Yaoundé: “Princesse”, la soeur de Donatien Koagne, égorgée à son domicile

Par Thiéry Gervais Gango | Mutations
- 29-Nov-2005 - 08h30   112796                      
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Jeanne Koagne a été trouvée morte à son domicile. Les premiers élements de l’enquête. Retour sur la vie de celle qui faisait courir businessmen, hommes politiques et diplomates...
Drame: Un crime dans la nuit La sœur du célèbre Donatien Koagne égorgée dimanche dernier en son domicile à Yaoundé. Dimanche, 27 novembre 2005, quelque part à Ngousso (Yaoundé), sur une ruelle mal éclairée qui contraste outrageusement avec les architectures cossues de ce Santa Barbara justement baptisé, un drame s'apprête à entrer dans les annales sombres de la criminalité au Cameroun. Le calme du quartier est à peine troublé par les effets de cet autre match du FC Barcelone et de Samuel Eto'o Fils que les Camerounais regardent toujours avec une passion irrépressible. Sur les marches menant dans les appartements privés de son duplex où lustres et luxes ne trompent pas sur le standing du propriétaire, le corps de Jeanne Meguim Koagne gît, inerte. Le kabagondo qu'elle arbore dévoile la partie inférieure de son corps. Princesse, comme on l'appelait pour mieux rappeler que c'était la sœur et mieux encore la " fille " du "roi" Donatien, garde son sous-vêtement. Son corps, sans vie, repose presque sur un couteau à double tranchant qui donne l'impression d'une insoupçonnable propreté. Les lumières de la maison coquette et éclairée avec bonté se meurent dans la mare de sang pas encore refroidie. L'horreur enlève tout doute sur la violence et la cruauté du meurtrier. Un meurtre de sang froid. Perpétré comme on le ferait pour un bélier. La lame est passée et repassée. Un peu encore, et la tête aurait été séparée du reste du corps. Un gendarme, parmi la dizaine conduite sur place par le lieutenant-colonel Emmanuel Tchinda, commandant le groupe d’escadron de gendarmerie de Yaoundé, affirme que visiblement, le ou les meurtriers ont pris le temps de se laver les mains en même temps que le couteau à double tranchant qu'ils ont ensuite déposé près du corps. Quelques effets ont été dérangés. A l'entrée, il y a une boucle d'oreille sertie de pierres précieuses, trois paires de chaussures appartenant de toute vraisemblance à la victime, ainsi qu’une bombonne de cirage. On a trouvé quelques bijoux derrière la maison. En l'état actuel de l'enquête, difficile de dire si des biens de valeur, des documents ou de l'argent ont été emportés. Une poignée de voisins, des proches, des amis de la victime ont accouru. Ils sont rares, ces amis hauts placés et ces relations dans les milieux diplomatiques et d'affaires dans lesquelles Princesse avait aussi bien de solides entrées que des affidés. Mais personne ne doute qu'au bout de ces téléphones qui vibrent sans cesse, quelques-uns prennent des nouvelles minute après minute. Une proche qui veut appeler le secrétaire d'Etat à la Défense spécialement chargé de la gendarmerie nationale est vite rassurée. Un officier en civil l'informe de ce que Jean-Marie Aléokol est déjà au courant et qu'il suit ce qui se passe. A ceux qui essayent de comprendre, un jeune voisin, à qui il arrivait de s'occuper de quelques petites affaires domestiques de la victime, recommence le récit, avec le même souffle parcouru d'émotion. Appels Il était chez lui, à quelques pas de là. Il regardait les matches de foot proposés à cette heure-là par la chaîne Canal+Horizons. " Mon téléphone a sonné. C'était Philippe, le fiancé de Princesse, qui appelait depuis le Canada. Il m'a demandé d'aller voir ce qui se passait à la maison. Il m'a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi Princesse ne prenait pas le téléphone. Il m'a demandé d'aller lui passer mon téléphone parce qu'en fait, ils étaient en train de causer lorsque, paraît-il, Princesse lui a demandé de la rappeler dans 10 minutes, puisqu'elle était au niveau