Affaire Scnc: A propos de la réunification du Cameroun

Par Xavier Luc Deutchoua | Mutations
- 30-Sep-2005 - 08h30   63949                      
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La Conférence de Foumban, comme si vous y étiez... Du 17 au 21 juillet 1961, les Camerounais anglophones et leurs frères francophones se réunirent dans le chef-lieu de l’actuelle département du Noun pour jeter les bases de l’Etat unitaire.
Foumban. 16 juillet 1961. 11h. Debout au bord d'une longue table couverte d'un nappe de couleur verte installée dans l'une des salles du Cours complémentaire, Ahmadou Ahidjo ouvre les travaux de la première conférence constitutionnelle regroupant les délégués de la République du Cameroun et ceux du-Cameroun méridional qui évolue vers la levée de la tutelle des Nations Unies. "Le pays bamoun dont je tiens à remercier aujourd'hui chaleureusement le chef, notre ami le sultan Seidou, pour l'accueil qu'il nous a offert, est en effet, par excellence, une région où l'on aime se retrouver tant pour l'hospitalité de ses habitants que pour l'atmosphère de mesure et de sérénité qui y règne", déclare le président, justifiant ainsi le choix de la capitale du département Bamoun pour la tenue de ces assises.. Foumban l'attachante, la chaleureuse, la mesurée et la sereine, où Ahmadou Ahidjo prend habituellement ses aises, au nom d'une double amitié, avec le sultan Njimoluh Seidou et Njoya Arouna, est, aux dires des témoins de l'époque, un "havre de paix" dans un environnement de terreur entretenue par la rébellion armée. En effet, en dépit d'énormes moyens en hommes et en matériel mis à sa disposition l'armée régulière n'arrive pas à réduire la résistance animée par l'Armée de libération nationale du Kamerun (Anlk), la branche armée de l'Union des populations du Cameroun. Rien qu'au cours des deux semaines qui précèdent le début des travaux de la conférence, les chroniques recensent une centaine de morts, tombées sous les balles des "terroristes" à Loum, Bafang, Ndom, Douala.... L'écho de ces événements sanglants traverse le Mungo et émousse l'entrain des nombreux partisans que le camp de la réunification compte de ce côté là. Plus d'une fois, John Ngu Foncha n'a pas manqué d'exprimer publiquement son inquiétude. Le 13 juillet à Douala, il appelle "ceux qui tuent de rentrer dans la légalité pour travailler à la grandeur du pays" Dans un tel climat d'insécurité, le souci de rassurer les leaders du Cameroun occidental tourmente Ahmadou Ahidjo. En décidant de la tenue de la rencontre à Foumban, il veut prouver sa maîtrise de la situation à ses interlocuteurs. Instructions Le choix n'est toutefois pas dénué de risques. Certes le sultan Njimoluh Seidou et son Assemblée traditionnelle du peuple Bamoun ont toujours été du coté de la légalité; mais Félix Roland Moumié, un des leaders de l'Upc, fils du terroir, a pu gagner les coeurs d'une bonne frange des bamouns, et a même réussi à introduire les thèses de son parti au palais, à travers Mekou Samuel, ami, secrétaire particulier du Sultan et, néanmoins, upéciste de la première heure. Certes la base militaire de Koutaba est là pour rassurer, mais les "terroristes" de l'Anlk ont prouvé qu'ils sont suffisamment introduits et capables d'audace. En témoigne l'assassinat récent du préfet Albert Khon, avec la complicité du sous-préfet Samuel Nyouma, dans la Sanaga-Maritime. Pour limiter les risques d'infiltration des "terroristes" dans le pays bamoun, les autorités administratives procèdent au renforcement des mesures préventives. Après un moment de relâchement, le couvre-feu reprend ses droits dans les unités voisines de Foumban dès le début de juillet. Un communiqué du préfet des Bamboutos en date du 3 juillet rappelle par exemple aux populations, portées à violer le couvre-feu, de ne plus mettre le nez dehors de 22h à 5h dans le centre urbain de Mbouda, et de 19 à 22h dans les "camps de groupement ou de