Dr Roger Tchuidjan: «Le problème de puissance électrique qui mine le Cameroun est très facilement solvable…Il n’y a pas de malédiction énergétique»

Par | Cameroon-Info.Net
Bruxelles - 18-Jun-2003 - 08h30   59766                      
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La sécheresse ne serait pas la cause première des problèmes d’énergie électrique dont notre pays souffre aujourd’hui. Voici qu’on entend autre chose que ce que l’AES-Sonel nous a officiellement déclaré depuis plus d’un an. Cela a de surcroît toute sa pertinence quand c’est une voix des plus autorisées en matière de génie électrique du pays qui le dit. Le Dr Tchuidjan, professeur à l’Ecole Nationale Supérieur Polytechnique relève ici les manquements et propose quelques pistes...
Ancien Contre-maître à la Sonel qu’il a quittée en 1988 pour aller poursuivre ses études à l’étranger, Roger Tchuidjan est rentré au Cameroun quelque années plus tard avec un doctorat en électricité dans ses valises. Depuis 1999 il transmet ses connaissances aux jeunes générations au sein de l’Ecole Nationale Polytechnique de Yaoundé. Le Docteur Tchuidjan est très souvent sollicité, dans d’autres pays d’Afrique ainsi qu’en Europe, pour résoudre d’épineux problèmes de génie électrique. Il vient de passer 9 mois en Belgique où il a résolu un de plus, avec succès. Nous l’avons rencontrer pour avoir son avis sur la cris d’énergie qui secoue le Cameroun actuellement. Il a bien voulu nous répondre Bonjour Docteur Roger Tchuidjan et merci de bien vouloir répondre à nos questions. Pour nos lecteurs, pouvez-vous brièvement vous présenter? Bonjour Mr Balla, je suis enseignant-chercheur au Laboratoire d’Automatisme et Contrôle du Département des Génies Electrique et des Télécommunications de l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé au Cameroun. Et qu'est-ce que vous faites en ce moment en Belgique? Ma présence en Belgique s’explique par l’invitation conjointe du Laboratoire d’Electrotechnique et Instrumentation de l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve et d’ELIA une société de distribution d’électricité en Belgique. Ceci dans le cadre des travaux de recherches sur le comportement dynamique des systèmes électriques à générateurs d ‘énergie renouvelable connectés aux charges perturbatrices. En bref il s’agit d’une recherche portée sur la qualité de la puissance électrique dont les premiers résultats ont été présentés à Barcelone du 12-15 mai 2003 dans le cadre de la Conférence Internationale des Réseaux Electriques de Distribution ( CIRED ). Et pourtant nous connaissons de sérieux problèmes en matière d'énergie électrique au Cameroun aujourd'hui et vous allez résoudre ceux des "Blancs"... Ecoutez, comme électricien, je suis doublement indigné. Je constate avec regret que le problème de puissance électrique qui mine le Cameroun est très facilement solvable, mais seulement, les acteurs ne s’y mettent pas. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui, elle va simplement de mal en pire. Depuis l’année 2000, le Laboratoire d’Automatisme et Contrôle du Département des Génies Electrique et des Télécommunications de l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé a essayé de contacter AES-SONEL, l’Agence d’Electrification Rurale (AER) et l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL) pour attirer leur attention sur la menace du déficit de puissance électrique que connaîtra notre pays si rien n’était fait, malheureusement, cet appel n’a pas été écouté. C’est vous qui faites la démarche: ce qui veut dire que vous n’êtes pas consultés ? Le principe voudrait que, nous ayons des contacts permanents avec toutes ces agences ou sociétés qui interviennent dans le domaine de l’électricité, mais la réalité est autre chose. Par conscience professionnelle et par patriotisme, lorsque nous constatons les difficultés à venir, nous essayons de contacter les responsables du monde camerounais de l’électricité pour leur expliquer notre point de vue. Toutes ces tentatives de contact ont été vouées à l’échec. Je tiens à rappeler ici, que toutes les sociétés d’électricité dans le monde travaillent main dans la main avec les institutions universitaires, ce qui n’est pas le cas dans notre pays. Savez