Cameroun - Michel Biem Tong (journaliste en exil): Certaines personnes originaires de la zone anglophone ayant participé au Grand dialogue national disent s’être vues promettre de l’argent si elles n’évoquent pas le retour au fédéralisme

Par La Redaction | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 09-Oct-2019 - 11h17   9690                      
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Michel Biem Tong Archives
C’est un de ceux qui ont critiqué l’idée de l’organisation d’un Grand dialogue national dans le but de résoudre du conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Michel Biem Tong, journaliste camerounais en exil, n’a pas été convaincu de son utilité même après le déroulement de la grand-messe du palais des congrès de Yaoundé. Sympathisant de la cause anglophone, notre confrère se défend par contre d’être pour la sécession. Interview.

Comment appréciez-vous le déroulement du Grand dialogue national?

Ce fut une mascarade. C’est à se demander à quoi cela aura servi d’organiser un grand dialogue national sans s’attaquer aux causes réelles du problème anglophone. Diluer le problème spécifique de la minorité anglophone dans les difficultés basiques rencontrées dans le Cameroun francophone n’était pas non plus une idée géniale. Selon la propagande officielle, il s’agissait d’un dialogue inclusif mais en réalité ce dialogue n’était inclusif que de nom car certaines personnes originaires de la zone anglophone ayant participé à ce dialogue disent s’être vues promettre de l’argent si elles n’évoquent pas le retour au fédéralisme. En plus de cela, ceux qui sont au cœur de la crise, à savoir les indépendantistes anglophones sous leurs branches politique et armée ont été ignorées. Vous me direz sans doute qu’ils ont été invités mais ne sont pas venus. Mais le gouvernement du Cameroun ne leur a fourni aucune garantie de ce qu’ils retourneront sains et saufs d’où ils viennent s’ils arrivent sur le lieu des travaux. Les mandats d’arrêt internationaux lancés contre les séparatistes de la diaspora n’ont pas été levés contre certains. Les poursuites judiciaires engagées contre d’autres n’ont pas été annulées. Bien plus, pendant que le gouvernement clamait haut et fort que le dialogue était ouvert à toutes les tendances, il organisait une campagne de presse contre les séparatistes qui étaient qualifiés d’ « axe du mal », de « terroristes », de destructeurs et tutti quanti. Au finish, ce fut un dialogue à la pensée unique où tout tendait à diaboliser le camp des indépendantistes anglophones. A aucun moment, on n’a questionné le comportement de certains soldats camerounais dans les régions anglophones du Cameroun coupables d’avoir rasé des centaines de villages et massacré des dizaines de milliers de civils. Vous avez dit dialogue ? Mon œil ! Moi je parlerai d’états généraux du Cameroun.

Ces travaux pourront-ils suffire à ramener le calme et la paix dans les régions anglophones?

Bien sûr que non puisque les séparatistes ont été de manière subtile exclus de la participation à ces travaux. Si déjà des individus mandatés par le pouvoir de Yaoundé se sont sentis obligés de proposer des sommes d’argent à certains combattants séparatistes pour prendre part au dialogue national, cela signifie que le régime en place a perdu toute crédibilité. En plus de cela, comme je le disais,  les causes réelles du conflit n’ont pas été abordées. On a comme le sentiment qu’en organisant ce dialogue, Paul Biya et son régime ont voulu dire à la communauté internationale : « vous nous avez demandé d’organiser un dialogue, le voilà ». Peu importe le contenu, tout a été fait pour donner l’impression aux chancelleries occidentales que le désir de dialoguer était réel.

Que faut-il?

