Cameroun - Denis Wouessidjewe (prof de pharmacie à l’Université de Grenoble): «Les pharmaciens formés à l’Université des Montagnes ont un très bon niveau»

Par Wiliam TCHANGO | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 25-Apr-2017 - 15h52   10551                      
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Prof Denis Wouessidjewe W. Tchango
Il fait partie des nombreux enseignants missionnaires qui viennent prêter main forte au projet de l’Université des Montagnes à Bangangté. Doyen assesseur  à la Faculté des Sciences de la Santé dans cette institution communautaire, Denis Wouessidjewe, professeur des universités, enseignant à la faculté de pharmacie de l’Université de Grenoble en France fait partie des personnes qui ont fait de la filière Pharmacie de l’Udm une des plus compétitive d’Afrique noire francophone. Il est aussi Expert Evaluateur externe auprès de l’Agence nationale des médicaments et des produits de santé en France.

Qu’est-ce qui vous motive à partir de votre pays de résidence, la France pour venir prêter main forte à l’Université des Montagnes ?

Merci pour votre question. J’ai le plaisir de vous dire que je lis cameroon-info.net tous les jours, à la fin de la journée de travail pour savoir tout ce qui se passe dans mon pays. Pour revenir à votre question, la première chose, bien sûr c’est que c’est sentimental. C’est un attachement à la terre qui m’a vu naitre. Donc, revenir là, c’est presque naturel. Le deuxième aspect, c’est que rejoindre un projet qui est solide, qui est édifiant, en plus d’un sentiment national, ça fait que je ne me pose pas de question quand je viens là parce que je sais que ma contribution a un impact important pour la jeunesse camerounaise qui se lance dans des études médicales, pharmaceutiques et autres. Ma motivation n’est pas à aller chercher très loin, elle est résumée dans ces deux mots, à savoir : le sentiment national et un projet édifiant.

Quand vous faites la comparaison entre la formation qui est dispensée ici, les infrastructures et ce qu’il y a dans les universités où vous enseignez en France, y a-t-il un grand fossé ?

C’est un problème qu’il faut prendre sans trop se décourager. Justement le rôle de la diaspora dont j’espère faire partie est de venir avoir un œil sur ce qui se fait ici et les standards européens ou internationaux. Ça a d’ailleurs été ma première mission à l’Université des Montagnes dans les années 2000 quand j’ai rejoint le projet. Ils sortaient de l’Université de Kinshasa, les sept premiers pharmaciens qui avaient fait une première partie de leurs études ici  et une autre à Kinshasa. Les pouvoirs publics avaient demandé qu’on vérifie si le niveau de ces étudiants là était aux standards de la pharmacie internationale. Et ce projet avait été confié à l’Université de Yaoundé 1 et comme Yaoundé I n’avait pas elle-même une expertise en pharmacie, on a confié cela à la Faculté de Montpelier.  J’étais chargé de préparer avec d’autres collègues, des étudiants à cet examen là. Donc, c’était mon premier succès à l’Udm puisque les sept étudiants qui passaient cet examen qui consistait en un écrit, des travaux pratiques et des oraux ont tous validé cet examen validé par les pouvoirs publics et du coup, on a reconnu à travers ces sept pharmaciens qu’on était capable de former de bons pharmaciens.  

C’était donc une entrée en matière assez époustouflante et au fur et à mesure,  le Professeur Kaptue (Lazare Kaptué, président de l’Université des Montagnes, Ndlr) et l’équipe dirigeante m’ont demandé de regarder ce qui se passe ailleurs et de voir si on est dans les standards et en même temps de voir si on peut mobiliser des énergies et des moyens humains et matériels pour venir aider à faire avancer les choses. C’est vrai que l’examen national avait lieu à Yaoundé pendant assez longtemps et c’est grâce au rapatriement sur le campus d’un certain nombre de matériels, que l’Etat a pu confirmer que nous avions de quoi organiser l’examen de validation à Bangangté. Cela montre qu’on avait passé un cap par rapport aux installations pour pouvoir justifier de faire un examen validant à Bangangté. Ça c’était déjà le premier pas. C’est une action qui est régulière qui fait qu’aujourd’hui, si je prends par exemple la discipline de pharmacie galénique, c'est-à-dire la fabrication des médicaments, j’enseigne à mes étudiants exactement ce que je fais de l’autre côté. En termes d’enseignements magistraux, des travaux pratiques. Donc, je n’ai aucun souci de ce côté-là et même pour vous conforter dans mon idée, il y a une étudiante qui est sortie d’ici à Bangangte il y a douze ans, qui est venue faire un master en France et après son interview avec une de mes collègues qui est responsable de ce master, elle m’a dit : Mais Denis, c’est incroyable, vos étudiants ont un très bon niveau. Cette jeune étudiante a été prise en master 2 à Lille, elle a validé et elle est maintenant dans le domaine professionnel. Donc, c’est un exemple. Il y en a d’autres qui ont fait biologie, qui ont fait d’autres spécialités. C’est pour vous dire qu’effectivement, ces étudiants-là ont un bon niveau. Si le niveau n’était pas bon, les étudiants ne pouvaient pas sortir d’ici et aller continuer ailleurs. Après maintenant, il y a le mérite personnel. Il y a des étudiants qui sont intelligents, brillants. On continue de travailler, on ne dort pas sur nos lauriers, il y a encore des choses à améliorer.

Quoi par exemple ?