du carrefour Etoudi ". Sur le chemin du retour, à environ 5 minutes de la maison. Là, l'histoire s'accélère. Le jeune homme se rend donc, selon son récit, au domicile de Mlle Koagne. Il trouve que la résidence est éclairée de manière inhabituelle. Le portillon, quant à lui, est entrouvert. Il le pousse " en essayant de voir si la clé se trouve derrière. Elle n'y est pas. J'appelle le gardien, qui ne répond pas ". Dans la cour, il se rend compte que le trousseau de clé, qu'il tient désormais, se trouve à mi-parcours entre le portillon et l'entrée du séjour. " J'ai senti que quelque chose se passait. Je suis ressorti pour aller appeler le gardien d'à côté. Nous sommes revenus ensemble. Lorsque nous sommes entrés, il était devant. Au niveau de l’escalier, il s'est arrêté en disant qu'on avait égorgé Princesse. Je n'ai pas pu continuer. Je n'ai même pas vu le corps. Nous sommes ressortis pour aller appeler les autres ". Parmi les premiers alertés, la police à qui il aurait téléphoné. Même si certaines sources font état d’un autre coup de fil, passé par une commissaire de police, elle-même alertée par le fiancé canadien, qui aurait demandé de s’assurer que tout allait bien, suite à ses nombreux coups de fil sans réponse. Mais aussi l'agent en faction du comité d'autodéfense. Lequel soutiendra que le veilleur de nuit en fonction chez Jeanne Koagne est bien passé par là vers 20h30. Lorsqu'il lui a demandé où il allait, le pas pressé, ce dernier a répondu que sa patronne lui avait demandé d'aller lui acheter du poisson au Carrefour Etoudi. Un argument qui déroute n'importe qui connaissait le train de vie de la victime que ses habitudes dans les milieux mondains avaient davantage habitué au fumet du saumon qu'à celui de la tête de maquereau braisé. Jeanne Koagne: Princesse, "fille" de King Donatien La piste du veilleur de nuit est explorée, mais l'enquête n'oublie pas que la victime n'était pas un enfant de chœur. "Qui a tué Princesse ?" se demandait, dépité, un proche accouru sur le lieu du meurtre. "Le gardien", lui répondait un autre jeune mondain de la capitale alerté alors qu'il se trouvait dans l'une de ces boîtes de nuit que la victime fréquentait avec religiosité. Tout porte en effet à croire que le veilleur de nuit serait sinon le meurtrier, du moins, le complice. Parti pour acheter du poisson, il n'etait toujours pas revenu à l'aurore, alors que les derniers voisins regagnaient leurs domiciles respectifs et que les éléments de la gendarmerie en faction pour empêcher toute violation du lieu du crime, attendaient l'arrivée du procureur de la République près les tribunaux de grande instance du Mfoundi. C'est une piste. Mais il n'est pas certain que l'enquête s'en contente. La personnalité trouble de la victime, sa relation avec certains milieux d'affaires et de la diplomatie, ses liens privilégiés avec son frère aîné toujours en prison au Yémen ainsi que son rôle supposé ou avéré dans quelques grandes affaires mystérieuses, seront autant de sources d’intérêt. Au rang desquelles, celle ayant conduit en détention, à la fin des années 90, ce frère en affaires avec quelques grands de ce monde, dont les défunts Mobutu et Eyadema. Lorsque le Falcon de Donatien Koagne est intercepté par les services Yéménites sur ordre du président de la République de ce pays qui vient de se faire extorquer d'importantes sommes, dans une affaire aux forts relents de feymania, les services français se mettent en branle. On parle alors de la jeune sœur du " pape des feymen camerounais " comme un personnage clé dans ces affaires qui ne sont pas toujours nettes : escroquerie, arnaques, trafic d’armes, fausse monnaie, affaires de pétrole... Elle est longuement entendue par des services français qui souhaitent obtenir d'elle le calepin explosif du frère connu des milieux. Elle résiste. Deux collaborateurs du ministre français des Affaires étrangères tombent dans la foulée. Leur proximité avec la famille Koagne est en cause. Jeanne