Sandrine Etonde Ekoto face à Cameroon-Info.Net (1ère partie)

Par | Cameroon-Info.Net
- 14-May-2007 - 08h30   71410                      
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Nous rencontrons Sandrine Etonde Ekoto, la fille cadette de l’ancien président du conseil d’administration (PCA) du Port Autonome de Douala (PAD) qui fait face, avec 12 autres, à la justice actuellement au Cameroun. Edouard Etonde Ekoto est accusé de coaction de détournements de fonds et d’escroquerie foncière pour près de 2 milliards de francs CFA. Vu la longueur de cet entretien, nous avons jugé bon de le présenter en deux parties.
La famille « C’est un temps difficile, déplaisant et frustrant. Heureusement qu’on est très unis, c’est ça qui nous garde forts. Et surtout, on a la chance d’avoir la foi, de croire en Dieu. Il donne la paix, Sa paix, même dans les pires tempêtes. Ça fait vraiment la différence ! » Cameroon-Info.Net: Bonjour, Mlle Ekoto. Votre famille est-elle au courant de cette interview que vous nous accordez au nom de votre père ? SEE : Bonjour, et merci de me recevoir. Oui, ma famille est au courant et elle est d’accord. Même ma mère qui, protectrice, ne voulait pas au début que je m’expose. Mais au fond, on l’est déjà tous et je trouve important que l’un de nous s’exprime. Appartenir à une famille ça vaut pour les bons comme pour les mauvais jours. Et je n’ai pas honte du nom que je porte parce qu’il est éclaboussé aujourd’hui. Petite précision, je ne parlerai pas ici à la place de mon père. C’est mon propre point de vue. Cameroon-Info.Net: Vous avez décidé de communiquer dans l’affaire du PAD, dans laquelle est impliqué votre père. N’avez-vous pas des appréhensions à le faire, vu qu’elle n’est pas jugée ? S. E. E :Pas du tout, je suis même bien contente de pouvoir le faire. Car trop de ‘divers’ circulent et dans bien des esprits (et parfois des écrits) le verdict est évident, l’affaire est déjà classée. Mais sur différents points j’aimerais, comme on dit en anglais, set the record straight. Ca veut dire clarifier les choses, s’assurer que ce qui demeure est vraiment exact. Sans bien-sûr entrer dans les secrets de la preuve pour ne pas nuire au procès. Cameroon-Info.Net: Pourquoi cette interview et pourquoi avoir choisi CIN? S. E. E : C’est avant tout pour plaider pour la justice et la vérité (pas pour mon père, croyez-le ou non). Si on n’obtient pas ça à la fin de toute cette effervescence, on sera tous perdants. Je souhaite aussi mettre en lumière des éléments qui n’ont pas forcément fait la Une mais aident à avoir une opinion éclairée. Et je veux susciter des « et si » et des « pourquoi », faire appel au sens critique qui va au-delà des apparences. Quant au choix de CIN, c’est simple : vous êtes un site sérieux que beaucoup consultent. Cameroon-Info.Net: Comment va Mr Etonde Ekoto (moralement et physiquement) ? Et comment la famille arrive-t-elle à surmonter ces évènements ? S. E. E :Pour quelqu’un qui est soumis à une telle pression depuis plus d’un an et qui a son âge, il va étonnamment bien. Cela en irrite plus d’un et on le taxe d’arrogance, mais tu ne changes pas un militaire: ils sont formés pour faire face à l’adversité. Nous, c’est autre chose. Alors on a bien hâte d’en finir. C’est un temps difficile, déplaisant et frustrant. Heureusement qu’on est très unis, c’est ça qui nous garde forts. Et surtout, on a la chance d’avoir la foi, de croire en Dieu. Il donne la paix, Sa paix, même dans les pires tempêtes. Ça fait vraiment la différence ! La justice L’huissier chargé de remettre les convocations intimidé Cameroon-Info.Net: Dans cette affaire du PAD, on a longtemps patiné sur des questions de forme. Pensez-vous que les droits de Mr Etonde Ekoto soient bafoués? S. E. E : Oui, et depuis le début. Mais plus qu’un délit de faciès, c’est symptomatique d’un problème plus profond. Raison pour laquelle je réprouve la pensée que les questions de forme sont une ‘perte de temps’ ou une pirouette condamnable pour en gagner. La forme importe autant que le fond. La fin ne justifie pas les moyens ! S’il y a des infractions à la loi et au droit, il faut qu’elles soient dénoncées. Mais