Journée de l’enfant Africain: Les adultes confisquent le Parlement des enfants

Par Céline Lemaire (stagiaire) | Le Jour
- 17-Jun-2011 - 08h30   52501                      
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180 jeunes Camerounais de 8 à 18 ans se sont réunis au Palais des Verres de Ngoa-Ekelle, à Yaoundé. Pour savoir ce que les enfants avaient vraiment à dire, il fallait assister aux répétitions de la veille. « Vous parlez d’amitié franco-camerounaise mais qu’est-ce qu’ils font, les Français, pour aider les Camerounais ? », demande un député junior.

Les deputes Juniors
Photo: © Le Jour
Ce mercredi 15 juin, au Palais des Verres, à Yaoundé, les dernières répétitions du Parlement des enfants sont en cours. Les questions des jeunes fusent. Au perchoir, un des membres de l’administration de l’Assemblée Nationale se lance dans une réponse en forme de rappel historique: « Le Cameroun a été colonisé par la France […] aujourd’hui, les Français font beaucoup pour aider les Camerounais à améliorer leur situation en leur accordant des prêts, des dons ». Au Cameroun comme en France, on enseigne donc l’Histoire par omission. La réponse ainsi donnée, un autre jeune se dresse du dernier rang: « Est-ce que les femmes aussi peuvent être présidentes de l’Assemblée Nationale? » Et puis les demandes se font plus prosaïques: « Nous sommes députés juniors. Est-ce que cela va nous garantir un travail? » « Est-ce que son Excellence Paul Biya sera là demain ? » Diba Mbock, 15 ans, siège à la droite de l’Assemblée. Elle étudie en classe de seconde au lycée technique d’Edéa. « J’ai été élue parce que j’étais la meilleure de mon lycée », se vante-t-elle. D’autres sont portés par un engagement plus personnel lié au thème de cette année : « Tous ensemble pour des actions urgentes en faveur des enfants des rues ». Atah Nyam, 11 ans, est de ceux-là. Avec 31 autres députés juniors, il est venu représenter sa région, celle du Littoral. Il s’est personnellement informé sur la situation des enfants des rues. « J’ai regardé deux documentaires et j’ai lu la Convention des droits de l’enfant. J’ai aussi des amis qui ont fugué après avoir été maltraités par leurs parents », explique-t-il. A ses côtés, Aliou Moustapha Junior, 12 ans, représente la région de l’Est. Il a lui-même vécu dans la rue. Il est donc venu pour aider à résoudre ce problème qu’il connaît bien. Le lendemain, à 9 heures, les députés juniors arrivent à l’Assemblée Nationale en rangs d’oignon. Atah Nyam, en tenue d’apparat, monte les marches qui le conduisent au séjour. Les flashs des paparazzis crépitent. Par petits groupes, les enfants s’installent dans les larges fauteuils. Certains sont happés par un journaliste de radio, micro à la main et casque sur les oreilles. Cela ne semble pas les troubler. D’autres, comme Aliou Moustapha, avec une aisance presque insolente font même signe aux photographes de les prendre en photo. Les paillettes ont au moins le mérite de les faire patienter jusqu’à l’arrivée des corps diplomatiques, des organisations internationales, des membres du gouvernement et, enfin, du Président de l’Assemblée Nationale. Tous n’entreront en scènes qu’à 11 heures passées. Dès lors, les interventions se suivent et se ressemblent. Toutes débordent de salutations et de remerciements. Après le discours du représentant de l’Unicef au Cameroun, celui du ministre des Affaires sociales, celui du président de l’Assemblée Nationale lui-même, à 11H50 mn, la parole est enfin aux enfants. Mais déjà, sur leurs visages, l’ennui le dispute à l’impatience. A chacune des cinq questions posées, un ministre se lance dans un long monologue tissé de technique et de langue de bois. Les questions sont pourtant claires et simples. Peut-être trop: Que comptez-vous faire pour que, cinquante ans après l’indépendance, toutes nos familles aient accès à l’eau? Que fait le gouvernement pour assurer la sécurité et la stabilité de l’emploi de nos parents? Pour lutter