Vous savez la pharmacie est une formation qui bien entendu est fondamentale en Science mais elle est très appliquée. C’est dire que toutes les disciplines qui concourent aux diplômes de pharmaciens ont chacune en enseignement pratique particulier : la Biologie, la Pharmacologie, la pharmacocinétique,  la galénique, la chimie analytique… toutes ces disciplines ont un enseignement pratique qu’il faut donner aux étudiants et qui dit enseignement pratique dit moyens. Moyens matériels, et donc tout ça, ce sont des choses qui vont s’acquérir lentement, soit par les actions de la diaspora, soit par un financement de l’institution qui va se préparer à faire des investissements et c’est peut-être là vraiment qu’il faut comprendre le travail difficile de l’institution qui est non seulement de gérer le quotidien mais également d’être capable d’investir sur des appareillages qui coûtent énormément cher.

En parcourant vos laboratoires de pharmacie, on a remarqué que vous avez la capacité ici de fabriquer plusieurs types de médicaments. Est-ce que vous avez l’ambition de développer vos capacités dans ce sens pour éventuellement venir en aide  aux populations qui en ont besoin ?

C’est la démarche qui est projetée. Vous savez, on ne commence pas à construire un immeuble de cinquante étages avant d’avoir fait les fondations. Ce qu’on a fait aujourd’hui, c’est d’asseoir la formation des étudiants et des enseignants, pour qu’ils soient aptes dans ces domaines-là. On a commencé par des travaux pratiques simples et aujourd’hui, par exemple, l’idée que j’aimerais bien poursuivre c’est vraiment d’étoffer la partie enseignement, option Industrie parce que c’est là qu’on va enseigner aux étudiants comment faire le médicament. C’est étoffer cet enseignement là en mettant en place des éléments pour aller du principe actif jusqu’à la phase de pharmacie terminée. C’est un travail qui se fait pas à pas et il faut commencer par le faire au niveau de la paillasse, ensuite une transmission à une petite échelle et après maintenant, évidemment aller un peu plus loin. Et d’ailleurs, c’est dans le cheminement de l’institution. Vous avez dû voir des bâtiments qui sortent de terre. Ces bâtiments-là, on y a pensé des laboratoires qui pourront permettre de faire des lots semi-pilotes des médicaments. Et donc, on commence à initier, ce qui fait que le moment venu, on aura les ressources humaines indispensables parce qu’on peut avoir les machines mais si on n’a pas des gens formés, ça ne sert à rien. Donc, c’est un processus qui est constructif, qui évolue. Dès que les bâtiments seront livrés, dès qu’on les aura investis, peut-être qu’il nous faudra encore quelques petits équipements pour commencer à aller vers ce que vous demandez. L’objectif c’est de faire des médicaments traditionnels améliorés, de bonnes qualités pour essayer effectivement de soulager les populations sur des pathologies qui pourraient être facilement appréhendées.

 

La dernière actualité de l’Udm ne vous a certainement pas échappé. Il y a eu pas mal de secousses ces derniers temps, pas mal de polémiques suscitées par d’anciens membres de l’institution tombés en disgrâce. Comment avez-vous vécu cette situation ? Pensez-vous comme beaucoup d’autres que cela a un tout petit peu fragilisé l’image de cette institution ?

C’est une question un peu délicate, il faut peser ses mots. En tant que membre de la diaspora venant participer à une aventure que je trouve fabuleuse, on n’est pas déjà forcément au cœur des promoteurs. Il y a peut-être des choses qui pourraient m’échapper et en tout cas, pour résumer ma pensée, je l’ai vécu très douloureusement parce que ça a été médiatisé de manière assez forte et c’est vrai que ça a pu un peu écorner l’image de cette institution. Mais maintenant, les choses évoluent, il y a toujours des gens qui croient au projet. En tout cas, moi j’y crois, je continuerai à venir participer parce qu’avant de voir l’intérêt des promoteurs, je vois d’abord l’intérêt des jeunes camerounais à qui je dois transmettre le peu de choses que j’ai apprises à l’extérieur. Donc, ça, ça me motive tellement que je ne rentre pas dans ces considérations-là. Je me dis que ça va faire son chemin, ça va se tasser. Pour l’instant, je suis vraiment focalisé sur le travail que j’ai à faire qui est d’aider les jeunes. J’étais en cours avec eux ces jours-ci. Pour moi, c’est très important de savoir qu’ils sont bien formés, qu’on les accompagne. Parce que j’ai envie de dire une chose aussi qui est importante : former un citoyen, ce n’est pas uniquement lui apprendre la science qu’il faut lui donner. Mais c’est aussi de discuter avec lui, comprendre qu’est-ce qu’il attend de son pays, lui demander qu’est-ce qu’il entend faire de votre pays. Pour que ces étudiants là ne soient pas uniquement des gens formés sur la science, qu’ils n’aient aucune opinion sur le monde, sur tout ce qui nous entoure. Cette passion là, je l’ai, il faut que les étudiants sachent qu’on est dans un monde mondialisé qui est compétitif et que c’est le travail et la compréhension de l’environnement dans lequel on est qui font que demain, quand ils seront aux affaires, ils pourront éventuellement s’exprimer, protéger leurs intérêts et rendre leur pays heureux. Ça fait partie des challenges que je voudrais que les étudiants aient en plus de leur formation scientifique.

 

Auteur:
Wiliam TCHANGO
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