Je pense que nous devons faire très attention avec ce problème anglophone qui n’est pas à prendre à la légère car il s’agit d’un peuple dont la dignité et la fierté ont été bafouées. Il s’agit de générations entières sacrifiées. Je suis parfois choqué de voir des hommes politiques, des acteurs de la société civile, des universitaires et toute la crème intellectuelle que compte le Cameroun passer à côté du sujet lorsqu’ils sont appelés à parler du problème anglophone. Il ne s’agit pas d’un problème de représentativité des anglophones à des sphères de décision, de bilinguisme, de manque d’infrastructures sociales de base dans les régions anglophones, etc. Il s’agit d’une dispute de souveraineté entre deux ex-territoires sous-tutelle des Nations Unies : la République du Cameroun sous domination française indépendante depuis le 1er janvier 1960 et admise aux Nations Unies le 20 septembre 1960 et le Southern Cameroons dont l’indépendance accordée par les Nations Unies devait être conditionnée par le rattachement à la République du Cameroun voisine le 1er octobre 1961. Je parle bien de voisine puisque la frontière internationale qui sépare les deux Camerouns existe toujours. Les Anglophones sont depuis la fin des années 1950 et le début des années 1960 habités par un sentiment d’injustice. Voilà un peuple qui vivait sur son territoire, qui était un modèle de démocratie en Afrique noire car ayant connu une transition démocratique pacifique à la faveur de la victoire en mars 1959 aux élections législatives du leader de l’opposition John Ngu Foncha sur le Premier Ministre sortant Dr Endeley, qui avait des institutions démocratiques solides (Parlement, House of Chief, Premier Ministère), qui avait une économie qui tournait à plein régime, qui avait une diplomatie.  Subitement, il se rend compte que tout tombe en ruine au contact avec la République du Cameroun. Les institutions sont abolies, les entreprises qui constituaient le fleuron de son économie ferment leurs portes. Vous imaginez un député et un Premier Ministre du Southern Cameroons démocratiquement élus devenir citoyen ordinaire dans un pays voisin ? Quelle humiliation ! Que deviennent les employés qui travaillaient à Powercam, Cameroon Bank, PWD et autres qui ont été contraints de fermer boutique ? En plus de cela, la Réunification qui supposait la jonction de deux Etats indépendants et souverains s’est muée en annexion du Southern Cameroons par la République du Cameroun. Du coup, les Anglophones qui sur leur territoire vivaient sous une démocratie où la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté d’association et la liberté syndicale sont garanties, où les dirigeants ont le devoir de rendre compte au peuple de leur gestion, embrassent subitement un système où les libertés fondamentales sont bridées, où le citoyen est avili, où les dirigeants sont fourbes, corrompus, arrogants et méprisants vis-à-vis du peuple. Conséquence, le sentiment d’avoir tout perdu s’installe. La frustration aussi. Aucun peuple au monde ne peut accepter partir de maître de son destin sur son territoire à sujet sur un territoire voisin. Mais les Anglophones ont été forcés de l’accepter. Et si l’on ajoute à cela ce que ce peuple subit depuis des décennies en termes d’arrestations et détentions arbitraires, de déportations, de tortures, de brimades, de sentiment d’être marginalisées, de clichés dévalorisants (« biafrais », « Bamenda », « Anglofous »), d’exécutions sommaires, de massacres comme ce qui est en cours en ce moment, la coupe est pleine. Je pense que si nous voulons trouver une solution à cette crise, nous devons dire les choses telles qu’elles sont.

Vous pourriez être accusé de soutenir la sécession….

Je ne peux pas soutenir ce qui n’existe pas. On ne parle de sécession que lorsqu’une partie d’un territoire reconnu aux Nations Unies veut s’en détacher pour former un autre Etat. Or le seul Cameroun reconnu au niveau des Nations Unies c’est la République du Cameroun côté francophone. Juridiquement, les deux Camerouns n’ont jamais formé qu’un seul. Ce que les Anglophones revendiquent c’est que la République du Cameroun (partie francophone) qui est membre des Nations Unies depuis septembre 1960 respecte la frontière qui la sépare du Southern Cameroons qui constitue aujourd’hui les deux régions anglophones de la République du Cameroun. Le conflit actuel se nourrit des injustices que j’ai citées plus haut. Rétablir le peuple anglophone dans son mode de vie socio-culturel anglo-saxon, dans ses institutions, dans son droit de disposer de lui-même sur son territoire, dans son droit de choisir ses dirigeants, sa devise, son drapeau, son hymne national, d’avoir sa police, son armée, sa diplomatie, etc, ne serait que justice faite à ce peuple et la paix reviendra sur ce territoire. Et pour ce faire, les Nations Unies ont une lourde responsabilité car elles devraient veiller au principe du respect des frontières héritées de la colonisation qui est une coutume de droit international. Malheureusement, on a comme le sentiment qu’en 1961, le Southern Cameroons a été cédé à la République du Cameroun alors que lors du plébiscite du 11 février 1961, l’ONU a appelé les Anglophones à décider du destin de « leur pays » et non de leur région. Ce qui veut dire qu’à la base, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun forment un Etat. Et c’est ce que les Anglophones revendiquent parce que conforme à la Charte des Nations Unies et à pas mal de résolutions onusiennes. Et seules des négociations entre le gouvernement et les indépendantistes avec au milieu un médiateur international peuvent mettre fin à cette crise.   

Vous estimez que les "ex combattants" présentés au Grand dialogue national ne sont pas des vrais. Qu'est-ce qui vous le fait croire?