vous que l’ENSP-Electricité n’a aucun contact avec les sociétés sus mentionnées ? Et pour quelles raisons ? Je ne saurais donner une réponse exacte à cette question, mais seulement on peut croire que les sociétés sus citées ne trouvent pas cela nécessaire. En tant que spécialiste dans le domaine, que pensez-vous de la grosse crise d'énergie électrique que connaît actuellement notre pays? Je voudrais encore rappeler qu’il n’y pas de malédiction énergétique au Cameroun. Certes il y a une crise de puissance électrique qui est dû à la mauvaise foi et volonté de certains décideurs. Notre pays dans le domaine énergétique regorge un potentiel très très important. En somme la crise de puissance électrique qui sévit au Cameroun à l’heure actuelle n’est pas un problème de technique, mais de décision des acteurs tels que AES-SONEL, AER, ARSEL, Ministère de Mines de l’Eau et de l’Energie (MIMEE), Ministère de la Recherche Scientifique et Technique(MRST). S’ils le veulent, la situation se normalisera dans un délai on ne peut plus bref. Notre système d'énergie électrique étant à 90% d'origine hydraulique, le facteur officiel que l'on met en exergue aujourd'hui pourtant est la sécheresse, donc le manque d'eau pour faire tourner les turbines. Ce qui est tout à fait logique. Les capacités des barrages de rétention de Mbakaou, de Bamendjin et de Mappé sont-elles devenus insuffisantes et pourtant elles étaient construites en fonction de tous les paramètres? Le réchauffement de la planète terre est une réalité. Le phénomène d’évaporation devient important et nécessite une attention particulière. Es-ce à dire que c’est l’origine de nos malheurs de puissance électrique ? Je répondrais sans hésiter : non. La maintenance n’a jamais été le fort des Nègres. Ils pensent que l’installation et la réalisation des ouvrages seules importe, Dieu fera le reste. A quand remontent les derniers travaux de dragage dans les barrages de retenus de Mbakaou, Mappé et Bamendjin ? Peut ton confirmer aujourd’hui que les volumes de ces différents barrages sont les mêmes qu’à l’installation ? Je ne saurais dire oui, car quand il n’y a pas eu de maintenance. C’est simple, pas de travaux de maintenance et dragage, le volume se rétrécit avec la boue, les pierres et autres déchets. Conséquence les barrages ne peuvent plus retenir le volume d’eau escompté. Pendant la saison sèche, ces barrages ne peuvent plus jouer exactement leur rôle de prédilection d’où le manque d’eau à turbiner. Cela voudrait dire que ces barrages de rétention ne garderaient plus le même nombre de m³ d’eau ? C’est simple, si au départ vous avez un volume initial Vi (Volume d’installation de l’ouvrage) et que pendant un certain temps, le volume qu’occupent les déchets, pierres et de la boue constitue Vd, Ve étant le volume d’eau évaporé, alors par simple calcul, le volume d’eau à turbiner n’est rien d’autre que Vt = Vi-Vd-Ve . Vous comprenez donc l’importance de la maintenance qui consisterait à éliminer la composante Vd qui est actuellement très importante. Un autre problème majeur est celui de la gestion de l’eau dans ces barrages. Une gestion qui est conditionnée par les évènements à caractère politique : éviter au maximum le mécontentement de la population. Tenez pour exemple, le Cameroun doit participer à une coupe d’Afrique de football (ça peut être la fête Nationale), l’ordre (il ne doit pas avoir de black out) est de tout faire pour alimenter les ménages (téléviseurs) pour la retransmission en directe des matches. Dans la plupart des cas ces compétitions se passent en saison sèche. Pour alimenter ces ménages, les barrages de retenus sont obligés de fournir plus d’eau qu’à l’accoutumée. Après l’évènement, il faut gérer le peut d’eau, d’où le délestage. La puissance électrique de Songloulou est loin d’être atteinte, il faut simplement faire la maintenance des installations et ouvrages, la sécheresse ne sera plus qu’un très petit problème. En définitive, si les travaux de dragage et de maintenance ne sont pas faits à Mbakaou, Mappé, Bamendjin, Songloulou n’aura jamais la quantité d’eau nécessaire pour produire l’électricité dans les années à venir. Et de là notre maigre tissu industriel en souffrira sérieusement, le développement avec.