trop souvent, malheureusement, ce sont des sans voix qui en pâtissent. Triste mais réaliste, si ce dont on se plaint arrivait disons à un de ces jeunes prisonniers parqués des heures au TGI comme figurants aux premières audiences du PAD, ça ne ferait guère de bruit. Déjà que là, tu comptes les fois où les entorses sont vraiment relevées et commentées ! Cameroon-Info.Net: Pouvez-nous nous donner un exemple de ces entorses, comme vous dites ? S. E. E :Le plus récent concerne le désaveu de la Cour suprême au TGI rendu public mi-avril : avant de continuer, il devrait d’abord ‘vider sa saisine’. Hors jargon, ça veut dire qu’il n’a pas fait son boulot. Depuis des lustres il a omis de régler des exceptions. Comme l’a noté un journaliste, sa réplique fétiche est « on va… ». Cette fois, en plus de reporter aux calendres grecques, il a carrément passé outre l’autre avis sans équivoque de notre plus haute cour Elle a en effet confirmé la décision du 12 mars de la cour d’appel de rejeter la liste de témoins du ministère public (vice de procédure). Toutefois, le 19 et le 24 avril, le TGI a poursuivi l’audition d’un témoin de cette liste, M. Mbida Amougou. Audace entamée le lendemain même de la décision de la cour d’appel ! On s’en souvient, la défense outrée avait quitté cette audience du 13 mars en signe de protestation. Ce que le tribunal ne semble pas avoir digéré puisque, le 19 avril, il a d’abord interdit le contre-interrogatoire dudit témoin. La défense se serait privée de ce droit et de la possibilité de vérifier les documents inconnus qu’on versait allègrement au dossier le jour où elle était sortie. Ça sentait tant les représailles, c’était si gros, qu’il a plus tard changé d’avis. Tout seul ? Quoiqu’il en soit, des abus comme ça sont légion et doivent être contestés ! Heureusement que le nouveau code pénal le permet davantage. Et en un sens, c’est une ‘chance’ que là, ça arrive à des gens qui peuvent réagir et dont le sort intéresse tout le monde. Cameroon-Info.Net: Y a-t-il d’autres circonstances où, selon vous, les droits de votre père n’ont pas été respectés ? S. E. E : Oh, que oui ! En voici. Et on parle bien de droits, pas de caprices ! 1. Malgré des demandes répétées dès le début des auditions devant le juge d’instruction en octobre 2006, les avocats n’ont pas eu accès au volumineux dossier d’accusation (300 kg). C’est pourtant la moindre des choses de savoir ce qui t’est reproché ! Dans ces conditions, quelle défense peux-tu présenter? Le procès a commencé en décembre, toujours rien. Fin janvier, juste avant la reprise, on a daigné leur en donner une partie. Et là, fin avril, deux mille autres pages sont apparues. Enfin, disons que la défense a fait le forcing. Parce qu’on entendait même un témoin en se basant sur ces documents qui n’ont jamais été validés par les deux parties ! 2. Pire, le dossier en question n’était pas classé ni numéroté ! Très sécuritaire, les feuilles volantes ! Tu peux en glisser ou en retirer sans problème. D’autant plus, quand ces précieux docs sont gardés dans une salle accessible. Laisseriez-vous traîner des affaires confidentielles sur la table de l’entrée chez vous? Non, pour éviter les fraudes ou les fuites. Question de bon sens et de précaution. Dans ce cas-ci, c’est même requis par la loi ! 3. Comment peut-on accuser quelqu’un sur la base de photocopies ? Comment ne pas exiger (à l’instruction censée déterminer s’il y a des charges suffisantes) des archives du PAD ou de ministères concernés pour fins de vérifications? Non, on prend des on-dit pour argent comptant et on poursuit. Et la boucle est bouclée quand le magistrat instructeur se retrouve lui-même au TGI en tant que procureur. Même s’il y a des erreurs, comment pourrait-il se désavouer ? 4. Pourquoi ne pas avoir autorisé Etonde à récupérer ses dossiers du PAD à la CUD avant fin janvier? Etait-ce tellement aberrant qu’on a voulu noyer le poisson juste avant la reprise du procès? Vous iriez, vous, à un examen dont votre vie dépendrait sans étudier? Si c’est votre choix, vous l’assumez. Mais si on vous confisque vos livres et vos notes, et que vous ignorez même sur quelle matière porte le test, qu’en penseriez-vous ? 