Cameroun - Montée du discours tribal dans les médias: Le journaliste Xavier Messe tire la sonnette d’alarme

Par Frédéric NONOS | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 18-Sep-2018 - 12h18   7939                      
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Xavier Messe, ex Directeur de publication de Mutations Archives
Dans un post publié sur sa page facebook le 15 septembre 2018, l’enseignant de journalisme condamne la haine tribale qui monte dans l’espace public. Une haine qui fut à l’origine du génocide rwandais en 1994.

Xavier Messe met en garde contre le tribalisme. L’ancien journaliste de Jeune Afrique, RFI, Mutations, Anecdote, est monté au créneau pour condamner la haine tribale qui monte. L’une des plus grosses plumes du journalisme au Cameroun invite les autorités à se lever pour arrêter « cette barbarie verbale ». « Depuis que j’ai vu le jour dans ce pays, nous avons toujours vécu en parfaite harmonie avec toutes les tribus. Je suis meurtri par une telle escalade de la barbarie verbale, qui semble arranger certaines personnes. Si le Cameroun brûle, les flammes n’épargneront personne », s’alarme-t-il.

 

Voici l’intégralité du post de Xavier Messe

Chers sœurs et frères,

Je voudrais m’entretenir avec vous d’un sujet qui grandit chaque jour au Cameroun. Je vais parler du tribalisme de plus en plus agressif verbalement. Ça commence toujours comme cela. On ne sait comment ça se termine. En 1977, je cherchais à me frayer un chemin à la rédaction de Jeune Afrique bondée de journalistes chevronnés, chacun ayant son « territoire » réservé et balisé sur le continent.

Je sollicitais de la direction de me mettre en mission d’observation dans les Grands Lacs, notamment au Rwanda et au Burundi. J’avais choisi ces deux petits pays parce que j’avais constaté que les grands médias ne s’intéressaient à eux que lorsque les Hutus et les Tutsis qui sont les deux grandes composantes ethniques, commençaient à s’entretuer à cause de la haine qu’ils se vouaient réciproquement. Mon premier voyage au Rwanda m’avait donc permis de constater que:

Le kinyawranda était la seule langue partagée par les Hutus, les Tutsis et les Twa. Qu’il n’existe pas de regroupement géographique des tribus comme on en trouve au Cameroun. Sur la même colline (village), on retrouve toutes les trois ethnies même quand elles se détestent. .

Que les habitudes alimentaires sont exactement les mêmes. Que le Intore, la danse chorégraphique est commune. Que les tenues vestimentaires sont communes aussi. De Butare à Ruhengeri, de Rusomo à Gisenyi, de Buyumba à Kigali, tout le monde se côtoie, mais les préjugés pleins les cœurs. Le mépris des uns et des autres se ruminent dans les estomacs.

Depuis donc 1977, je n’ai cessé de fréquenter le Rwanda, pays que je connais le plus en Afrique après le Cameroun. En 1991, j’ai vu naître Radio Muhabura. Créée par le Front patriotique rwandais, cette radio située Milindi à la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda, avait ses émetteurs orientés sur Kigali. Elle proférait la haine du matin au soir contre les Hutus.

En 1992, en réaction, quelques intellectuels hutus emmenés par le professeur d’histoire, Ferdinand Nahimana, créent à leur tour la Société de Radio télé des Milles Collines. Vous connaissez la suite: la guerre opposa les deux ethnies, éclate le 6 avril 1994.

Ces deux radios avaient activé cette guerre, même quand plus tard, on ne retiendra (hypocritement) que, « Radio Mille Collines = Radio de la haine ». Je raconte brièvement cette histoire pour vous dire que, les invectives que je lis dans la presse, les réseaux sociaux, j’écoute à la radio ou suis à la télé, opposant les Bétis aux Bamilléké à l’approche de cette élection présidentielle, je peux vous assurer qu’il n’y a aucune différence avec ce que j’avais vécu au Rwanda la veille de la guerre qui conduisit au génocide rwandais ! Il faut que des voix autorisées s’élèvent pour arrêter cette barbarie verbale.

Depuis que j’ai vu le jour dans ce pays, nous avons toujours vécu en parfaite harmonie avec toutes les tribus. Je suis meurtri par une telle escalade de la barbarie verbale, qui semble arranger certaines personnes. Si le Cameroun brûle, les flammes n’épargneront personne.

 

 

Auteur:
Frédéric NONOS
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