Face au coronavirus, l'Ethiopie s'en remet à ses médecins de la diaspora

Par Agence France Presse | AFP
Addis Abeba - 12-May-2020 - 23h13   3465                      
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Une employée du inistère de la Santé fait du porte-à-porte pour tester les habitants d'Addis Abeba, le 20 avril 2020 AFP/Michael Tewelde
Chaque jour de la semaine à midi, Mehret Debebe, un animateur radio, prend le chemin de son studio pour une émission de libre antenne dédiée à un unique sujet: les conséquences du nouveau coronavirus en Ethiopie.

Les questions viennent des coins les plus reculés du pays, où la population rurale se demande comment elle doit se préparer à l'épidémie et parfois même si le virus existe vraiment.

Les réponses, elles, arrivent d'encore plus loin. Car Mehret Debebe a rempli sa liste d'invités de médecins éthiopiens travaillant à l'étranger, dans des pays parfois durement touchés, en particulier aux Etats-Unis.

"Nous, nous ne sommes encore que dans une phase de précrise. Donc je pense qu'apprendre d'eux peut beaucoup nous aider", explique à l'AFP M. Mehret, lui-même psychiatre formé aux Etats-Unis, "nous ne savons pas encore quelle forme va prendre la crise pour nous".

Selon la Banque mondiale, l’Ethiopie n'a qu'un médecin pour 10.000 habitants, soit moitié moins que le voisin kényan, quatre fois moins que le Nigeria et neuf fois moins que l'Afrique du Sud.

Mais pendant cette crise, des médecins éthiopiens - parmi lesquels des collaborateurs du directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, lui-même éthiopien - ont apporté leur expertise à l'étranger, notamment dans des zones très touchées comme New York.

L'émission de M. Mehret fait partie d'un effort plus global pour inviter ces médecins à contribuer à améliorer la réponse apportée par l’Ethiopie au coronavirus.

Pour l'heure, le pays n'a officiellement recensé que 250 cas de maladie Covid-19, dont cinq décès. Mais les experts estiment que son système de santé ne serait pas en mesure de faire face à un fort afflux de nouveaux cas.

- "Après avoir vu ce que j'ai vu" -

"C'est le scénario du pire", juge le Dr Wubrest Tesfaye, coanimateur de l'émission avec M. Mehret. "Bénéficier du vécu de quelqu'un qui est en première ligne, qui intervient au plus fort de l'épidémie, nous donnerait les bonnes informations" pour se préparer.

C'est en mars que le Dr Tsion Firew, une urgentiste basée à Manhattan, a compris que l'épidémie serait aussi catastrophique que tout ce qu'elle avait pu voir au cours de ses années passées à soigner dans des conflits ou des désastres humanitaires.

De nouveaux patients dans un état critique n'arrêtaient pas d'arriver et le manque d'informations sur le virus ne faisait qu'attiser la peur et l'angoisse de chacun.

"J'avais l'impression d'être de retour à Mossoul", dit-elle en évoquant son passage en 2017 dans la ville irakienne tout juste libérée de l'emprise de l'Etat islamique.

Elle a récemment raconté cette expérience dans l'émission de M. Mehret. Selon ce dernier, son récit a permis aux auditeurs de mieux saisir la gravité de la situation.

Ce qu'elle a connu à New York, ville américaine la plus affectée, a aussi fourni au Dr Tsion des arguments au sein d'un comité mis en place par le gouvernement éthiopien pour lutter contre le coronavirus.

Quand elle s'est retrouvée en désaccord avec les responsables éthiopiens, estimant qu'ils tardaient trop à se procurer des kits de dépistage par exemple, elle a fait entendre sa voix "énergiquement", confie-t-elle.

"Après avoir vu ce que j'ai vu chaque jour, le nombre de morts que j'ai vus chaque jour, mon ton a changé", remarque-t-elle. "Je suis devenue plus insistante. Même avec la ministre de la Santé".

- Rester vigilants -

Autre invité récent de Mehret Debebe, le Dr Dawd Siraj, un expert éthiopien des maladies infectieuses de l'Université américaine de Wisconsin, a tenté de convaincre les auditeurs de s'en tenir aux faits et aux discours scientifiques.

"Les fondements de la science et les méthodes pour arriver à des conclusions sont solides. Je veux expliquer ça au public de manière simple et compréhensible", indique-t-il.

Pour l'animateur, ce message est bienvenu en Ethiopie, pays profondément religieux où de nombreuses personnes pensent que Dieu les protégera du Covid-19: "les gens pensent vraiment que Dieu s'en occupera, parce qu'ils ne voient pas" la maladie.

La semaine dernière, M. Mehret a accueilli le Dr Wondwossen G. Tekle, neurologue de l'université américaine du Texas, qui a lui-même guéri du Covid-19.

Tout en décrivant les symptômes - douleurs, tremblements, perte du goût et de l'odorat -, le Dr Wondwossen a expliqué l'importance des règles sanitaires de prévention.

Si le nombre officiel de cas reste faible en Ethiopie, il y a des dizaines de cas de transmission intracommunautaire et les responsables appellent à l'humilité face au virus.

M. Mehret espère que les gens auront retenu de l'histoire du Dr Wondwossen que "tout le monde peut attraper ce truc et que vous pouvez en guérir". Mais il veut aussi que ses compatriotes comprennent qu'ils doivent rester vigilants.



Par Robbie COREY-BOULET | AFP

Auteur:
Agence France Presse
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