Crise ivoirienne: Vers la dévaluation du FCFA ?

Par Joseph Kuiekem | Le Jour
- 03-Feb-2011 - 08h30   79836                      
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Suite à la crise ivoirienne, s’achemine-t-on vers deux francs Cfa, celui de l’Afrique de l’Ouest dévalué et celui de l’Afrique centrale réévalué?
La Côte d’Ivoire est une base de développement de grande importance en Afrique de l’ouest francophone. Sa prospérité ou sa déchéance aura certainement des conséquences palpables dans les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Les derniers développements de l’actualité montrent que certains pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) envisageraient à brève échéance de pilonner cette économie à coups de canon. Au-delà des pertes en vies humaines, pouvant être facilement assimilées aux « dégâts collatéraux » par les promoteurs de guerre, les pays de l’UEMOA, en déstabilisant l’économie ivoirienne, ne manqueraient pas de désarticuler leur propre système de production et de consommation. Tout ceci devrait entraîner des conséquences néfastes sur les productions intérieures et les exportations des biens et services du groupe. Dans ce contexte, il ne faut pas croire que les comptes des différents Etats à la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ne seraient pas négativement affectés. Les répercussions en termes de comptes au rouge de ces pays auprès du Trésor français ne se feraient pas attendre. Ces économies vivraient alors une dévaluation de fait de leur franc CFA, en attendant que les Etats la rende effective. Il ne faut pas croire qu’une monnaie dévaluée dans l’UEMOA boosterait les exportations comme on avait voulu nous faire entendre lors de la précédente dévaluation du franc CFA. Cela viendrait du fait que l’ensemble de ces économies exportent essentiellement des produits de base, dont la conversion des ventes en monnaie locale ne donnerait aucun avantage au producteur du coin. Au contraire, il s’en sortirait avec une baisse substantielle de son pouvoir d’achat en biens manufacturés importés dont il a besoin pour se maintenir en vie. Depuis le début de cette crise, on assiste à une flambée du prix du cacao sur le marché mondial. Cette flambée pourrait tirer les exportations ivoiriennes vers le haut, contrairement à ce qu’on pourrait logiquement prévoir, après le mot d’ordre préconisant l’arrêt des exportations de cacao et de café. Cela peut se justifier par la grande facilité de communication terrestre qui existe entre la Côte d’Ivoire et les pays voisins. Le cacao est une denrée dont la durée de conservation n’est pas illimitée. Ceci pousserait les producteurs à vendre par toutes les voies possibles, y compris au marché noir. Ces producteurs qui ont faim ne vont pas se laisser affamer par les politiciens qui en retour ne leur donneraient rien en compensation de leur soutien politique. Les citoyens des pays voisins vont donc se procurer le cacao à vil prix chez le planteur ivoirien et ensuite aller naturellement l’exporter légalement dans leur pays. Ce qui permettrait de voir des pays qui produisent le cacao, augmenter artificiellement leurs exportations sans que la production locale monte. Ce serait le cas du Libéria et du Ghana. De même, des pays non producteurs de cacao tels que le Burkina Faso et le Mali deviendraient de nouveaux exportateurs. Ces deux pays ayant pour monnaie le franc CFA, les conséquences dans la dépréciation de la monnaie seraient faibles. Par contre, les pays anglophones (Liberia et Ghana) verraient leur monnaie s’affermir au détriment du franc CFA qui s’affaiblirait. Voilà comment la crise ivoirienne deviendrait une aubaine pour les pays voisins. La spéculation sur les taux de change au marché noir contribuerait à faire baisser le taux du franc CFA à la frontière du Ghana, du Libéria et autres. Les banques centrales concernées se verraient dans l’obligation d’aligner leur taux de change du franc CFA sur celui des marchés parallèles. C’est le genre de franc CFA que l’Afrique francophone s’apprêterait à offrir au monde si cette machine à détruire les économies n’est pas arrêtée à temps. Dans ces conditions, on s’acheminerait vers l’existence de plusieurs francs CFA qui découleraient des taux appliqués sur chaque marché de change. Enfin de compte, pour régler définitivement le problème, un jour ou l’autre il faudrait envisager officiellement une nouvelle dévaluation. Les populations qui avaient déjà subi la première en termes de perte de pouvoir d’achat verraient encore celui-ci réduit à presque rien. Une nouvelle dévaluation pourrait entraîner de graves crises sociales. Dans ces circonstances, on devrait s’attendre à une misère croissante dans ces pays, et celle-ci serait une des conséquences de la dévaluation de fait de leurs économies et de leur monnaie. Les ondes de choc de ces troubles perturberaient le franc CFA jusqu’en Afrique centrale. Conséquences dans la zone CEMAC Depuis des années, les Etats de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) qui exportent la plus grande partie de leurs productions dans un dollar structurellement faible par rapport à l’Euro, la devise mère du franc CFA, ont de la peine à équilibrer leur balance de paiement extérieur. Les parités des monnaies ne permettant pas toujours aux recettes des exportations de couvrir tous les besoins de consommation interne y compris les factures d’infrastructures, souvent payés dans une monnaie plus forte que le dollar, l’euro. Malgré ces difficultés, les Etats parviennent à se maintenir debout dans un équilibre instable. Accepteraient-ils de subir les conséquences d’une dévaluation de leur monnaie dont la cause proviendrait d’un conflit localisé en Afrique de l’Ouest alors que les pays de la zone CEMAC ne sont en rien responsables ? Ne vaut-il pas la peine que ces Etats anticipent les conséquences des événements en prenant des décisions pouvant protéger leur zone des répercussions négatives qui ne vont pas manquer d’arriver de l’UEMOA et qui les obligeraient à accepter une seconde dévaluation de leur franc CFA ? Il s’agirait alors de renforcer la construction d’une barrière étanche entre les deux zones monétaires. Si cela est impossible, nous devons envoyer un message clair à l’Afrique occidentale pour lui faire savoir que nous ne partagerons pas les risques d’une éventuelle dévaluation du franc CFA.




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