Jean Bikoko Aladin, le Pape de l'Assiko tire sa révérence !

Par Pr. Franklin Nyamsi | Correspondance
Rouen (France) - 24-Jul-2010 - 08h30   54939                      
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"A 71 ans, il nous dit le terrible adieu de l’homme qui poursuivait son œuvre quand la mort le happa..."

Jean Bikoko Aladin, chez Franklin Nyamsi à Rouen, en 2009
Photo: © Pr F. Nyamsi
«Femmes de mon pays natal et vous défunts Hommes vaillants, gens du voyage et enfants Ceignez vos reins du pagne que rythme l’écho Et dansez l’Assiko de Jean Aladin Bikoko ! Le père de l’Assiko moderne s’en va en terre Là-bas près d’Eséka, entre mille parterres Saluez le rythme, le battement, le sublime génie De celui qui dérouilla nos reins de sa frénésie Il est mort ce matin à Yaoundé et il survivra Si tu racontes à tes enfants la danse des Tara Le pas du pagayeur Malimba de Dizangué à Edéa Qui réveille les génies enchantés de la Sanaga Il est mort ce matin et dans nos cœurs il revivra Celui qui grinçait le Hilûn avec tant de maestria Et qui parlait de l’indigent avec grâces et merci Dans notre pays livré aux vendeurs de pain rassis»

Jean Bikoko Aladin
Photo: © Archives
Ce jeudi 22 juillet 2010, l’Agence Africaine de Presse (APA), nous annonce le retrait de la lumière du monde à notre ami Jean Bikoko Aladin, musicien émérite, pape du rythme assiko. Jean Bikoko Aladin est mort ce jeudi 22 juillet à Yaoundé du Kamerun. Le jour fatidique de l’inscription d’Aladin en nos cœurs et mémoires est venu. A 71 ans, il nous dit le terrible adieu de l’homme qui poursuivait son œuvre quand la mort le happa. La musique était sa vie, et en ses derniers jours, il chantait pour adorer l’Eternel. Il avait perçu dans l’Instant, l’éclair de l’au-delà qui donne au sage sa sérénité ultime. Même pas peur. Il était prêt à mourir parce qu’il n’avait jamais dédaigné de vivre pleinement son temps et ses possibilités. Voici venue l’heure des retrouvailles d’outre-tombe entre Jean Bikoko Aladin et son fils bien-aimé mort à 17 ans, Jean Bikoko Précieux, décédé quelques mois avant la sortie du dernier disque de l’artiste, si justement intitulé « Kèl ma wo » - en basaa, « Quand je mourrai »-. La mort de cet enfant fut la douleur qui étreignit jusqu’à son dernier soupir, le grand Jean Aladin Bikoko, car Précieux était un virtuose qui féconderait le champ du Père, comme Femi Kuti pour Fela Kuti au Nigeria par exemple. L’enfant mourut, sans crier gare, laissant le Père abasourdi de douleur, presque rendu fou par la dureté du sort. J’ai fait la rencontre individuelle de Jean Bikoko Aladin lors de sa dernière tournée européenne, en 2009, après avoir été bercé et accompagné toute mon enfance durant, par la virtuosité de son jeu de guitare. Une carrière musicale commencée en 1953 et poursuivie avec une cadence de production prolifique, le mettait à l’abri du moindre soupçon d’amateurisme. Son rythme, recherchant le battement vibratoire de la voix humaine, était expression de la force génératrice du Grand Rite Initiatique Basaa du Ngué, dont il possédait les dons sonores, puisqu’il était passé Grand Maître du « Hilûn hi Manganda », « La musique des grandes occasions ». Sa musique avait par ailleurs épousé les contorsions de l’histoire politique du Kamerun, où il comptait des admirateurs et parfois des amis dans tous les camps, maniant cet art de l’ironie et de la bonhomie qui était si justement le sien. Né dans le terroir du nationalisme upéciste, il en connaissait les tragédies et la grandeur. Ce ne fut pas par hasard qu’il chanta « Hiki Jam Li gwé ngèn » - « Chaque chose a son temps », en référence à dictature sanguinaire d’Ahmadou Ahidjo. Dans le même temps, il chantait pour la paix retrouvée entre les enfants du Kamerun, appelant les upécistes à rejoindre la république qui naissait en faisant la paix des braves. Jean Bikoko avait ses audaces et ses négligences, mais sut rester essentiellement le musicien du peuple, le prince qui appelait « Tout le monde, Samedi soir ! ».

Jean BIKOKO ALADIN donnant une Interview à Rouen en 2009,
chez le musicien Yves BENG
Photo: © Pr F. Nyamsi
Descendu pendant une semaine chez son neveu - mon ami Yves Beng, lui-même musicien, à Rouen - il nous fit l’honneur d’une journée musicale mémorable – avec une danseuse d’Assiko venue exprès de Paris - et passa une journée entière en ma compagnie à mon domicile de Mont Saint-Aignan, partageant mon pain du jour et me prodiguant force conseils pour durer et réussir de belles œuvres dans l’existence. Nous passâmes des moments rares. Il s’émerveilla de prendre un petit-déjeuner avec moi dans un Mac Donald. A sa demande, je l’emmenai un autre jour dans des boutiques de chapeliers à St-Sever où j’eus le plaisir de lui offrir un spécimen de son choix. Nous devions nous revoir, de longues interviews et un projet d’ouvrage avaient vu le jour en compagnie de Yves Beng. Nous devons l’accomplir maintenant, plus que jamais, afin qu’autour des chansons de Jean Bikoko Aladin qui sont son legs le plus essentiel à la postérité, gravitent quelques méditations essentielles qui nous rappellent la quête de sens qui fut la sienne. Salut abrupt et fraternel, mon cher Doyen. Et comme on dit dans notre bonne vieille langue maternelle basaa, « Maké mallam î lon î ba mbombog » ! « Bon voyage aux pays de nos ancêtres » ! Adieu, Jean Bikoko Aladin, que ta barque entourée de fleurs glisse tranquillement sur le fleuve éternel de la vie spirituelle… Pr. Franklin Nyamsi Rouen, le 22 juillet 2010.




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