5. Les accusations de l’instruction ne sont pas celles qui se sont retrouvées au procès. Pourquoi les modifier ou en retirer? Après les auditions, elles ont été corrigées (sans crier gare), comme un test non concluant. Tu reçois la convocation au TGI et, surprise, le détournement s’est transformé en coaction de détournement. Faute de poids des charges individuelles ? Ou pour multiplier les chances comme à la loterie ? En tout cas, la conspiration est plus scandaleuse. Ça me fait penser aux fois où, petits, on s’essayait à réciter nos leçons devant nos frères avant de décider si on pouvait affronter les parents. D’habitude, on ne revient pas sur un travail bien fait. Cameroon-Info.Net: Votre père a contesté la compétence du Tribunal de Grande Instance et a été débouté (en appel et en cassation) en déclarant que la matière concernant la vente d’une parcelle de l’espace portuaire est foncière et n’a rien à voir au Tgi. Pensez-vous que cet épisode peut compromettre la recherche de la vérité ? S. E. E : Je ne vois pas comment, puisque c’est pour elle qu’on se bat ! On veut qu’elle soit vraiment manifestée. Et elle le sera un jour. La vérité finit toujours par triompher, quoi que les hommes fassent pour la museler, la tordre ou la détruire. Pour ce qui est des appels, le dernier, je l’ai dit, s’est soldé positivement. Ceux que vous mentionnez ont effectivement été déboutés. (Je reviendrai sur le contexte de ces rejets.) Mais je veux dissiper ici la confusion sur le motif de ces recours. (N’étant ni juriste, ni commerciale, pardonnez la simplification). Sur les sommes supposément détournées, la contestation a trait à l’identité même du PAD qui est une société un peu hybride: d’une part l’Etat est son actionnaire unique, de l’autre il est inscrit au registre du commerce comme une entreprise normale que régit l’acte OHADA. Selon la définition adoptée, l’affaire est très différente. Si le PAD est public, il y aurait détournements, les peines sont très lourdes et c’est jugé par une chambre criminelle. S’il est commercial, ça serait des fraudes, leurs punitions sont plus limitées et c’est jugé par une chambre correctionnelle. Ça change tout ! Comme il y a fossé entre crime et délit. Au correctionnel, ce procès serait bien moins sensationnel et mobilisateur. Mais à l’heure actuelle, hou lala, on a pillé le peuple ! L’idéal serait qu’une entité indépendante statue car chaque argumentation s’appuie sur des textes. Vive les subtilités des lois ! Ce qui me choque c’est qu’au lieu d’expliquer cette situation, on a présenté les appels comme un essai de dérobade ou de blocage ! Qui voudrait être jugé par la mauvaise cour ? Quant à l’histoire du terrain, là aussi il y a matière à contestation. Et pas seulement du TGI. De l’accusation même. Car cette parcelle bien que dans l’espace portuaire a toujours été gérée par la ville ! Aucune direction du PAD n’avait jamais remis ça en cause. Pourquoi celle-ci le fait ET surtout incrimine Etonde en tant qu’individu alors qu’il a agi en représentant de la CUD puisqu’il était Délégué ? Mieux, on l’accuse d’avoir empoché les 300 millions alors que la ville s’en est servie pour construire la nouvelle gare routière de Yassa. Et la parcelle litigieuse n’est pas vendue, elle est louée et reste la propriété de l’Etat. Les textes sont clairs. Comment cette dispute administrative entre deux démembrements de l’Etat (CUD et PAD), comme on en a vu d’autres, est-elle devenue une accusation au criminel? Pour reprendre l’humour du Popoli (qui parlait, lui, du malaise du greffier le 27 février), il y a « magie noire au procès ». Cameroon-Info.Net: Mais ne pensez-vous pas que les multiples appels de Mr Etonde Ekoto le desservent ? Tant qu’on n’entre pas dans le vif du sujet, il ne peut pas réellement se défendre et la frustration des gens augmente. S. E. E : En un sens, vous avez raison. Mais c’est aussi un piège subtil dans lequel ni nous, ni les Camerounais, ne devons tomber. Après le 11 septembre, les Américains ont donné plus de pouvoir à l’Etat pour les protéger des Ben Laden et consort. Aujourd’hui, ils se plaignent qu’on empiète sur leurs libertés, ils n’ont plus