contre la mortalité infantile? Pour préserver les enfants de l’irresponsabilité de certains parents? Pour bannir les abus sexuels perpétrés au sein des établissements scolaires? Au terme de l’ordre du jour, est inscrit le vote de la résolution finale rédigée par les enfants. Sans surprise, ils l’approuvent à l’unanimité. L’empressement témoigné par le président de l’Assemblée Nationale à clore les débats est étonnant. « Y a-t-il des questions dans l’assemblée? » A peine a-t-il terminé de prononcer ces mots que déjà, il conclut : « Puisqu’il n’y en a pas, je déclare la clôture du Parlement des enfants » Au total, sur deux heures, « le fer de lance de la nation » n’aura disposé que de neuf minutes pour faire entendre sa voix, soit moins de 8% du temps de parole global. Problème d’eau, le gouvernement interpellé Cinquante ans après l’indépendance, les Camerounais sont toujours victimes de coupures d’eau et d’électricité, n’y ont pas accès du tout, ou les paient à prix d’or. Que comptez-vous faire pour que les familles aient accès, en toute quiétude, à ces ressources essentielles ? Telle était la question posée au Ministre de l’énergie et de l’eau, Ngako Tomdio Michael par les députés juniors. « Améliorer l’accès aux énergies fait reculer la pauvreté par l’amélioration de la qualité de vie », a déclaré le ministre en guise d’introduction. Il a ensuite dressé ces bilans : 48% des ménages et seulement 22 % des localités, au Cameroun, sont électrifiés. L’offre d’eau ne répond qu’entre 30 et 35 % à la demande en milieu urbain. L’objectif, en matière d’accès à l’électricité est fixé à l’horizon 2035. A cette date, tout le territoire devrait avoir accès à l’électricité et à moindre coût. Des centrales hydroélectriques ont déjà été construites. Du côté des projets en cours, par exemple, un renforcement des infrastructures d’un coût global de 42 milliards de FCFA cofinancé par le Japon, la Banque africaine de développement et le gouvernement du Cameroun devrait bientôt permettre la fourniture d’énergie électrique à 430 nouvelles localités. Du côté de l’eau, à l’horizon 2015, le ministre souhaite doubler le nombre d’abonnés qui est aujourd’hui de 295 000 et amener à 75 % l’accès à l’eau en milieu rural. Un projet d’assainissement et d’approvisionnement en cours devrait permettre d’augmenter de 100 000 m3 par jour la fourniture d’eau à Douala. Propositions des Députés juniors 30 millions de jeunes, en Afrique, vivent et/ou travaillent dans la rue, selon les chiffres de l’Unicef. Cette année, la journée mondiale de l’enfant africain leur était dédiée. Elle avait pour but la mise en place « d’actions urgentes » en faveur de ces enfants. Au Cameroun, ce sont 180 députés juniors qui ont pris le problème en mains. Venus des quatre coins du pays, 87 filles et 93 garçons se sont réunis, du 8 au 17 juin pour plancher sur le sujet. De leur réflexion a émergé une résolution qu’ils ont votée hier, à l’unanimité, à l’Assemblée nationale. Elle conciliait les propositions suivantes: concevoir et mettre en place des programmes d’éducation à destination des parents qui ont du mal à assumer leurs responsabilités; intégrer les enfants des rues dans des programmes d’envergure nationale avec, par exemple, des campagnes de vaccination, des campagnes de dépistage du Sida; créer des centres d’accueil pour la sécurité des enfants des rues et assurer des formations professionnelles en vue de leur réinsertion; promouvoir la solidarité en instituant des familles d’accueil qui permettraient aux enfants des rues de retrouver un environnement favorable à leur épanouissement; créer des centres de réhabilitation et de désintoxication pour les jeunes victimes de la toxicomanie. Le président de l’Assemblée Nationale a dit avoir « écouté avec attention les députés juniors » mais n’a pas précisé dans quelle mesure il prendrait en compte, ou non, la résolution du Parlement des enfants.




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