Affaire Sic : 35 ans de prison ferme pour Gilles Roger Belinga

Par | Mutations
- 28-Sep-2007 - 08h30   56613                      
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Le Tgi du Mfoundi a également ordonné la confiscation de tous les biens de l’ex-Dg et de ses coaccusés.
On connaît depuis hier, jeudi 27 septembre 2007, le premier épilogue de l’affaire des détournements de deniers publics à la Société immobilière du Cameroun (Sic). Statuant en matière criminelle et siégeant en collégialité, le Tribunal de grande instance –Tgi) du Mfoundi que présidait Mme Nnomo Zanga, a en effet puni tous les accusés reconnus coupables il y a plus d’une semaine, des faits de détournements de deniers publics, de coaction de détournements de deniers publics, de complicité de détournements de deniers publics ou de tromperie envers les associés. Principal accusé dans cette affaire, l’ex-Dg de la Sic, Gilles Roger Belinga, s’en tire avec 35 ans de prison ferme, soit exactement la moitié du quantum de peine requis par le ministère public. La présidente du tribunal a par ailleurs décidé de la confiscation de tous les biens, matériels et numéraires, appartenant à ce dernier ; sans compter la déchéance pour une période de dix ans et le paiement à la Sic de la somme de plus 2,74 milliards Fcfa, au titre de dommages et intérêts. Pour ce qui concerne les coaccusés de Gilles Roger Belinga, ils ont été frappés des peines privatives de liberté allant de 25 ans (Claude Bernard Messy et Lezeu Dieudonné) à 15 ans de prison (pour tous les autres). Chacun de ces derniers devra également payer à la Sic des dommages et intérêts (voir liste ci-dessous) suivant le niveau du crime retenu par le tribunal. Lequel a prononcé la même déchéance de dix ans et la confiscation de tous les biens appartenant à l’ensemble des condamnés. Comme l’avaient souhaité ses avocats, Mes Maloka, Achet et Mandeng, la Sic a donc été reçue dans sa constitution de partie civile, et devrait recevoir un total de plus de 4,76 milliards Fcfa, dont un milliard représentant son manque à gagner suite aux nombreux détournements orchestrés dans ses caisses ; le reste étant l’évaluation du préjudice matériel subi. La douzaine d’accusés acquittés dans le cadre de cette affaire, eux, devront jouir de nouveau de l’ensemble de leurs avoirs. Le Tgi du Mfoundi a, en effet, ordonné une main levée des scellées apposés sur leurs biens depuis l’ouverture de l’enquête préliminaire. Une décision dont bénéficient également les ayant droits de Souleymanou Ousmanou dont le décès en cours de procédure a, comme le prévoit la loi, automatiquement "éteint" les poursuites à son encontre. Appel Les jeux sont donc faits. Du moins, pour ce qui est de la procédure en instance. Un châtiment relativement peu sévère, par rapport aux sollicitations du ministère public, a été prononcé à l’encontre des uns et des autres. Et pourtant, les choses n’ont pas été faciles