Nigeria: Sous la menace des talibans

Par Valérie Thorin | J.A. L'Intelligent
JAI - 14-Jan-2004 - 08h30   48405                      
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Pour asseoir davantage la charia dans certains États du nord du pays, de jeunes étudiants islamistes qui se réclament d'al-Qaïda affrontent les forces de l'ordre. Et risquent de rallumer la mèche de la violence religieuse.
Au Nigeria, le pouvoir ne transige pas avec des émeutiers, surtout lorsque ceux-ci se réclament de la mouvance d'Oussama Ben Laden. Fin décembre, il a envoyé quelque 500 soldats et des véhicules blindés pour prêter main forte à la police de l'État de Yobe, dans le nord-est du pays, en proie à un soulèvement islamiste. Un bilan officiel provisoire fait état de dix morts, mais il y en aurait beaucoup plus. L'Agence nigériane d'aide pour les situations d'urgence précise que plus de dix mille personnes ont quitté leurs foyers à cause des affrontements. Jusqu'à présent, la paix régnait dans l'État de Yobe, et l'adoption de la charia, la loi islamique, en 2000, n'y avait donné lieu à aucun mouvement de révolte ni à des heurts intercommunautaires. Mais le feu couvait sous la cendre. L'émeute est le fait d'un groupe d'étudiants en religion appelé Al Sunna Wal Jamma (les Suiveurs du Prophète), qui existe depuis environ deux ans. Fils-à-papa de potentats musulmans, étudiants de l'université de Maiduguri, la capitale de l'État voisin de Borno, et jeunes désoeuvrés, ils militent pour la révolution et l'instauration d'un État islamique. Très admiratifs envers leurs aînés afghans, ils ont surnommé leur chef « Mollah Omar » et se qualifient eux-mêmes de « talibans ». Toutefois, les autorités nigérianes estiment, pour le moment, qu'ils n'ont aucun lien effectif avec l'organisation el-Qaïda. Ils avaient pourtant mis en place, outre plusieurs madrasas - les écoles coraniques -, quatre camps d'entraînement dans les États de Yobe et Borno, dont ils interdisaient l'accès aux profanes. Les services de renseignements nigérians les soupçonnent d'être en relation avec la secte Maitatsine. Ce mouvement, né à la fin des années 1970, est à l'origine de plusieurs émeutes à caractère religieux, notamment à Maiduguri en 1982, qui ont totalisé à l'époque près de cinq mille morts. Au cours des derniers mois, Al Sunna Wal Jamma s'est plusieurs fois manifesté pour critiquer les autorités locales, jugées trop « molles » dans leurs efforts pour mettre en pratique la charia, et quelques bagarres ont éclaté. Mais ses membres sont passés à une action d'envergure le 30 décembre. Deux cents d'entre eux se sont attaqués aux commissariats de police des villes de Geidam et de Kanamma, proches de Damaturu, la capitale de Yobe, et dérobé des armes et des munitions. Celles-ci leur ont servi ensuite à tenir tête aux forces de l'ordre appelées en renfort. Un groupe s'est retranché dans une école primaire de Kanamma et a soutenu l'assaut de la police en brandissant un drapeau sur lequel était inscrit le mot « Afghanistan ». Dès le lendemain, l'armée est intervenue. Les insurgés se sont divisés en deux groupes. L'un s'est dirigé sur Damaturu et est parvenu à piller un autre commissariat ainsi qu'un bâtiment du gouvernement local avant de se replier vers le Borno où les militaires l'ont rattrapé. Le second a franchi la frontière avec le Niger, contraignant les autorités de Niamey, qui luttent aussi contre des groupuscules fondamentalistes, notamment dans la région de Zinder, à quadriller la zone. Les militants arrêtés seront extradés dans les prochains jours vers le Nigeria. Cette flambée de violence pose à nouveau le problème de la mise en place de la charia dans les États du nord du Nigeria. En quatre ans, près de dix mille personnes ont trouvé la mort dans des conflits interreligieux. Sur fond de difficultés économiques grandissantes, l'instauration de la loi coranique a exacerbé les tensions entre la communauté musulmane, largement majoritaire dans le Nord, et les chrétiens. Quelques cas comme celui de Safiya Husseini ou Amina Lawal, deux jeunes femmes condamnées à la lapidation pour adultère, ont ému la communauté internationale et poussé le président Olusegun Obasanjo à exprimer sa désapprobation. Le chef de l'État n'a toutefois pas encore pris une position ferme sur les effets secondaires de l'application de la charia, laissant ainsi les mains libres aux gouverneurs locaux pour organiser milices et comités de surveillance, lesquels ne se privent pas d'expéditions punitives à l'égard des contrevenants. Les milliers de jeunes sans emploi, ni qualifications, ni perspectives d'avenir, qui errent dans les villes, constituent des troupes faciles à enrégimenter. Le problème est que bien souvent ils sont manipulés pour des causes plus politiques que religieuses.




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