Ce sont des investigations que j’ai menées en tant que journaliste qui m’ont conduit à penser que ceux qui ont été présentés à ce dialogue national comme des combattants repentis étaient des faux car les vrais combattants ont rejetées les propositions d’argent et même de voyage en Europe que le régime leur faisait. Parmi ceux qui chantaient l’hymne national lors de la cérémonie d’ouverture le 30 septembre se trouvait une jeune fille qui a pourtant été annoncée enterrée vivante par des « terroristes sécessionnistes » quelques semaines plus tôt. Un autre exemple, c’est celui de Kawa Yannick Kawa. Dans une radio communautaire basé à Kumba fin juillet dernier, il faisait des témoignages selon lesquels il avait créé 3 camps à Mundemba, Mamfe et Muyuka où il terrorisait la population à tel point que même sa mère a commencé à avoir peur de lui. Faut-il le rappeler, les vrais combattants séparatistes vivent en parfaite harmonie avec les populations locales. Elles n’ont donc pas à craindre de leurs actions. Dans son témoignage à cette radio, Kawa Yannick explique que s’il a déposé les armes, c’est à cause du mauvais partage du butin des kidnappings contre rançons car d’autres chefs de gang cherchaient à avoir sa peau. En un mot comme en mille, Kawa Yannick n’était en réalité qu’un chef bandit. Beaucoup d’autres prétendus ex-combattants présents à ce dialogue étaient en réalité des prisonniers. C’est le cas d’un certain Léo Awangha. Le nom de ce dernier figurait sur la liste des 333 détenus bénéficiaires des mesures d’abandon de poursuites prises par le président Paul Biya le 3 octobre dernier. Donc pendant qu’il était présenté comme un ex-Amba Boys présent au dialogue national, Léo Awangha devait en réalité être à la prison centrale de Bamenda. Preuve qu’il a été sorti du pénitencier avant le dialogue pour jouer le rôle d’ex-combattant. Et il est quand même surprenant que des jeunes gens se présentent comme des ex-combattants sans qu’on ne sache quels sont les noms de leurs groupes armés ainsi que ceux de leurs commandants opérationnels et des leaders séparatistes de la diaspora desquels ils répondent, quelles sont les différentes batailles menées à quelles dates contre l’armée camerounaise. 

Pour quel intérêt ferait-on recours à de faux combattants?

Cela rentre dans le cadre de la guerre psychologique. J’ai été mis au courant de ce que des prisonniers anglophones ont été sortis par centaines des pénitenciers de Yaoundé pour être conduits au centre de désarmement de démobilisation et de réinsertion de Bamenda et de Buea afin d’aller jouer les ex-combattants en perspective du dialogue national. Je pense que cette mise en scène vise à affaiblir psychologiquement le peuple anglophone en lui passant le message suivant : « il est inutile de soutenir une lutte armée qui n’ira nulle part, la preuve, regardez comment vos garçons sont en train d’abandonner la lutte ». Cette stratégie vise également la communauté internationale à laquelle le régime de Biya veut faire croire que le recrutement au sein des groupes armés séparatistes n’est pas si volontaire que ça et que les jeunes sont forcés à les intégrer.

Selon vous quel sort pourraient connaître les résolutions de ce dialogues après leur transfert au chef de l'Etat Paul Biya?

En guise de réponse aux revendications des anglophones sur le retour au fédéralisme en 1994 et 1995, Paul Biya leur a imposé un Etat unitaire décentralisé consacré par la Constitution du 18 janvier 1996. Il a fallu attendre le 22 juillet 2004 soit 8 ans après pour que les lois sur la décentralisation soient votées. Puis 14 ans sont passés avant que ne soit créé le 2 mars 2018 un ministère en charge de la Décentralisation et du Développement. C'est dire si Paul Biya prendra du temps pour implémenter certaines résolutions de ce dialogue car le but de l’organisation de ce dernier c’était aussi ça, gagner du temps. J’ai entendu parler du retour à la République unie du Cameroun et de l’octroi d’un statut spécial aux régions anglophones du nord-ouest et sud-ouest. Soyons sincères, les résolutions qui seront implémentées seront celles qui ne nuisent pas aux intérêts de la France qui veut garder la mainmise sur le Cameroun anglophone à cause des richesses de son sol et de son sous-sol, notamment le pétrole. La France n’a jamais voulu que le territoire anglophone jouisse de la moindre autonomie. Voilà pourquoi, les autorités camerounaises qui sont les sous-préfets de la France font feu de tout bois pour que le nord-ouest et le sud-ouest anglophone n’émergent pas comme l’Etat qu’ils auraient dû être dès le 1er octobre 1961. Les enjeux de cette crise anglophones sont donc purement géopolitiques et même géostratégiques. Malheureusement, le droit du peuple anglophone à disposer de lui-même a été sacrifié à l’autel des intérêts égoïstes de certaines grandes puissances dont la France.

Auteur:
La Redaction
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