Mineurs, à la rue et "prêts à tout" pour rejoindre l'Europe

Par Agence France Presse | AFP
Ceuta - 15-May-2018 - 11h37   5680                      
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A 14 ans, Ismail se dit "prêt à tout" pour prendre un bateau pour l'Europe. En attendant, il erre aux abords du port de Ceuta, enclave espagnole au Maroc, à la rue, comme des dizaines de mineurs

A 14 ans, Ismail se dit "prêt à tout" pour prendre un bateau pour l'Europe. En attendant, il erre aux abords du port de Ceuta, enclave espagnole au Maroc, à la rue, comme des dizaines de mineurs, pour la plupart marocains.

"Chez moi, il n'y a aucun avenir", lâche l'adolescent, sweat-shirt et bonnet vissé sur la tête. Avachi sur un trottoir, il raconte son histoire, le regard vide.

Originaire de Tanger (nord du Maroc), à une centaine de kilomètres de l'enclave de Ceuta, il a "grandi dans une famille pauvre" et quitté l'école à l'âge de 12 ans.

Un jeune Marocain marche en direction d'une barrière surmontée de barbelés dans le port de Ceuta, enclave espagnole d (c) AFP/Fadel SENNA

Il y a deux mois, il a escaladé la clôture qui sépare ce bout de territoire européen du continent africain "avec le consentement de sa mère, qui prie pour qu'il passe en Europe".

Autour de lui, une dizaine de jeunes se chamaillent pour se partager un joint. Lui-même se dit "accro au haschich". Le plus jeune du groupe, un garçon à la silhouette frêle, guette l'arrivée de la police, la Guardia Civil, avec laquelle ces adolescents jouent à cache-cache.

Pour les migrants venus d'Afrique subsaharienne ou du Maghreb, adultes et mineurs, qui veulent coûte que coûte gagner "l'eldorado européen" en traversant la Méditerranée, Ceuta est l'ultime étape.

Mais il faut d'abord franchir le mur de barbelés coupants qui, comme dans l'autre enclave espagnole Melilla, marque la seule frontière terrestre entre l'Afrique et l'Europe.

- "Exposés au danger" -

Les jeunes de moins de 18 ans espèrent bénéficier de la législation européenne qui prévoit des dispositifs d'accueil spéciaux pour les migrants mineurs isolés et limite les procédures d'expulsion.

Les règles, souvent disparates selon les pays, sont de plus en plus restrictives du fait du flux migratoire que connaît depuis quelques années l'Union européenne.

Ismail veut suivre les pas "d'un de ses voisins, qui est +passé+ et qui a maintenant ses papiers". "Il vit à Madrid, une très belle ville", s'enflamme-t-il. Lui veut "devenir mécanicien, acheter une voiture et une maison".

Chaque jour à Ceuta, des dizaines de jeunes se faufilent entre les grilles d'entrée du port pour tenter de s'accrocher sous un véhicule embarquant à bord d'un bateau pour Algésiras, dans le sud de l'Espagne, à une quarantaine de minutes.

De là, ils poursuivront leur odyssée incertaine vers Madrid, Paris ou Berlin, le plus souvent dans un dénuement total.

L'ONG Save the children a récemment alerté sur "la vulnérabilité de ces garçons migrants, qui se retrouvent seuls dans les rues de Ceuta, exposés à tous types de dangers". En 2016, 246 "mineurs non accompagnés" se trouvaient à Ceuta, 999 à Melilla, selon l'ONG.

Le réseau associatif Migreurop a pour sa part dénoncé mi-avril la "violence policière" contre ces migrants des deux côtés de la frontière, exhortant l'Espagne et le Maroc à "respecter les droits des enfants migrants".

- "Sous un camion" -

A l'entrée du port, les poids lourds roulent à toute vitesse dès qu'ils s'approchent de ces jeunes indésirables, souvent déscolarisés.

"Regarde, ils veulent en finir avec nous", s'indigne Ismail. Selon lui, un camion a renversé début avril un de ses camarades, "le tuant intentionnellement".

Une jeune femme vient échanger quelques mots avec le groupe. "Elle travaille dans une association où on va pour se doucher, se connecter ou voir des films", explique Nabil, l'aîné de la bande, qui a grandi dans un quartier populaire de la capitale marocaine Rabat.

Ce jeune de 20 ans qui se fait passer pour un mineur est rentré à Ceuta "caché sous un camion". Il veut rejoindre l'Allemagne, un "pays développé", pour "y faire sa vie et voir à quoi ressemble le Maroc vu de l'extérieur".

Pour survivre, lui et ses compagnons "taxent des clopes et de la nourriture", et la nuit tombée, "dorment dans des voitures abandonnées".

Ceux qui réussissent à passer se retrouvent souvent isolés, livrés à eux-mêmes, parfois exploités, de moins en moins pris en charge. Bien loin de l'image fantasmée qu'ils s'étaient faite de leur destin.

A Paris, des dizaines de jeunes Marocains sont ainsi devenus des enfants des rues, vivant de larcins et refusant toute prise en charge, suscitant des réactions de rejet et des complications administratives pour les autorités.



Par Hamza MEKOUAR | AFP

Auteur:
Agence France Presse
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