Cameroun - Scandale Foncier dans la Vallée du Ntem/Honorable Germain Mengue Mezui (député RDPC): «Pourquoi ne pas mettre les populations au travail sur leurs terres, pour produire le cacao à vendre à la société qui souhaiterait sans doute plus avoir de la matière première garantie en quantité et qualité que les terres de nos ancêtres ?»

Par Béatrice KAZE | Cameroon-Info.Net
YAOUNDE - 12-Aug-2020 - 16h02   7367                      
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Honorable Dr Germain Mengue Mezui archives
L’élu de la Vallée du Ntem, région du Sud, dans une tribune publiée dans le quotidien Le Jour, formule des propositions de sortie de crise, après avoir mené des discussions avec les populations, les autorités traditionnelles et administratives autour du projet de concession foncière dans le Département.

L’honorable Germain Mengue Mezui, député RDPC, souhaite calmer les tensions qui ont éclaté après l’attribution de 66.340 ha de terres de la Vallée du Ntem pour exploitation agroindustrielle.

Dans une tribune publiée dans les colonnes du quotidien Le Jour édition du mardi 11 août 2020, l’élu de la vallée du Ntem, dans la région du Sud, formule quelques propositions, après des échanges avec les populations, les autorités traditionnelles et administratives du département.

«Ayant analysé les différentes positions, je me permets de proposer la formule qui suit, présentée dans ses grandes lignes, à savoir: 1. La cession des terres pose problème pour la majorité de la population. Les communautés semblent déterminées à ne pas lâcher prise. 2. La compagnie veut avoir le cacao comme matière première pour le transformer en sous-produits divers hors de la Vallée du Ntem. 3. Pourquoi ne pas mettre les populations au travail sur leurs terres, pour produire le cacao à vendre à la société qui souhaiterait sans doute plus avoir de la matière première garantie en quantité et qualité que les terres de nos ancêtres ? Les populations de chez nous savent produire le cacao, et elles sont prêtes à le faire pour le vendre à un éventuel acheteur, si les conditions sont réunies», écrit-il.

Voici l’intégralité de sa tribune.

Honorable Dr Germain Mengue Mezui*

En ma qualité de représentant des populations de la Vallée du Ntem au Parlement, je me sens investi de la mission de courroie de transmission entre les populations du Département et les pouvoirs publics aussi bien au niveau du Département que celui des autorités nationales. Je suis, dans ce cadre, fortement intéressé par les discussions autour du projet de concession foncière dans le Département. J’ai longuement parlé avec les communautés, nos Majestés présents ici, les autorités administratives, les Maires, et mes aînés du parlement.

J’ai également discuté avec de nombreuses autorités au niveau national. Je suis médecin. Et dans ma profession, un bon traitement passe par un bon diagnostic. C’est pour cela que j’ai passé ce temps à essayer de comprendre les positions des uns et des autres, avant d’oser proposer le traitement que je vous présente aujourd’hui. Les colères des populations me semblent compréhensibles. Si elles se lèvent pour s’indigner, acte on ne peut plus logique compte tenu de la gravité de la situation, on parle de plus de 66.000 hectares de forêt dont plusieurs villages, les champs déjà cultivés, les WC, les tombes engloutis. Notre existence est conditionnée par la terre et la forêt. Nous vivons de la chasse, de la pêche et de la cueillette. La perspective de perdre ce bien précieux qui en passant est notre véritable héritage, entraine ces remous au sein de la population et des conflits dans la durée, surtout au niveau de la jeune génération. Certains parlent de promotion du développement et estiment être incompris. Certes, nous n’avons pas encore eu connaissance du cahier de charge mais l’on nous parle de créer des emplois, mais nous avons déjà ces emplois. Nos grands-parents, nos parents et maintenant nos jeunes ont toujours cultivés sur cette terre et c’est par leurs bravoures que nous avons été à l’école grâce aux fruits de leurs durs labeurs, nous avons donc des emplois. On nous parle des logements sociaux mais qui dans la Vallée du Ntem est sans abri ?

