Cameroun - Décès de Manu Dibango/Patrice Nganang (Ecrivain): «Manu Dibango n'était pas un artiste politique, mais la quintessence même de l'artiste»

Par Pierre Arnaud NTCHAPDA | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 27-Mar-2020 - 16h29   6940                      
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Patrice Nganang capture d'écran
L’opposant radical au régime en place au Cameroun a mis de côté sa rancœur pour rendre un hommage des plus appuyés à l’icône, terrassée par le terrible coronavirus.

Le 25 mars 2020 soit 24 heures après l’annonce du décès de l’artiste camerounais de renommée mondiale Manu Dibango, l’écrivain d’origine camerounaise Patrice Nganang a entrepris de dire ce qu’il pensait et savait du défunt.

Dans ce texte posté sur un de ses comptes Facebook  et intitulé «la calvitie de Manu Dibango», l’universitaire parle du Manu Dibango dont il a écouté les chansons et dont il a entendu parler enfant. «Hier j'ai passé la journée à écouter les chansons de Manu Dibango - je dois avouer que dans ma tête, il avait cessé d'exister depuis mon enfance. 'Le Soir au village', mais surtout 'Qui est le fou de qui', que j'ai été heureux de voir ma fille danser. Le saxophone de 'Le Soir au village' demeure pour moi quand même unique, mais à mon humble avis, un musicien n'a une portée vraiment que lorsqu'il devient populaire. Et pour moi, cela entre dans les rumeurs, dont celle-ci, sur la calvitie de Manu Dibango. Alors, on se demande pourquoi les cheveux ne poussent pas sur sa tête, on se demande quelle huile il met dessus pour qu'elle brille toujours comme ca, si c'est le Diamaor ou autre, mais surtout pourquoi il a un kongolibong si parfait, on se le demande enfant bien sur. La réponse, c'est qu'il a vendu ses cheveux au Diable pour avoir la trompette qu'il joue dans ses chansons, donc c'est un pacte de Mephistopheles», se remémore le lauréat du Grand prix littéraire de l’Afrique noire en 2002.

Plus loin Nganang décrit un homme au charisme incontestable, véritable star aimée pour le bonheur qu’il savait procurer aux mélomanes. «Manu Dibango n'était pas un artiste politique, mais la quintessence même de l'artiste - rien que son saxophone sur les épaules toutes les fois, et bien sur bien de choses, son rire, le naturel avec lequel il était Sawa, nous disions Douala à mon époque, sur la terre entière, et emmenait la terre entière chez nous a aimer les Douala, parlait sa langue gutturale partout, nous faisait aimer sa langue, la répéter à souhait, surtout qu'il chantait peu et parlait plutôt dans ses chansons - et pourtant, enfant, ce qui m'intriguait toujours, c'était sa calvitie. Quand je l'ai rencontré à Paris, comme chacun de nous à un moment de sa vie, je n'ai pas eu le courage de lui raconter cette histoire, car il occupait tout l'espace, avec ce qu'il appellera 'le truc de la musique'. C'est-à-dire la capacité que celle-ci, que l'art a, de rendre les gens heureux. S'il faut donner ses cheveux pour ça, c'est le moindre des sacrifices, au fond», écrit Patrice Nganang.

Ci-dessous le texte intégral de son hommage à Manu Dibango

 LA CALVITIE DE MANU DIBANGO

Hier j'ai passé la journée à écouter les chansons de Manu Dibango - je dois avouer que dans ma tête, il avait cessé d'exister depuis mon enfance. 'Le Soir au village', mais surtout 'Qui est le fou de qui', que j'ai été heureux de voir ma fille danser. Le saxophone de 'Le Soir au village' demeure pour moi quand même unique, mais a mon humble avis, un musicien n'a une portée vraiment que lorsqu'il devient populaire. Et pour moi, cela entre dans les rumeurs, dont celle-ci, sur la calvitie de Manu Dibango. Alors, on se demande pourquoi les cheveux ne poussent pas sur sa tête, on se demande quelle huile il met dessus pour qu'elle brille toujours comme ca, si c'est le Diamaor ou autre, mais surtout pourquoi il a un kongolibong si parfait, on se le demande enfant bien sur. La réponse, c'est qu'il a vendu ses cheveux au Diable pour avoir la trompette qu'il joue dans ses chansons, donc c'est un pacte de Mephistopheles. Vous voyez que ça puise dans l'un des plus anciens mythes qui a inspiré la littérature occidentale, des poètes romantiques tel E.T.A Hoffmann à Thomas Mann, et qui pourtant nous faisait rigoler enfants, en pensant a la calvitie de Manu Dibango. Il se disait qu'il n'était pas seul, que Anne-Marie Nzie, elle aussi avait vendu une partie de sa jambe, d'ou une plaie éternelle qu'elle y avait, et qui l'obligeait à porter toujours des longs kabas. La troisième histoire de cette trilogie populaire, c'était Andre-Marie Tala, qui, lui avait plutôt vendu ses yeux. Sans parler de Eboa Lottin qui avait, bien entendu vendu son pied. Pour la même raison - la musique. L'art. Notre peuple aime l'art, l'aime tellement que, malgré les errements politiques de Anne-Marie Nzie, sa chanson, 'Liberté', inspire toute une génération, la mienne, en quête de liberté. Manu Dibango n'était pas un artiste politique, mais la quintessence même de l'artiste - rien que son saxophone sur les épaules toutes les fois, et bien sur bien de choses, son rire, le naturel avec lequel il était Sawa, nous disions Douala à mon époque, sur la terre entière, et emmenait la terre entière chez nous a aimer les Douala, parlait sa langue gutturale partout, nous faisait aimer sa langue, la répéter à souhait, surtout qu'il chantait peu et parlait plutôt dans ses chansons - et pourtant, enfant, ce qui m'intriguait toujours, c'était sa calvitie. Quand je l'ai rencontré à Paris, comme chacun de nous à un moment de sa vie, je n'ai pas eu le courage de lui raconter cette histoire, car il occupait tout l'espace, avec ce qu'il appellera 'le truc de la musique'. C'est-à-dire la capacité que celle-ci, que l'art a, de rendre les gens heureux. S'il faut donner ses cheveux pour ça, c'est le moindre des sacrifices, au fond.

RIP, le Grand.

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Auteur:
Pierre Arnaud NTCHAPDA
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