pour le collège des juges, à qui les avocats des accusés ont clairement indiqué leur "indignation" par le fait que toutes les réserves formulées lors de leurs plaidoiries, autant sur la forme que dans le fond, n’ont pas été prises en compte par le tribunal. Lequel, "de façon instinctive", a prononcé la culpabilité de leurs clients. Les observations spécialement formulées par Me Emmanuel Mbiam, avocat de Gilles Roger Belinga, portaient sur "la non réponse aux conclusions développées pendant les plaidoiries, la non communication de certaines pièces à la défense, et la contrariété des motifs ayant conduit à la culpabilité des accusés". Tour à tour, les avocats des accusés ont fustigé "la fureur répressive et outrancière de la justice", qui, selon eux, ne s’accommode pas de sensationnalisme ou du théâtral. "La justice n’est pas inféodée au pouvoir exécutif, elle ne doit pas être la vengeance…", ont-ils argumenté. Les conseils de Gilles Roger Belinga ont d’ailleurs refusé de plaidé un quelconque "bénéfice du doute" comme le suggérait le tribunal. "Nous laissons à votre appréciation souveraine l’examen de la question sur le bénéfice du doute, parce que nous continuons de plaider non coupable !", a martelé Me Mbiam. "Nous rejetons au plus fort le paiement des dommages et intérêts, comme non justifiés", a renchéri Me Epassy. En tout état de cause, "le juge d’appel nous départagera", ont conclu les avocats. Comme pour dire qu’ils interjetteront aussitôt appel de la décision finale prise par le Tgi du Mfoundi. Suivant les dispositions de la loi, ces derniers disposent d’un délai de dix jours pour introduire leurs recours auprès du juge de la cour d’appel. Lesquelles requêtes suspendraient alors toutes les décisions prises en instance. Afin que les crimes de détournements de deniers publics imputés aux condamnés soient réexaminés plus en profondeur. Accusés coupables 1-Gilles R. Belinga, 35 ans de prison ferme, 2.74 milliards de fr cfa 2-Claude B. Messy, 25 ans de prison ferme, 165.251 millions de fr cfa 3-Lezeu Dieudonné, 25 ans de prison ferme, 165.825 millions de fr cfa 4-Amadou Ousmanou, 15 ans de prison ferme, 23.83 millions de fr cfa ( en fuite ) 5-Soppo François, 15 ans de prison ferme, 26.76 millions de fr cfa 6- Amougou Jules Martin, 15 ans de prison ferme, 167.017 millions de fr cfa 7-Nama Nsimi Patrice, 15 ans de prison ferme, 60.144 millions de fr cfa 8-Ndengué Edmond, 15 ans de prison ferme, 127.083 millions de fr cfa 9- Ayissi Tsala, 15 ans de prison ferme, 5.9 millions de fr cfa 10-Ngone Bébé Charles, 15 ans de prison ferme, 127.083 millions de fr cfa Accusés non coupables 1- Ossobo Bidjang Dieudonné 2- Ateba Enobo Jeanne 3- Mvondo David 4- Ndoé Essono Martial 5- Ngandjeu Chantal, épouse Njiké 6- Okassié Ambolo 7- Nanga Nanga 8- Tsombe Sylvain 9- Ndzana Zoga yvette 10- Essono Nga Denis 11- Eyebe Leboko paul 12- Seme Noungong Accusé décédé Souleymanou Ousmanou Eugène Dipanda

