je dise qu’il y a une mauvaise gouvernance on ne m’a pas attendu pour dire cela. C’est un fait, tout le monde le voit. Si on dit que les choses vont mal c’est un fait tout le monde le voit. Est-ce qu’on a besoin que Foka le dise pour que ça change quelque chose ? Je ne crois pas ».

Ci-dessous l’intégralité de la réaction de Boris Bertolt aux propos d’Alain Foka

ALAIN FOKA, UN JOURNALISTE N’EST PAS UN COMMERÇANT MAIS UN PROTECTEUR DE LA DÉMOCRATIE

Cher Alain Foka, je n’ai plus écrit comme ceci il y a belle lurette. Mais pour toi j’ai tenu à le faire.

Je t’écris ce texte parce que je suis fier qu’enfin tu aies eu le courage de t’assumer et plus précisément de clarifier ton soutien au dictateur génocidaire au pouvoir depuis 37 ans au Cameroun, Paul Biya. Je te félicite pour cette audace.

Tu te rends certainement compte que ces moments où les jeunes camerounais inconscients tenaient à te saluer, à rire avec toi, à te féliciter lors de tes passages au Cameroun sont finis. Ou du moins ils ont diminué.

J’en faisais partie. Jeune étudiant à l’université de Yaoundé 1. Nous étions fier d’avoir un compatriote qui parlait de l’Afrique et à travers ses émissions, avec une intelligence subtile, critiquait les gouvernements africains. Il dénonçait La corruption, la pauvreté, le sous développement, les conflits. Il faisait du journalisme et revendiquait ce statut de journaliste.

Je me souviens encore de ces émissions: “ le débat africain “ que nous écoutions chaque matin avec mes camarades de ma mini-cite à la fac de Ngoa Ekelle. C’était un rituel tous les dimanches et nous en débattions parfois jusqu’à 12h sans avoir mangé. Puis il y avait Archives d’Afrique. Ohh la mémoire, essentielle pour savoir où on va et qui l’on veut être. Étudiant en histoire, j’étais un passionné ce programme.

Mais progressivement l’eau coula sous les ponts et tu finiras par t’embourgeoiser comme beaucoup de journalistes africains qui d’un jour à l’autre prennent de l’influence dans l’espace public. Tu changeas. Tes émissions ont pris l’allure d’un savant dosage d’équilibrisme où les acteurs les plus acerbes contre les tyrannies étaient régulièrement interrompus ou recadrés. Mais l’apothéose c’est sur le cas du Cameroun qui est en réalité l’objet de mon interpellation.

Je ne te manquerai pas de respect. Je peux te manquer de respect, mais je ne le ferai pas.Il y a quelques temps nous t’avons interpellé sur ton silence par rapport à la situation au Cameroun. Pas d’émissions sur le génocide dans la zone anglophone, rien sur la détention arbitraire de Maurice Kamto, les membres de la coalition et 500 prisonniers politiques, silence absolu sur la traque au faciès, sur les tortures et les violations des droits de l’homme. Pour résumer, tu as abandonné la lutte la démocratie.

Hier, j’ai pris connaissance de ta réaction dans une radio locale où tu dis: “ Je sais que tous les Camerounais enfin ceux qui s’agitent sur les réseaux sociaux voudraient que je parle de ce qui se passe ici. Moi je suis journaliste. Je ne suis pas militant ou autre. Ce qui se passe ici m’attriste évidemment en tant que Camerounais mais ça ne m’éloigne pas de mon métier de journaliste. Je dis les choses, je dirai toujours les choses mais prendre parti je n’ai pas envie de prendre parti ».

Il y a dans cet extrait deux ordres de discours. Le premier relève du fait que tu traites ceux qui regrettent ton mutisme d’agités des réseaux sociaux. On peut déceler dans ce propos un mépris de classe. Un journaliste ne vaut rien sans audimat. Dès le moment où on cesse de respecter les auditeurs, on perd ceux pour qui le journaliste prétend travailler. A ce moment on travaille pour d’autres intérêts. Mais plus pour la défense des intérêts des masses. Car le journalisme est en démocratie un contre pouvoir. C’est à dire dun point de vue théorique un pouvoir destiné à protéger le peuple contre les puissants.

Mais il y a également dans ta qualification “ d’agités des réseaux sociaux “ une certaine forme d’inculture lié à ton embourgeoisement. Et je peux le comprendre. Les réseaux sociaux sont aujourd’hui des outils de fabrication des opinions publiques, de construction des représentations politiques et un terrain de lutte d’influence politique. Ce n’est pas pour rien que Donal Trump communique directement sur les réseaux sociaux et qu’un juge américain l’a interdit de bloquer ses followers sur Twitter. Mark Zukerberg est aujourd’hui sous surveillance des parlementaires américains parce que Facebook peut changer le déroulement d’une élection.

Tous les hommes puissants communiquent sur les réseaux sociaux parce qu’en ce début du 21eme siècle c’est là que ce jour une partie des luttes politiques. Nous ne sommes pas des agités mais des citoyens à part entière de l’ère du numérique. Ton propos traduit cet archaïsme intellectuel d’une génération vieillissante en Afrique qui refuse de comprendre que le monde a changé et que les jeunes africains ne sont pas tous des sauvages mais des acteurs de leur temps.

Le deuxième point est le fait que tu prétends te cacher derrière le journalisme pour masquer ton soutien à l’une des dictatures les plus sauvages du monde. On ne te demande pas de prendre position sur la situation au Cameroun, mais de dénoncer le génocide dans la zone anglophone, les crimes contre l’humanité, les violations des droits de l’homme, les détentions arbitraires, les tortures. Qu’est-ce qu’un journaliste si ce n’est un défenseur des libertés et la démocratie?

Il n’y a que les soutiens des tyrannies africaines pour prétendre que le journalisme est un métier neutre. Il n’y a pas de neutralité en journalisme et je te parle cette fois ci avec autorité de ma posture de criminologue. Les médias sont toujours au service des intérêts et d’une idéologie. Ils se situent toujours soit dans le camp des justes ou des méchants et vraisemblablement tu as choisi le camp des méchants. C’est à partir d’un média que le Général De Gaulle lança l’appel de Londres pour amener les alliés à se battre contre le génocidaire Hitler. Prétendre que tu es journaliste pour te taire sur les crimes du génocidaire Paul Biya n’est pas seulement une infantilisation des camerounais, mais une propre méconnaissance de ta place dans a société.

Je n’irai pas plus loin, mais je t’inviterai à te poser cette question: qu’est-ce que les camerounais retiendront de moi? Pour l’instant l’image d’un homme aimé par le passé mais qui aux heures les plus sombres de son pays a choisi de protéger des gens qui tuent, torturent et emprisonnent en toute impunité. Ce n’était plus un journaliste mais un commerçant. C’est triste Hélas.

Bon week-end. Fraternellement.

BORIS BERTOLT

 

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Auteur:
Pierre Arnaud NTCHAPDA
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