Songloulou compte tout de même 8 groupes. Combien fonctionnent à ce jour ? Il m’est difficile de dire avec exactitude le nombre de groupes qui serait en fonctionnement à Songloulou à l’heure actuelle. Ce n’est un secret pour personne que Songloulou ne fonctionne même pas en la moitié de son régime permanent. Car si cette centrale fonctionnait en plein régime, nous serions capables d’exporter de la puissance électrique. En 1982, le nombre d'abonnés était de 125064, de 315000 en 1990, il avoisine aujourd'hui le million. Ca peut causer problème, non? En même temps, on parlait d'exporter le courant vers les pays voisins comme la Guinée Equatoriale, la République Centrafricaine ou encore le Tchad il n'y a pas si longtemps de cela... L’exportation de l’électricité du Cameroun jusqu'à preuve de contraire n’est pas un mythe, mais une réalité très possible, encore une fois que veulent les décideurs ? Nous sommes un pays bénit des dieux pour ce qui est des ressources énergétiques. Dans ce domaine le Cameroun se crée des jaloux, sans le vouloir. Mais le malheur se traduit dans la question qu’en fait-on ? Pour ce qui est de l’accroissement de la population, il ne devait pas y avoir des problèmes car la construction de Songloulou avait prit en compte cette donnée démographique. Outre cela que fait l’AER ? Elle devait résoudre le problème d’électrification rurale pour alléger la distribution urbaine en multipliant des sources de production décentralisée. Et le MIMEE ? Ou en est-on avec l’électrification de je ne sais plus trop combien de villages ? Que sont devenus les barrages (centrales) de Powercam dans le Sud-Ouest du Cameroun ? Le nombre grandissant d’abonné doit être prit en compte par AES-SONEL. C’est claire qu’avec notre potentiel énergétique, nous sommes capables de produire de l’électricité pour toute la région, c’est juste un problème de volonté et d’intérêt. Comme d’habitude, tout est bien sur papier mais la réalisation est toute une autre histoire. Vous qui avez travaillé à la Sonel avant d'aller poursuivre vos études et embrasser finalement la carrière d'enseignant, quel est votre avis sur les infrastructures du réseau électrique au Cameroun par exemple en matière de transport de l'énergie quand on sait qu'il y a parfois de très longues distances à parcourir du barrage vers les lieux de consommation? Il n’est d’aucun secret pour personne que les installations électriques de notre Grand Pays sont d’une vétusté légendaire. De nos jours dans les réseaux, certaines lignes de transport ou de distribution sont considérées comme des « fusibles ». Des contacts des appareils de protections et de manœuvres soudés. Outre les lignes de transport ou de distribution, les transformateurs sont très surchargés, on attend facilement 1.2Sn. Ce qui est abominable. Les systèmes d’automatisation et d’automatisme ne réagissent plus conformément aux attentes. Les « toiles d’araignée » constituent également une difficulté majeure dans la distribution de l’électricité. Qu’entendez-vous par « toile d’araignée » ? C’est jargon purement électricien…………, ceci veut simplement indexer les consommateurs non identifiés (construction anarchique) par la société de distribution de puissance électrique. Les réseaux à caractère radial permettent de grandes pertes de puissance. L’interconnexion des réseaux RIS (au Sud) et RIN (au Nord ) serait nécessaire d’autant plus les graphiques de charge montrent que les pics de puissances électriques ne sont pas atteints au même moment( voir même période) . D’autre part, les saisons climatiques entre le Nord et le Sud sont différentes. On avait pensé que la privatisation allait être un plus pour résoudre tous ces problèmes dits techniques. On est en droit de se poser la question de savoir : quel est l’impact positif de la privatisation de la SONEL sur la pauvre population ? Quel a été le rôle du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale dans cette braderie du bien camerounais ? D’après Pierre Olivier Pineau, la privatisation de la SONEL a été violente, brusque et surtout non préparé. Il fallait d’abord créer l’ARSEL, former des cadres longtemps avant la