Ayant analysé les différentes positions, je me permets de proposer la formule qui suit, présentée dans ses grandes lignes, à savoir : 1. La cession des terres pose problème pour la majorité de la population. Les communautés semblent déterminées à ne pas lâcher prise. 2. La compagnie veut avoir le cacao comme matière première pour le transformer en sous-produits divers hors de la Vallée du Ntem. 3. Pourquoi ne pas mettre les populations au travail sur leurs terres, pour produire le cacao à vendre à la société qui souhaiterait sans doute plus avoir de la matière première garantie en quantité et qualité que les terres de nos ancêtres ? Les populations de chez nous savent produire le cacao, et elles sont prêtes à le faire pour le vendre à un éventuel acheteur, si les conditions sont réunies. Un partenaire sérieux pourrait accompagner les producteurs locaux pour produire ce cacao (organisation des producteurs en coopératives avec qui signer des conventions de partenariat, avec des appuis techniques divers : pépinières pour la production des plants, traitement des plantations, crédits et avances scolaires et en retour, exclusivité de l’achat du produit à des prix compétitifs, incitation à la création de nouvelles plantations par les jeunes, et plus tard appuis sociaux dans le cadre de la Responsabilité Sociale de l’entreprise, etc.). On pourra ainsi établir avec l’entreprise une relation de long terme, gagnant-gagnant, qui pourrait devenir un modèle de collaboration et de développement dans notre pays et en Afrique centrale.

Comment le système pourrait se mettre en place ? *) Un préalable: garantir aux communautés que leurs terres ne seraient pas cédées. Elles pourraient alors recevoir la sécurité pour continuer des investissements sur ces espaces, et éventuellement étendre leurs plantations. Les générations futures auraient également de la place pour participer à ce processus de mise en valeur de cultures de rente, tout en assurant aussi leur autosuffisance alimentaire, et en contribuant à celle du Cameroun et des pays voisins.

*) Un suivi de l’état des lieux et diagnostic participatif de la situation de production du cacao et de l’organisation des producteurs et leurs besoins en appui dans les 4 arrondissements pour élaborer une stratégie d’intervention adaptée et efficace pourra être mis en place.

*) Il faudrait alors un appui aux communautés pour l’organisation en coopératives ou transformation des GICs et autres formes d’organisations déjà existantes par arrondissement et faire émerger une Union ou une Fédération des Unions des Coopératives du département (la coopérative étant la forme d’organisation des producteurs maintenant recommandée par le Minader). *) Si nous retenons ce modèle de coopération, il ne nous reste qu’à inviter l’entreprise à consulter les riverains en vue des signatures des conventions de partenariats pour garantir les intérêts de chaque partie (populations et l’entreprise) et de débuter la mise en œuvre du plan de développement du cacao dans le département. Le cacao s’est développé jusqu’ici dans le cadre de l’agriculture familiale, et je reste convaincu qu’avec un appui et un bon accompagnement, nos populations seront capables de relever ce défi, et d’assurer la production, au moins au niveau attendu par l’investisseur.

Cette proposition a pour but d’apaiser les tensions, et de permettre à chacun des protagonistes d’obtenir ce qu’il veut, sans priver l’autre de ce qui le préoccupe. Si cette piste était retenue, les discussions pourraient s’ouvrir, avec toutes les parties prenantes, pour en définir les contours, et je suis persuadé que les tensions actuellement observées dans le Département retomberaient rapidement. Il semble important d’explorer des pistes nouvelles de collaboration entre les investisseurs et les communautés. Nouvelles dans cette région, mais pas nouvelles dans notre pays.

La SODECOTON par exemple a fonctionné jusqu’ici en s’appuyant sur ce modèle et en appuyant les paysans producteurs, et c’est un modèle à explorer et, éventuellement, à améliorer, pour que l’arrivée d’investisseurs dans le domaine agricole sur nos terres ne soit pas toujours synonyme de pleurs et de grincements de dents pour les populations. Notre créativité collective est sollicitée ici, pour que la Vallée du Ntem serve d’exemple au reste du Cameroun. Comme vous pouvez le remarquer, c’est ma position en tant qu’élu de la Nation.

Député de la Nation*

Auteur:
Béatrice KAZE
 @T_B_A
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