Koagne s'en sort plus ou moins bien. On la voit plus souvent au Cameroun. Elle ne manque aucune des grandes agapes qui font courir la capitale. Des jardins de l'ambassade de France aux résidences d'ambassadeurs et pontes du régime, elle faisait partie elle-même du sérail. Ses anniversaires auraient pu être comparé aux cérémonies de présentation de voeux par le corps diplomatique au président de la République. People Ici comme dans les night-clubs de la capitale, ses cigares de marques étaient légendaires. Ses champagnes, de premier choix. La liste de ses amitiés dans les milieux jeunes s'allongeait au fil du temps. Dans le monde du " business " comme dans celui de l'armée camerounaise et de l’administration camerounaise, elle avait sa petite cour. Femme de caractère, presque toujours flanquée d'une paire de lunettes de soleil de jour comme de nuit, elle vivait seule chez elle. Recevant sur une liste aussi hétéroclite que l’étaient la multitude de pistes sur lesquelles on se perd en explorant les sources de sa fortune, prudente au point peut-être de préférer aux sociétés installées de gardiennage, les services d'un veilleur de nuit qu'elle avait dû choisir elle-même. Jeanne Koagne a récemment séjourné en Europe où elle n'est revenue qu'il y a deux semaines. On s'interroge sur les raisons de ce séjour en même temps que sur celui, effectué dans son village près de Bafoussam, il y a une dizaine de jours. La liste de ses invités, tout le week-end et l'identité de visiteurs présumés, quelque temps avant son assassinat, intéressent aussi des enquêteurs qui, a-t-on appris hier, devraient s'attarder aussi bien sur ses derniers appels, que sur ceux émis ou reçus par le fiancé. T.G.G. Regard: Insécurité Dimanche dernier, peu après l'annonce du décès de Jeanne Koagne, le domicile de la victime a été assailli par une foule d'amis et de curieux. Tout ce que Yaoundé compte comme élite mondaine a effectué le déplacement. Pour mener l'enquête, il y avait une équipe de gendarmes dirigée par le chef du groupe d'escadron de la capitale en personne. Un lieutenant-colonel. Le secrétaire d'Etat à la Défense chargé de la gendarmerie suivait les opérations de ses éléments sur le terrain. Ce qui montre bien à ceux qui auraient tendance à en douter, que l'affaire était (est) sérieuse. Au quotidien, peu de victimes de ce type d'assassinat bénéficient d'une telle attention au Cameroun. Il n'y a donc pas de doute : la victime n'était pas n'importe qui. Mais qui était donc réellement cette "Princesse" ? Pour l'instant, en dehors des informations tirées de sa vie mondaine, on en sait peu de choses. Quelles étaient ses activités ? Quels avaient été ses parcours scolaire et professionnel ? Un épais mystère entoure une bonne partie de la personnalité de Jeanne Koagne. Mais une chose est sûre : elle faisait courir ministres, ambassadeurs, chefs d'entreprise; en tout cas, une bonne brochette de personnes réputées sérieuses. Pour nombre de ceux qui la connaissaient, c'était une espèce de modèle. Qui a vécu et prospéré dans un système où les valeurs républicaines sont en délitement avancé. Dans un pays normal, il y a longtemps que la police, mais aussi la Jutice, se serait intéressée au train de vie de Jeanne Koagne, pour essayer de trouver des réponses aux questions que ses fréquentations suscitaient. Cela aurait pu lui éviter le sort tragique qu'elle a connu. En la mettant hors de la portée de ses tueurs. Malgré toutes ses amitiés et sa fortune supposée, la "Princesse" a sucombé à un environnement d'insécurité qui a déjà fait de nombreuses victimes. Aggravant un peu plus le traumatisme des citoyens. Quels que soient les mobiles de ce qui a tout l'air d'un assassinat, il n'y a plus que les résultats de l'enquête et un châtiement exemplaire des criminels pour rassurer la population. Est-ce seulement possible dans le pays de Me Ngongo Otou, Engelbert Mveng, Yves Plumey... C.B.




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