le contrôle. Si notre pays sacrifie la vraie justice (qui prend du temps, c’est vrai) pour un semblant de justice plus instantané, on va le regretter ! Les Nouvelles du Pays titrait à la Une le 19 mars : « le nouveau code tue le procès ». Et en sous-titres « Face aux errements de la partie civile, Etonde Ekoto et Siyam Siwe se marrent… Le procureur et les magistrats coincés par les vices de procédure…La difficile assimilation du nouveau code va-t-elle sauver les présumés pilleurs… » C’est terrible de penser ça et encore plus de le répandre. Si les choses se faisaient dans les règles de l’art, il n’y aurait pas matière à appel. Preuve en est la décision de la Cour suprême du 9 avril ! Elle aurait balayé ces requêtes du revers de la main si c’était vraiment du dilatoire. En plus elle siégeait en chambre réunie ! Ça signifie que c’était tous les présidents des grandes commissions de la justice, la crème des crèmes de nos magistrats ! Eux qui ne se réunissent que pour des questions de droit pointues ont confirmé les écarts du TGI ! D’ailleurs, par souci d’avancer justement, il y a des détails procéduriers enfreints que la défense n’a pas relevés. On n’en finirait pas ! Et tout le monde est conscient qu’il faut s’ajuster au nouveau code. Mais quand l’abus est volontaire ou vraiment nuisible, tu ne peux pas subir sans rien dire. Peut-être n’auras-tu pas gain de cause, mais il y aura une trace. L’injustice doit être décriée pour que les choses bougent. Cameroon-Info.Net: Qu’en est-il de la liste des témoins que Mr Etondè Ekoto a transmise au tribunal ? Il a été dit que certains, sinon la plupart n’ont jamais reçu de convocation. S. E. E :C’est inexact. En fait, la plupart l’ont reçue sans problème. Là où le bât a blessé on va dire c’est pour des grands pontes de la capitale. Le pauvre huissier chargé de cette indélicate besogne aurait été intimidé avant d’avoir pu terminer son parcours (il lui restait à trouver un administrateur du PAD, M. Dayas Mounoume). Convoqué au parquet, il a dû se dessaisir des décharges, c-à-d les copies signées par les destinataires. Il n’avait donc plus les preuves que les concernés ont été informés. La situation a-t-elle été rectifiée ? Ces témoins vont-ils se présenter ? On est là, comme on dit au pays, on va voir. Cameroon-Info.Net: Pensez-vous que tous ces témoins ont quelque chose à apporter pour la manifestation de la vérité ? S. E. E :Sinon ils ne seraient pas sur la liste. C’est pièce par pièce, qu’elles soient petites ou grandes, que tu assembles un puzzle. Et à la fin tu as une image claire, l’évidence est sous tes yeux. S’ils ne témoignent pas, ce serait terrible. Pas pour Etonde, pour le pays ! Ça enverrait un très mauvais signal. A contrario, quand tu vois un de Villepin, tout premier ministre de France qu’il était, accepter d’être entendu dans le cadre du scandale Clearstream, ça véhicule que la loi, c’est pour tout le monde. La justice en est valorisée, et le peuple rassuré. Cameroon-Info.Net: Avez-vous une explication à cette situation ? Mr Etonde Ekoto se sent-il lâché par le régime? S. E. E : Si vous parlez de ces témoins hauts placés, ça n’a rien à voir. Ils viendraient faire leur devoir de citoyen, pas un geste de solidarité ! Encore moins une faveur. C’est une responsabilité légale, point, PAS de la politique ! Confondre ça, crée des problèmes. Dans cette perspective, il ne peut donc y avoir de déception : il n’y avait pas d’attentes. Elles auraient été infondées et malvenues ! Cependant, je ne prétends pas qu’au vu de tout ce qui se passe, mon père est indifférent. Il y a de l’incompréhension, des questions, c’est humain. Tu te demandes toujours pourquoi, quand les revirements sont soudains. De plus, comme il est de cette génération idéaliste et patriote qui a désiré l’indépendance et rêvé le Cameroun, il est très attristé de n’avoir pu achever sa mission, de n’avoir pas vu Douala relevée et restaurée. Et bien sûr il est blessé des attaques, des calomnies, des humiliations. Personne n’apprécierait une telle situation. Mais comme je l’ai dit au début, nous sommes aussi une famille chrétienne. Donc notre force et notre sécurité ne reposent pas sur