privatisation. Car le consortium AES ayant une grande expérience dans le domaine, il leur est très facile de « dévorer » les jeunes cadres de l’ARSEL sans expérience dans la régulation. La privatisation de la SONEL devait se faire pas à pas comme dans les pays tel que le Ghana et autres. Il fallait d’abord libéraliser le secteur. Favoriser la création des entreprises concurrentes à la SONEL. Aujourd’hui on est en droit de se demander si on avait le droit de quitter le monopole d’état vers le monopole privé quand on connaît la soif des bénéfices des multinationales ? Quels étaient les clauses de cette privatisation (L’ENSPY- Génie Electrique n’est pas au courant) ? Pourquoi AES-SONEL n’est pas sanctionné ? AES-SIROCO aux Etats-Unis, la Maison-mère est en proie de problèmes, ceux des succursales deviennent secondaires en ce moment… C’est normal et même légitime, pour eux. Depuis un certain temps les multinationales américaines ont du pain sur la planche. AES-SIRROCO ne sort pas du lot. Pour résoudre les problèmes de la maison-mère, on a besoin des capitaux qui viennent des succursales. Conséquence, aucun investissement n’est possible dans les pays pauvres où se trouvent ces succursales, mais par contre on a besoin de leur argent frais. Il est un peu bête d’attendre un investissement de la par de AES-SONEL dans un délai bref. Venons-en aux solutions: Que peut-on faire concrètement aujourd'hui pour résoudre la crise? Pour ce qui est des solutions à cette crise de puissance électrique, le Laboratoire ACL de l’Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé au Cameroun à initier des travaux de recherches au courant de l’année 2001 sur les Coupures intempestives dans les réseaux d’énergies électriques au Cameroun : tentatives de solutions. Outres les solutions proposées dans le cadre de ces recherches, le Laboratoire ACL est disposé à proposer d’autres solutions plus simples et à court terme. Je profite de cette occasion pour attirer l’attention des élites des régions du Cameroun sur la possibilité de construire de pico, micro-centrales à des coûts réduits. L’AER, le MIMEE et MRST doivent se lancer dans la recherche des énergies nouvelles. Le Laboratoire ACL de l’ENSPY les accueillera sans aucun doute pour études ou consultations. Encore une fois j’invite AES-SONEL à rencontrer le Laboratoire ACL de l’ENSPY qui pourra leur être d’une très grande utilité. Il m’est difficile de croire que AES-SONEL puisse s’en sortir sans l’aide des universitaires. Il est indiqué de rappeler ici que le Cameroun regorge d’énormes ressources humaines ( ingénieurs hautement qualifiés ) dans le domaine de l’industrie électrique, ils n’attendent que d’être employées. Monsieur Tout le monde a peut-être des efforts à faire de son côté; du point de vue de la consommation d’énergie par exemple? Vous serez peut être surpris de m’entendre dire que le problème de la puissance électrique est national en ce sens que, tout geste du citoyen camerounais est bénéfique pour la distribution. Tenez par exemple, savez vous que les téléviseurs en état de veille consomment ? Que gagnerait-on en mettant tous les appareils électriques hors tension ? Existe t-il des solutions alternatives à l'hydraulique? L’hydraulique aujourd’hui n’est pas dépassé, mais seulement mal exploité. Combien avons-nous de fleuves et chutes de grandes importances dans notre cher pays ? Si l’on sait inventorier, alors nous suscitons des jalousies sans le vouloir. La partie septentrionale de notre pays est couverte de soleil qui est une source d’énergie renouvelable. Dans cette même région les vents sont constants. Donc l’énergie éolienne peut être transformée en électricité. Dans la capitale économique et politique, les déchets peuvent être transformés en électricité – c’est la Biomasse. En somme Dieu n’est pas fâché contre le Cameroun comme on tente de nous le faire croire. Si l’on suppose même que la situation de crises de puissances électriques cette année est une malédiction, qu’envisagent AES-SONEL, AER, ARSEL, MIMEE et MRST pour que la pareille ne se reproduise plus l’année suivante.




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