Le Leadership Economique du Cameroun en zone CEMAC: Obstacle ou atout à l’intégration régionale ?

Par François Colin NKOA * | Correspondance
- 11-Jun-2005 - 08h30   77421                      
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Interconnexion des territoires en zone Cemac et conditions d'une croissance endogène sur le plan régional...
Le processus d’intégration régional, depuis l’avènement de la Cemac en 1994, semble s’être accéléré notamment par la création d’un certain nombre d’institutions et des efforts notables dans la coordination des politiques économiques sur le plan régional. Un certain nombre de ces mesures sont déjà effectives sur le plan institutionnel. Il s’agit notamment des réformes qui débordent largement la sous-région de la Cemac comme le traité de l’Ohada (Organisation pour l’Harmonisation du Droit des affaires en Afrique), celui qui institue la Conférence Interministérielle du Marché des Assurances (Cima) et celui qui institue la Conférence Interministérielle de la Prévoyance Sociale (Cipres). En ce qui concerne les réformes limitées aux pays de la Cemac, on peut noter la réforme fiscalo douanière de l’Afrique centrale qui a été réalisée avec succès et qui permet un allégement de la fiscalité dans la zone Cemac par la suppression de plusieurs taxes intermédiaires et l’instauration au sein de la zone d’une taxe unique sur le chiffre d’affaires (Tca) et sur la valeur ajoutée (Tva). La création et le fonctionnement efficace de la Cobac (Commission bancaire de l’Afrique centrale). Les pays de la Cemac ont aussi, depuis quelques années, mis en place un dispositif de surveillance multilatérale qui a pour objectif la coordination des politiques économiques (budgétaires et monétaires) afin de favoriser la convergence nominale des économies de la zone. On note cependant que de nombreuses institutions prévues lors de la création de la Cemac ne sont pas encore opérationnelles. Il s’agit par exemple du Parlement, de la Cour des Comptes régionales s’est heurtée à une querelle entre le Cameroun et le Gabon sur la localisation de cette institution. Le choix de l’implantation de cette structure de financement des entreprises à Libreville a conduit le Cameroun à créer Sa propre bourse des valeurs. Toutes ces mesures sont intéressantes et nécessaires dans la mise en œuvre du processus d’intégration régionale en zone Cemac mais il nous semble qu’elles ne peuvent permettre de parvenir à une intégration réelle dans la sous-région par l’interconnexion des territoires. Une telle intégration encourage l’interaction entre les acteurs privés des divers territoires de l’espace régional qui deviennent ainsi les principaux du processus d’intégration et favoriser les échanges entre les territoires. Pour parvenir à une telle intégration, il est nécessaire de construire au niveau régional et au sein de chaque pays, un seuil minimal de capital spatial pour interconnecter les territoires et développer ainsi les échanges entre les pays participants. La notion de capital spatial développée ces dernières années dans de nombreux travaux théoriques (Beaumont 1997, Hugon 2002, Leon, Akanni-Honvo 1998) est d’un apport important dans l’analyse des processus d'intégration réelle dans les pays en développement en général et en Afrique en particulier. Le capital spatial se définit comme la somme des capacités productives localisées qui concourent à accroître la productivité des autres facteurs de production. Il est constitué des facteurs de croissance (communications, services à la production) localisés dans l’espace et générateurs d’externalités d’agglomération (coûts de transaction, effets de taille dé marché, externalités de connaissances). La construction d’un capital spatial à la fois sur le plan régional et national est crucial parce que si au sein d’un ensemble de pays participant à un accord d’intégration régionale, un des pays dispose d’un capital spatial plus riche et d’un avantage comparatif important par rapport aux autres, on assistera à une tendance à la polarisation ou à la concentration des activités qui créent des divergences en termes de croissance entre les pays qui participent à un accord de coopération régionale. A l’inverse, l’existence d’un capital spatial à ces deux niveaux (national et régional) conduit généralement plutôt à des effets de diffusion ou de contagion de la croissance en réduisant les coûts de