Gilles Roger Belinga : Quand commence la descente aux enfers…

21 mois auront passé entre l’arrestation spectaculaire et le verdict d’hier. C’est le 21 février 2006, aux environs de 11h15, que commence le cauchemar de Gilles Roger Belinga, et certains de ses collaborateurs. Ce jour-là en effet, "l’ancien" Dg de la Sic sort de son domicile, assis à l’arrière d’une Toyota Land Cruiser, encadré par deux policiers. Des voisins indiquent que c’est depuis 5 heures du matin que les éléments de la police judiciaire ont envahi le domicile. Seuls les enfants de Gilles Roger Belinga ont été autorisé à sortir pour se rendre à l’école, après qu’ils ont été minutieusement fouillés. Une fouille a également été perpétrée dans toute la résidence, dont les volets sont restés fermés. A 09h 50, de l’extérieur, on pouvait apercevoir la Vx grise garée dans la concession, la malle arrière ouverte avec, apparemment, un ordinateur chargé à l’intérieur. Au même moment, à la direction générale de la Sic située à moins de cinq minutes en voiture de la résidence de l’Ex-Dg, les éléments de la police judiciaire sont en embuscade à l’entrée. L’accès au bâtiment est interdit aux visiteurs. Tous les directeurs ont été conduits à la police judiciaire, sis au quartier Elig-Essono. Seul le directeur administratif et financier, Amadou Ousmanou, absent lors de la descente de police à la Sic, n’a pas été interpellé. Plus tard, il sera déclaré en fuite. C’est le début de l’affaire ministère public et Société immobilière du Cameroun (Sic) contre Gilles Roger Belinga et une vingtaine de coaccusés… Après de longues journées d’auditions passées au parquet de Yaoundé et la navette entre le secrétariat d’Etat à la défense (Sed) et la prison centrale de Kondengui, les deux pénitenciers où sont gardés les accusés, le procès peut commencer. Lors de l’audience du 27 mars dernier, Gervais Mendo Ze, Okouda et autres "dignitaires" du régime, ont été cités comme acquéreurs irréguliers d’immeubles de la Sic. Dans la grande salle d’audience du tribunal de grande instance, ce jour-là, M. Takam, ingénieur de génie civil, ne s’est pas fait prier pour faire des révélations. Le 16 juin 2006, l’expert a reçu du ministère public le mandat d’établir les écarts entre les ventes des immeubles bâtis et non bâtis procédés par Gilles Roger Belinga, mais aussi et surtout d’identifier les acquéreurs de ces biens.L’ingénieur expertise ainsi 64 logements et 32 terrains vagues à Douala et Yaoundé cédés par l’équipe de Gilles Roger Belinga, en violation, indique-t-il alors, de toutes les règles en la matière et notamment sans l’autorisation du conseil d’administration de la Sic. Laquelle, argumente-t-il, est nécessaire pour valider ce type d’opération. Plaidoiries Une "braderie" d’immeubles contenue dans l’accusation, et qui mettait principalement en cause Gilles Roger Belinga et certains de ses collaborateurs. Ce qui a provoqué le courroux de la défense. Lors des plaidoiries qui ont débuté le 20 août dernier, le collectif d’avocats de la défense s’est ainsi attelé à démontrer, éléments de droits et anecdotes à l’appui, que les actes mis à la charge de leur client étaient dénués de tout fondement. Pour cela, il a d’abord fallu exhumer le sempiternel débat sur la nature juridique de la Sic. Selon eux, quoique à capitaux majoritairement détenus par l’Etat camerounais, la Sic ne peut être considérée comme une société publique, parce qu’il n’y a jamais existé un poste de contrôleur financier, ni celui de comptable matière, comme cela est le cas pour toutes les autres entreprises publiques. De leur avis donc, Gilles Roger Belinga ne devrait pas être poursuivi pour "détournements de deniers publics", tel que c’est le cas depuis que la machine judiciaire a été mise en branle. Ils ont par ailleurs demandé au tribunal d’acquitter purement et simplement leur client; et… de débouter la Sic de ses prétentions en dommages et intérêts. Quelques semaines plus tôt, c’est l’acquittement de Paul Eyebe Lebogo que les avocats de la défense ont réclamé. Si, vendredi dernier, cette dernière requête a connu une suite favorable avec un Eyebe Lebogo reconnu non coupable, il n’en est pas de même pour l’Ex-Dg Gilles Roger Belinga, qui a toujours estimé que les sorties de fonds avaient, de tout temps, obéi aux principes fixés par la note de service de juillet 1993. Le ministère public a requis 70 ans d’emprisonnement. L’ex-Dg en a eu 35, après l’audience d’hier. Il a été reconnu coupable d’avoir distrait la somme de près de 3 milliards de Fcfa des caisses de sa structure, dont plus de 2 milliards Fcfa à titre individuel. La présidente du tribunal, Mme Nnomo Zanga, l’a également reconnu complice de détournements de la somme de 617 millions Fcfa, avec sept de ses coaccusés. Lesquels ont, pour certains, également été reconnus coupables de détournements de deniers publics à titre individuel. Dorine Ekwè