regroupemnt" Au delà de 18h30, seuls les véhicules des autorités administratives, de la police et de l'armée sont autorisés à circuler. La même démarche est entreprise dans le Haut-Nkam, le Ndé et la Menoua, visiblement à la satisfaction des pouvoirs publics. Le 6 juillet, à la fin d'une tournée dans "le pays bamiléké", le ministre de la Justice promet aux autorités administratives de "faire part au chef de l'Etat de l'impression encourageante recueillie dans la lutte de plus en plus efficace contre le terrorisme". La "sérénité" vantée à l'ouverture de la conférence, et l'atmosphère paradisiaque attribué à Foumban est donc quelque peu factice. Ce 16 juillet 1961, quelques initiés, à commencer par le ministre de l'intérieur, Njoya Arouna, savent que Foumban est un blockhaus. Tout porte à croire que le principe d'un sommet à Foumban est arrêté au lendemain du plébiscite du 11 février. Le sultan Njimoluh Seidou est des rares dignitaires présents à l'aéroport de Yaoundé, le 3 mars, à l'arrivée de John Ngu Foncha, venu "rendre compte" du déroulement du référendum. Cinq semaines plus tard, entre le 11 et le 13 avril plus précisément, le président Ahidjo, reçoit successivement au palais, Njoya Arouna et son neveu le sultan Njimoluh Seidou. Les trois protagonistes ne sont plus de ce monde et les chroniques sont muettes sur l'objet de leurs entretiens. On peut facilement imaginer qu’au moins certaines modalités pratiques de la rencontre de Foumban sont évoquées. Peu de temps après, en effet, Yaoundé adresse aux autorités administratives en place dans le Bamoun des instructions relatives à cet évènement. "Deux mois avant l'ouverture des travaux, le préfet jean Marcel Mengueme et moi avons reçu la mission d'organiser les assises." Emmanuel Njoya, 93 ans, qui s'exprime ainsi, est l'un des rares témoins directs et privilégiés de ces palpitants moments de préparatifs de la conférence. Sans enjoliver comme d'autres nonagénaires de la ville de Foumban, sans se donner le beau rôle malgré les fonctions occupées, il raconte, comme si c'était hier: "Je suis entré dans le commandement en 1955 comme adjoint au sous préfet de Foumban. De 1959 à 1963, j'étais sous-préfet de la même localité". En attendant l'entrée en scène des politiques, le préfet et le sous préfet doivent résoudre l'épineuse question de l'hébergement, de la restauration et du transport des délégués ainsi que de l'animation dans la cité pendant les six jours que durera la conférence. Les logements décents de la ville appartenant aux fonctionnaires sont réquisitionnés. Sollicités, Laurent, Guerpillon, André Blanc, Trolier, Charles Ock Dopher... tous propriétaires de grandes plantations, mettent à contribution qui un véhicule, qui un appartement. Southern Cameroons Cette contribution locale est négligeable à coté des moyens en provenance de la capitale. "S'il faut dire la vérité, on les a séduit par notre façon d'accueillir. On nous avait donné tellement de choses pour préparer cette conférence... qu'avec ces choses, on a gâté les anglophones. Ahidjo et Foncha ont logé au palais où ils étaient aux bons soins du sultan. Quant aux autres, nous avions pour consigne de les amadouer. Chaque délégué avait dans son appartement un frigidaire (deux pour les plus grands), toujours bourré de champagne et de diverses boissons... Chacun avaient droit à un lit bien matelassé, avec deux servantes tout autour. Ce sont des choses qu'on ne devrait pas dire.... Ces servantes avaient pour consigne de bien s'occuper de nos hôtes... C'était une vraie corruption... La corruption ne date pas d'aujourd'hui. Mais, à cette époque, ce n'était pas de la corruption pour soi-même comme de nos jours. C'était une bonne corruption, pour bâtir le pays... Quant au programme des festivités, il prévoyait des soirées dansantes tout au long de la semaine. Réceptions suivies de bals étaient organisées à l'Auberge de Foumban, à la résidence du préfet, au