des humains, si puissants soient-ils. Jésus l’a rappelé à Pilate. Notre confiance est en DIEU ! Cameroon-Info.Net: En dehors du fait que de l’étranger vous suivez évidemment cette affaire de près, vous étiez récemment au Cameroun. Y a-t-il des faits non conformes ou du moins suspects dont vous avez vous-même été témoin ? S. E. E : A part les dégammages des médias, ce qui m’a le plus frappée, c’est toute l’intensité et la précipitation qui entourait l’affaire. Maintenant le tribunal déclare à qui veut l’entendre et montre qu’il n’a que faire des juridictions supérieures. A l’époque où j’y étais (décembre-janvier), ce n’était pas si évident. Et on se surprenait naïvement des étrangetés qui se produisaient, des largesses dont mon père ou l’affaire bénéficiaient. Après les auditions d’octobre, il y a eu des semaines d’inaction visible (on corrigeait la copie ? on renflouait le dossier ?). Puis boum, le 18 décembre l’ordonnance de renvoi au TGI est signifiée. Les charges sont suffisantes contre Siyam, Etonde et onze autres, mais pas contre les administrateurs. Dans la foulée, le début du procès est fixé à la semaine suivante. Quelle surprise ! Le lendemain de Noël ? Chez nous où on aime tant fêter ? Qu’est-ce qui pressait ? Peut-être, comme l’ont dit plusieurs observateurs du barreau, parce que le nouveau code pénal (qui offre on le voit plus de recours aux accusés) entrait en vigueur le 1er janvier. Coup de théâtre, l’audience du 26 avorte : les conseils d’Etonde ont fait appel. La contre-attaque n’a pas tardé. Dès le lendemain, convocation de la cour d’appel. Pour quand ? Le surlendemain, le jeudi 28. Quelle célérité renversante ! Dire qu’en temps normal les affaires peuvent prendre des semaines, des mois, à être enrôlées. Mais là, traitement de faveur. Le pire c’est que ça pipait les dés d’office. La décision rendue ne pouvait matériellement être adéquate. Comment la cour aurait-elle pu s’imprégner suffisamment du complexe dossier de 300 kg, je ne dis pas le maîtriser, en moins de 24h ? Par-dessus le marché, la défense n’avait pas en main les pièces de ce dossier. J’en ai parlé plus tôt. Comment se préparer dans ces conditions ? Heureusement qu’un autre administrateur du PAD avait gracieusement prêté les documents ! Cameroon-Info.Net: La défense a-t-elle mentionné tout cela ? Que s’est-il passé ? Dans le grand public, on a peu entendu parler de cette affaire entre le 26 décembre et la reprise du procès en février. S. E. E : Et pourtant il s’en passait des choses. Un article dans Le Messager (7 février) a bien raconté ce ‘marathon judiciaire’. On se serait cru dans 24h Chrono, la série si populaire au pays en ce moment. Pour vous répondre, oui, la défense a fait état des courts délais et des difficultés de préparation. Imaginez, depuis le début, on ne leur avait donné accès au dossier qu’une seule fois, à peine quelques heures, dans une salle exiguë où ils devaient se tenir debout et où les 300 kg de feuilles volantes étaient empilées sur une petite table sans espace pour prendre des notes. Wow ! Les avocats de mon père, puisque c’était lui qui avait appel, ont dû plaider pendant quatre heures le 28 pour obtenir un renvoi. Et s’il vous plaît, il était de moins d’une journée ! Urgence, il n’y avait pas ? Après une nuit blanche, ils étaient donc de retour le lendemain, dernier jour ouvrable de l’année. La cour a rejeté l’appel en après-midi. Et quel dommage, les bureaux du greffe étaient déjà fermés ! Impossible de déposer un pourvoi en cassation. Attendre à mardi, il n’aurait pas été accepté, car hors délai. Les avocats ont foncé à la poste mais ses caisses étaient déjà fermées. Je ne dis pas que c’était un coup monté, soyons sérieux. Mais vu l’heure et le jour, en plus en période de Fêtes et au pays, c’était évident que les portes seraient closes. Un avocat a réussi à envoyer son pourvoi par courrier express. Par la suite, la Cour suprême elle-même a fait preuve d’une rare diligence puisqu’en moins d’un mois (alors que des affaires y sont depuis des années) elle a rendu sa décision. Comme quoi, les procédures peuvent parfois aller vite chez nous ! (Si vite qu’on oublie de faire signer le rejet