Me Emmanuel Mbiam : Les droits de la défense ont été violés

Réaction de l’avocat de Gilles Roger Belinga après la décision finale du juge. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous au sortir de ce long procès ? Nous avons fait trois constats. Le premier, c’est que le tribunal n’avait nullement pris en considération les éléments de droit soulevés par la défense au cours de sa plaidoirie. Dans notre jargon, on appelle cela une non réponse aux conclusions de la défense. Et c’est un motif de cassation, donc un motif d’infirmation. J’ai d’ailleurs énuméré au cours de mon intervention, tous les points sur lesquels le tribunal n’avait pas apporté des réponses. Dans ce jugement, il y avait par ailleurs une non communication préalable des pièces du dossier à la défense. Et pourtant, ces pièces ont été lues dans le jugement. Cela équivaut à une violation des droits de la défense. Tant qu’on ne communique pas les pièces, on ne permet pas le débat contradictoire. Ceci est donc, une nouvelle fois, un motif de cassation et d’infirmation. En troisième lieu, il y a eu dans ce jugement une contradiction de motifs. Dans certains cas, le juge a écarté le Traité Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, Ndlr), qui est un droit applicable dans ce dossier. Mais, curieusement, pour prononcer la condamnation de certains accusés, le même juge a fait référence à ce Traité Ohada. Cela est un autre point, qui vaut une cassation, donc une infirmation. Cela veut donc dire que vous interjetez appel… Automatiquement. Nous allons relever appel contre ce jugement. Et nous le ferons dès demain matin (vendredi, 28 septembre 2007), même si la loi nous donne dix jours pour cela. Et je continue d’insister sur un point précis. Lorsque je plaidais, j’ai fait comprendre au tribunal que tout ce qui est reproché à Gilles Roger Belinga en terme de détournements de deniers publics, ce ne sont pas des sommes d’argent qu’il a encaissées personnellement, mais plutôt ce que le magistrat instructeur a considéré comme manque à gagner au profit de la Sic. Manque à gagner, par exemple, parce que Gilles Roger Belinga aurait payer des employés de la Sic, qui ont travaillé au ministère de la Ville ; manque à gagner parce que Gilles Roger Belinga a vendu à l’Etat du Cameroun les 30 logements de Nkomo à la somme de 600 millions Fcfa. Et vous savez que c’est dans cette cité-là que loge la Garde présidentielle. L’accusation prétend que ces logements auraient plutôt dû être vendus à 750 millions de Fcfa. Conclusion, le gap de 150 millions Fcfa constitue un détournement de deniers publics à mettre à l’actif de mon client. Avouons que c’est trop facile-là. C’est un raccourci qui est vite trouvé. Lorsqu’on a rendu le jugement de culpabilité, on s’est rendu compte qu’il comportait beaucoup de violations. De ce point de vue, il est donc clair que seul le juge de la cour d’appel pourra nous départager… Eugène Dipanda

Regard : Justice inachevée

Comme avec Ongo Ndong et cie le 28 juin 2007, Giles Roger Belinga et ses coaccusés viennent eux aussi de connaître leur sort dans l’affaire de détournement, complicité de détournement et tentative de détournement pour laquelle ils sont incarcérés depuis février 2006. Si pour les premiers les peines vont de 10 à 50 ans de prison ferme avec confiscation de biens, pour le cas des accusés de l’affaire Sic, la sanction: Prison ferme et confiscation de tous les biens, va de 15 à 35 ans fermes. Une sentence qui sonne pour les observateurs comme une galéjade. Dans les chaumières, les commentaires vont déjà bon train. A ce propos, il y en a qui pensent que le tribunal a eu la main lourde. Avis sentimentalistes ou réflexion rigoureuse fondée sur des éléments juridiques et pertinents, peu importe. Toujours est-il qu’en face, il y en a qui estiment que Giles Roger Belinga et cie doivent se dire chanceux comparés aux 50 ans prononcés contre Emmanuel Gérard Ondo Ndong dont le procès en appel a débuté mardi dernier. Qu’on soit d’un bord comme de l’autre, la vraie question, celle lancinante à laquelle il faut répondre est de savoir si en dépit du regain de crédibilité qu’on peut lui conférer à la faveur de ces verdicts, par la décision ainsi prise, la justice camerounaise règle le fond du problème. Car, du moment que les accusés reconnus coupables ne peuvent ni restituer les biens détourner, ni les compenser de quelque autre manière, le sentiment et la vérité résument les faits à une justice inachevée. Combien de fois a-t-on entendu les gens autour de nous appeler simplement à une condamnation de cinq de prison aux travaux forcés depuis le verdict rendu, le 28 juin 2007 contre Ondo Ndong et ses coaccusés? De nombreuses réactions vont dans le même sens, cette fois encore. C’est dire si les Camerounais ont le sentiment que les procès ainsi intentés contre les présumés détourneurs de fonds publics sont politiques. Et que la mise en scène n’est pas véritablement réussie dès lors que, des arrestations aux verdicts en passant par les procès, la part belle est faite à une certaine scénarisation. Preuve également que les vraies préoccupations des commanditaires de ces procès sont ailleurs. Car comme le disait Mongo Beti lors de l’affaire Titus Edjoa en 1997, il n’est pas question de défendre des bandits. Ni même de promouvoir des travers qui retardent le développement du Cameroun. Mais de prôner la justice aussi longtemps que Al Capone, malfaiteur devant l’éternel a eu droit à un procès équitable devant la justice de son pays avec une finalité bien précise. C’est à ce prix que, Joseph Edou et les autres peuvent, non pas perdre le sommeil, mais se dire qu’ils paieront le moment venu, la not des fautes commises. Léger Ntiga




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