transport, en favorisant les transferts de technologie ou en baissant les coûts de transaction. Le capital spatial sur le plan régional en zone Cemac reste à construire. Les infrastructures de télécommunications en général et de transport en particulier sont dans un état embryonnaire et constituent donc un obstacle à la mobilité des facteurs de production et des biens dans la sous-région qui sont les principaux canaux de diffusion de la croissance. Selon les statistiques disponibles, le réseau routier principal dans les pays de la zone Cemac a une longueur de 57858 km dont 12 % seulement sont des routes bitumées. Pour l’ensemble de la région la densité routière pour les routes bitumées est de 0,24. Ces chiffres sont les plus faibles des différentes régions du continent selon le Bureau Afrique centrale de la Commission Economique pour l’Afrique. On peut aussi noter qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de couple de pays, au sein de la Cemac, dont les capitales sont reliées par une route bitumée même si de nombreux projets allant dans ce sens existent. Ainsi, il faut encore entre 7 et 10 jours pour aller de Douala à Bangui (1450 km), avec près d’une vingtaine de points de contrôle de divers services administratifs (police, gendarmerie, eaux et forêts, douanes, municipalités) qui induisent un Coût variant de 250 000 à 300 000 Fcfa par voyage soit parfois jusqu’à 40% de la valeur de la marchandise transportée. A l'intérieur de la Cemac, les voies ferrées ne sont pas interconnectées et répondent à des objectifs purement nationaux: désenclavement de Brazzaville pour le chemin de fer Congo Océan ; désenclavement de Yaoundé et du Nord Cameroun depuis le prolongement du transcamerounais jusqu’à Ngaoundéré dans les années 1970, exportation du manganèse et du bois par le trans-gabonais, la plus récente des infrastructures ferroviaire d’Afrique centrale achevé en 1987. Le transport aérien international, représente un indicateur du niveau de l'intégration régionale. Il est généralement plus facile et rapide de passer par Paris, Bruxelles ou Johannesburg que de relier deux villes d’Afrique centrale. Le projet de création d’Air Cemac, une compagnie aérienne sous régionale n’est pas effectif. Les pays de la sous-région semblent cependant avoir compris l’importance des infrastructures de transport pour parvenir à une intégration effective dans la sous-région. En effet, les pays de la Cemac ont adopté le, 21 Juin 1993 à Yaoundé, un réseau d’itinéraires de transits dits “axes structurants”, avec pour objectif déclaré de construire à moyen terme au réseau de routes bitumées pour permettre une circulation aisée de pays à pays. Certaines routes ont déjà ainsi été financées avec l’appui de l’Union Européenne. Il s’agit de la route Bertoua- Garoua Boulai (247,6 km) qui dit permettre de relier le Cameroun au Tchad ; la route Yaoundé-Ambam doit permettre de relier le Cameroun au Gabon et à la Guinée équatoriale. Ces infrastructures qui visent à interconnecter les différents territoires de la Cémac ne sont pas la solution au développement Inégal. Ces infrastructures peuvent en effet accentuer l’effet de polarisation des activités économiques au sein du territoire Camerounais dans la sous-région si les autres pays ne disposent pas d’un capital spatial propre suffisamment attractif pour les entreprises. En effet, si au sein d’un ensemble de pays participant à un accord d’intégration régionale, un des pays dispose d’un capital spatial plus riche et d’un avantage comparatif important par rapport aux autres, on assistera à une tendance à la polarisation ou à la concentration des activités qui créent des divergences en termes de croissance entre les pays qui participent à un accord de coopération régionale (Hugon 2002). Le Cameroun ne semble cependant pas disposer d’un avantage comparatif au plan infrastructurel par rapport aux autres pays de la Région. Au niveau des infrastructures de transport, Si le Cameroun possède prés de 45% de l’ensemble du réseau routier de la Cemac seul 15% de son réseau routier est bitumé, chiffre qui est supérieur à la moyenne de la Cemac mais inférieur à celui du Congo qui est de 20 %. La densité routière du Cameroun pour les routes bitumées est de 0,85 supérieur à celui du Congo (0,29), du Gabon (0,23), de la Rca (0,11) et du Tchad (0,03). En ce qui concerne les autres infrastructures, on note que le Cameroun dispose