de la cour d’appel par les magistrats en question avant de l’envoyer à l’accusé !) Cameroon-Info.Net: Est-ce à dire que vous mettez en cause les cours supérieures ? C’est grave. Et ne pensez-vous pas qu’on peut s’interroger sur votre objectivité ? Vous avez applaudi la décision qui était favorable à votre père ! S. E. E : Ça peut effectivement avoir l’air biaisé alors je vais clarifier. Je n’accuse pas les cours supérieures. Elles ont des fonctions spécifiques et statuent sur ce qui leur est présenté. Elles ne refont pas le travail du magistrat instructeur ni du tribunal. Au foot, tu ne vois pas l’arbitre commencer à dribbler et à tirer au but, il n’est pas là pour ça. Mais sa responsabilité c’est d’être en forme et préparé pour le match. Ce qui n’était pas le cas, à mon avis, pour la cour d’appel du Littoral en décembre. Elle n’a pas pu maîtriser ce dossier en 24 heures ! C’est un constat, je ne la juge pas. Elle a fait du mieux qu’elle a pu, compte tenu des circonstances. Et ça ne sert à rien de se demander si son verdict aurait été différent autrement : tu joues la partie avec les cartes que tu as. Pour ce qui est de la Cour suprême, je n’aurais aucune raison de la montrer du doigt (si c’était mon intention), parce qu’elle ne juge PAS les affaires ! Elle se penche sur le droit, la conformité à la loi. Elle condamne ou confirme non les faits mais la procédure ! En janvier, comme en avril, elle a statué sur la forme. Dans l’un et l’autre cas, elle s’est prononcée par rapport aux textes, pas sur la véracité du contenu et a retourné l’affaire au tribunal pour les démonstrations. D’où la nécessité que le droit règne au TGI. Mais quand tu lis ce qui suit, là il y a lieu de questionner l’objectivité. « Nous avons demandé la liberté provisoire – rejetée par le Tribunal de Douala, nous demandant ce qui nous gêne de rester en prison étant donné que notre condamnation sera à vie ? ». C’est ce qu’ont écrit les accusés du PAD en prison à New Bell depuis plus d’un an, dans un trac annonçant une grève de la faim. Vous imaginez ? Si le tribunal est à charge, où va-t-on ? (Question rhétorique.) Le Messager, Mutations et La Nouvelle Expression ont rapporté ce propos choquant du tribunal. C’est déjà bien, mais ça n’occupait que quelques lignes dans leur résumé sur l’audience du 6 mars ! Ailleurs, ça aurait provoqué un tollé général ! Cameroon-Info.Net: Est-ce que dans la situation actuelle, tout ce que vous avez raconté vous fait penser qu’on en veut à Mr Etonde Ekoto ? Si oui, qui et pourquoi ? S. E. E : Jeune Afrique s’est posé la question en octobre dans un article intitulé "Qui veut la peau du shérif ?" Et Le Messager avait un bon article le 11 mars sur Le syndrome de Saturne. Au risque d’avoir l’air de jouer la victime ou d’être parano, je vais répondre OUI. Il y a une volonté derrière tout ce qui s’enchaîne et qui perdure. C’est indéniable. A moins de faire preuve de mauvaise foi ou de ne pas avoir tous les éléments en main. Mais je ne pense pas qu’on puisse isoler une seule personne ou cause. C’est un ensemble de facteurs qui ont mené à tout ça. Certains sont relatifs à qui il est. De tout temps les gens qui semblent gâtés par la vie ont suscité jalousies et critiques. Ajoute à cela près de 70 ans de vécu dans l’armée, les affaires et récemment la ville et la politique, et tu auras incontestablement une kyrielle d’opposants. Il faut aussi reconnaître que sa forte personnalité, son impatience d’homme d’action et son franc-parler notoire (qui polarisent les opinions) y ont sûrement contribué. Au-delà de cela, je pense que les facteurs déterminants ont trait au contexte général du pays : la frustration légitime des populations face à la corruption, les échéances électorales, les pressions internationales... Le Messager avait un bon article le 11 mars. Bref, que ce soit personnel ou juste le business comme dirait le Parrain, sa tête est mise à prix. Comme dans les vieux westerns. Et la presse est devenue, de gré ou de force, le pistolet à six coups pour abattre celui qui était, rappelle-t-elle à profusion, ‘l’homme fort de Douala’. (à suivre)




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