domicile du Dr Hervé et à la résidence du sous-préfet...." Au matin du 16 juillet, au moment où les délégués foulent le sol de la capitale du sultanat de Foumban, voilà le dispositif d'accueil trouvé en place. Ahmadou Ahidjo arrive le premier. Avec, à sa suite, Charles Assalé, le Premier ministre, Charles Okala, le ministre des Affaires étrangères, Josué Tétang, le secrétaire d' Etat à l'Information, Christian Tobie Kuoh, le secrétaire général de la Présidence, Jean Bétayéné, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, le Malien, Cheick Sekou Sissoko, chef du secrétariat particulier du président. Il ont été précédés par Njoya Arouna, venu superviser les préparatifs. Cependant, la délégation du Southern Cameroons, partie du petit aéroport de Tiko ce même 16 juillet à bord d'un avion bimoteur, atterrit à Koutaba, et prend la route de Foumban où elle descend, dans l'après-midi, au milieu d'une immense foule en liesse. Elle comprend, outre John Ngu Foncha, Emmanuel Liffaffe Endeley, Solomon Tandeng Muna, Augustine Ngom Jua, Nerius Namaso Mbile, John Bokwe, Bernard Fonlon.... En tout dix membres du Kamerun National Democratic Party (Kndp), cinq du Cameroon People's National Convention (Cnpc), deux du One Kamerun et des chefs traditionnels. La nuit tombée, cet aéropage noie la fatigue du voyage dans une fête abondamment arrosée et fort dansante, animée par l'orchestre Irenée et le Victor Priso's Band, à l'Auberge de Foumban. Le lendemain, les délégués franchissent le seuil du Cours complémentaire dans d'excellentes dispositions d'esprit. Les discours successifs de Ahidjo, Foncha et Endeley abondent de propos amènes. Le chef de l'opposition anglophone qui, lors du plébiscite du 11 fevrier, a milité en faveur du rattachement au Nigeria, a déjà oublié la menace de lever 100 000 hommes pour provoquer une sécession. Très vite cependant, la confiance de certains délégués du Southern Cameroons est soumise à rude épreuve. Au lancement des travaux, et au grand étonnement de la majorité des délégués du Cameroun méridional, Ahidjo réclame les observations de ses vis-à-vis anglophones sur son projet de Constitution. Ses interlocuteurs croyaient, pour certains, être venus à Foumban élaborer ensemble la Constitution du futur Etat réunifié. Ils sont embarrassés d'apprendre que ledit projet a été remis, pour étude, à John Ngu Foncha, depuis belle lurette. Ce dernier a gardé le document secret. Pourtant, la All party constitutional conference tenue un mois plus tot à Bamenda était l'occasion d'en débattre. D'après Nerius Mbile, dès cet instant, on a d'autant plus le sentiment d'avoir perdu son temps, lors des travaux préparatoires de Mankon, que le projet de constitution découvert à Foumban est aux antipodes des attentes. A la place d'une constitution de type confédéral, les délégués du Cameroun méridional sont conviés à débattre d'un projet qui prévoit un pouvoir central fort et aux attributions étendus. Les membres du Cnpc comprennent alors mieux les propos de Foncha, déclarant le 13 juillet à la salle des fêtes de Akwa à Douala: "Les objectifs de la lutte sont totalement atteints". L'étonnement de Ngom Jua semble indiquer que même au sein du Kndp, tout le monde n'était pas au parfum. Les protestations fusent. On exige trois semaines suplémentaires pour étudier le texte. On évoque les conférences constitutinnelles de Londres de 1953, 1957 et 1958, auxquelles les leaders du Southern Cameroons ont participé, et qui ont toutes duré au moins deux semaines. "Too much haste should have far reaching effects on the people of Cameroons" prévient Endeley, "I have never seen people expected to write a constitution in two days", renforce Ngom Jua. Le mécontentement est tel qu'un chroniqueur traduit l'inquiétude générale en ces termes: "Les observateurs politiques se demandent si c'est dans cette ville effectivement que seront tracées les lignes générales de la constitution