de 16,1 lignes de téléphones fixes et mobiles pour mille personnes en l’an 2000, chiffre inférieur à celui de la Guinée équatoriale, 24,5 lignes, du Congo avec 31,3 et surtout du Gabon avec 129 lignes. En ce qui concerne l’utilisation du réseau internet, le Cameroun en l’an 2000 avec près de 40 000 utilisateurs devancent le Gabon (15 000), le Tchad (3 000), la Rca (1 500), le Congo (800) et la Guinée équatoriale (700). En 2002, le taux moyen de bancarisation c’est-à-dire le poids des bilans bancaires par rapport au Pib se situe à 101 % en Afrique du Sud, 106% en Tunisie, 27% dans la zone Uemoa et seulement à 17 % en zone Cemac. A l’intérieur de la zone Cemac, la bancarisation est de 23 % au Gabon et de 18 % au Cameroun. Pour le reste des pays elle situe entre 7%et 12%. Ces chiffres indiquent donc aussi qu’un effort important doit être fait pour améliorer le service aux entreprises dans la zone Cemac d’autant plus que sur le plan énergétique la situation est aussi mauvaise. Au Cameroun, le pays leader sur le plan économique, la fourniture de l’énergie s’est dégradée alors que le potentiel hydroélectrique du Cameroun est insuffisamment exploité. Il est en effet estimée à 800MW. Ce pays n'est cependant pas membre du Pool Energétique de l’Afrique centrale qui a été créé le 12 avril 2003 et qui regroupe le Gabon, la Rca, la Rdc, la Guinée équatoriale, Sao-Tomé et Principe, le Congo et le Tchad. Cependant, étant donné que le capital spatial des autres pays de la sous-région n’est pas mieux développé, l’avantage comparatif du Cameroun qui réside dans sa taille de marché plus grande et des ressources humaines en nombre important, fait la différence. Par conséquent, pour bénéficier de la proximité géographique du Cameroun, les autres pays de la Cemac doivent mettre l’accent sur la construction d’un capital spatial propre. Les effets de diffusion ou de contagion de la croissance entre territoires seraient ainsi favorisés. L’existence au Cameroun d’un nombre relativement important d’institutions d’enseignement supérieur diversifiées (Universités, Institut Universitaires de Technologies, Grandes Ecoles d’ingénieurs...) peuvent être bénéfiques aux autres pays de la sous-région pour développer leurs ressources humaines. L’accroissement des ressources humaines et des compétences doit être des objectifs essentiels si la région Cemac veut passer a une économie bâtie sur les ressources humaines. Les pays de la Cemac devraient ainsi encourager la définition d’une politique éducative au niveau sous régional. Les programmes nationaux réussiront d’autant mieux à développer des compétences qu’ils seront inscrits dans un cadre sous-régional. Ce dernier pourrait comprendre, par exemple, des normes communes reconnues par chacun des états membres, la reconnaissance des diplômes et des titres, en particulier au niveau de l’enseignement supérieur, des instituts de formation publics ou privés… De manière plus générale, les pays de la Cemac pourraient s’inspirer de l’exemple des triangles ou polygones de croissance asiatiques qui sont des zones de proximité pour la gestion en commun des ressources naturelles, la mise en place d’infrastructures et la complémentarité de facteurs. Ces zones constitueraient des ensembles transnationaux regroupant des régions proches pour promouvoir des politiques concentrés en matière d’investissement domestique et étranger, d’infrastructure et d’environnement. de tels ensembles sont à même selon Hugon (2002) de générer des effets d'agglomération industrielle ou des effets de grappe et de créer des externalités favorables à la croissance. L’exemple de la coopération entre le Cameroun et le Tchad dans l’exploitation du pétrole congolais est à cet égard riche d’enseignement pour les pays de la ‘région. Le pipe-line Doba-Kribi pourrait a brève échéance transporter les productions d’autres champs tchadiens et camerounais, qui ne sont pas encore mis en exploitation. On pourrait même imaginer des dérivations qui desserviraient la Rca, le nord du Congo qui est éloigné de l’océan et même au-delà le nord et le nord-est de la Rdc. La coopération dans l’exploitation des ressources, dans la sous-région, pourrait s’étendre à l’exploitation des ressources forestières dont regorgent le Cameroun, le Congo et le Gabon également. * Economiste, FSE, Université de Yaoundé II - SOA (CAMEROUN)




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