fédérale". Finalement, la repas de midi achevé, les délégués du Southern Cameroons se mettent au travail . La scène est kafkaïenne: pendant trois jours, la partie anglophone, se croyant aguerrie par la participation à trois conférences constitutionnelles à Londres et à Lagos, travaille d'arrache-pied; pendant ce temps, les francophones attendent tranquillement, eux qui ont mis des mois à élaborer le projet, avec le concours de spécialistes français du droit constitutionnel. Les débats sont houleux, ponctués d'éclats de voix. D'après le témoignage de Nerius Mbile, John Ngu Foncha, coupable d'avoir privé ses collègues de l'opportunité d'étudier le projet de Constitution à Bamenda, adopte un profil bas. Dans la nuit de jeudi, le rapport de session est remis à la partie francophone. Il comporte des amendements portant notamment sur le drapeau, l'hymne national et la devise du pays; le transfert du siège du gouvernement fédéral à Douala; le bulletin secret et le droit de vote à 21 ans; les attributions et les pouvoirs du président de la République; le mandat présidentiel réduit à deux; une assemblée fédérale constituée d'une assemblée nationale et d'un sénat; la double nationalité; le système scolaire et universitaire; la suppression du mot "indivisible" de la constitution... Réunification Le lendemain, vendredi 21 juillet, la dernière séance plénière s'ouvre, dans une ambiance festive. Les groupes d'animation venus de tout le département du Bamoun assiègent la chefferie de Njinka depuis l'aube. A 16h, Foncha prend la parole pour résumer l'esprit de fraternité ayant prévalu lors des travaux. Endeley prend sa relève. Il salue la qualité de l'accueil offert par le sultan Seidou Njoya, se félicite du succès des travaux, et conclut ainsi son speech: "Monsieur le Président, nous ferons preuve de notre profonde loyauté chaque fois que vous aurez besoin de nos services pour le grand bien du Cameroun". Vers 16h30, vient le tour du président Ahidjo de s'adresser à la plénière. Il donne ses premières réponses aux propositions des délégués du Cameroun méridional: le mot "indivisible" disparaîtra du projet, mais une clause garantissant l'intégrité de la fédération et empêchant toute possibilité de sécession sera introduite; faute de ressources financières importantes, il ne saurait être question de parlement bicaméral; la "House of Chiefs" sera maintenue; Yaoundé demeurera la capitale fédérale; il n'y aura pas de double nationalité; le président et le vice-président seront élus au suffrage universel; en attendant la mise sur pied des nouvelles institutions, les fonctions de président et de vice-président seront assurées respectivement par le président de la République du Cameroun et le Premier ministre du Cameroun méridional... A Foumban aujourd'hui, les souvenirs restent vivaces. Les albums photos de famille regorgent de témoignages de cette semaine pendant laquelle les projecteurs de l'actualité nationale et africaine furent braqués sur la capitale de l’actuel département du Noun. Quelques vieillards gardent en mémoire l'image de ces délégués anglophones marmonant l'hymne national à la clôture de la conférence, Bernard Fonlon étant le seul à en maitriser la version française, et personne n'ayant pris la peine d’en faire la traduction en anglais. Le Cours complémentaire de Njinka est devenu le lycée de Foumban. Dans l'enceinte de l'établissement, deux imposantes bâtisses gardent jalousement le secret des délibérations. A 50 m de ces lieux, Njoya Arouna a été inhumé. De sa tombe l'ancien ministre de l'Intérieur veille sur le salon principal de sa résidence où, dit-on, furent paraphés les accords de Foumban. Tandis qu’un de ses parents, Ismaël Manoure Mfouapon, espère voir se réaliser, avant sa mort, une promesse faite aux populations de Foumban le 21 juillet 1961: l'érection à Njinka du monument de la réunification.




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