Escroquerie: Famm Cameroon dans les mailles de la justice

Par | Mutations
- 05-Sep-2007 - 08h30   59202                      
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La promotrice de cette Ong est poursuivie par la Cnps pour plus d’un motif.
De bouche à oreille, la nouvelle était sur toutes les lèvres le week-end dernier à Yaoundé. "A la suite d’une plainte du directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps), Bridget Ambela Jeffrey a été placée sous mandat de dépôt à la prison centrale de Yaoundé depuis trois jours", a-t-on entendu à divers endroits de la capitale camerounaise au cours de la journée de vendredi, 31 août 2007. Vérification faite, il n’en est rien. Du moins pour l’instant! Car, la promotrice de la Fondation pour l’assistance maladie et maternité Cameroon (Famm Cameroon) est effectivement poursuivie par la Cnps pour " usurpation de fonction, détournement de deniers publics, refus de déclarer les impôts et refus de reverser les cotisations à la Cnp". Selon différentes sources à la police, à la Cnps et au ministère de du Travail et de la Sécurité sociale (Mintss), Bridget Ambela Jeffrey n’a échappé à la mise sous mandat de dépôt, le 27 août 2007, que grâce à diverses interventions de certains membres du gouvernement camerounais. Plusieurs fois convoquée au commissariat centrale N°1 de Yaoundé à qui le juge d’instruction a confié le dossier, l’intéressée est interpellée le 23 août 2007 à Mokolo, quartier populaire de la capitale camerounaise conformément au mandat d’amener signé par le procureur de la République 24h plus tôt. Mme Ambela est remise en liberté à la suite d’une première audition, sur la foi de son avocat, qui a promis de l’y reconduire le lendemain. Le lendemain vendredi, elle est à nouveau entendue alors que la Cnps a, elle aussi, fait sa déposition. Au terme de six heures d’audition, elle est déférée au parquet. Elle passe d’ailleurs le week-end du 25 au 26 août entre les mains de la police. De retour devant le procureur de la République le lundi suivant (27 août 2007), elle est remise en liberté "à la suite d’énormes pressions" y compris des membres du gouvernement, selon des sources proches du dossier. "Il est hors de question de croire qu’elle a été relaxée. Elle reste à la disposition de la justice. On n’ose pas dire qu’elle est sous contrôle judiciaire", a indiqué le chef de la division juridique de la Cnps M. Bikaï, incrédule. Taxation A l’origine de cette affaire, le non paiement, par Famm Cameroon, de ses cotisations sociales à la Cnps. C’est ainsi que, à en croire la direction de la Caisse nationale de prévoyance sociale, différentes correspondances sont adressées à la promotrice de l’Ong. Sans suite. Le 1er juin 2002 déjà, les contrôleurs de la Cnps lui signifient une taxation d’office pour la période allant du 1er juin 2002 au 31 août 2006. Elle sera, elle aussi, sans réponse. C’est alors que le 12 septembre 2006, la Cnps lui adresse une mise en demeure qui lui est notifiée par voie d’huissier. Par la suite, avec l’appui de la direction des Impôts, Mme Ambela reçoit un avis de mise en recouvrement. Cette autre action est intervenue avant le blocage des comptes, qui ne sera levé que grâce à l’arbitrage du ministre du Travail et de la Sécurité sociale (Mintss) et des services du Premier ministre. A l’issue des différentes rencontres entre les deux parties sous l’arbitrage du gouvernement, le Mintss, dans une correspondance signée le 13 février 2007, demande à Mme Ambela de payer sa dette suivant des modalités à arrêter d’accord parties avec la Cnps. Le 15 février, une autre rencontre a lieu dans les services du Premier ministre où la résolution est prise de réunir à nouveau les parties autour du Mintss le 22 du même mois. Au terme de ce dialogue de sourds, la Cnps a saisi la justice d’une plainte conformément à l’ordonnance du 22 mai 1973. Qui organise la sécurité sociale au Cameroun et qui stipule que "les voies de faits perpétrées sur les agents de la Cnps, comme le refus de payer ses cotisations sociales sont passibles de poursuites pénales. " La plainte de la Cnps a été transmise aux officiers de police judiciaire du commissariat central N°1 par l’entremise du magistrat instructeur qui n’exclut par l’éventualité d’autres poursuites au motif de détournement du bien public. Car en effet, la collecte de l’épargne publique dont elle s’est voulue professionnelle lui a permis de collecter annuellement selon ses prévisions au moins 150 milliards de francs Cfa, cotisés par un million de ses adhérents. Approchée, Bridget Ambela Jeffrey n’a pas souhaité réagir. Au téléphone, elle a dit ne plus succomber au chantage des journalistes. Toujours est-il que, du fait de sa résistance et à la suite de plusieurs convocations infructueuses, elle est interpellée et déférée au parquet où selon des sources concordantes, elle a été sauvée de la mise sous mandat de dépôt grâce aux interventions du gouvernement.

Bridget Ambela Jeffrey : Comme dans un conte de fey

Elle voulait réécrire le code de sécurité sociale, elle révèle une femme à l’identité insaisissable. Le public la connaît sous les abords d’une véritable battante. Tant elle dit avoir mené tambour battant une carrière qu’elle veut grandiose. Sans ressources évidentes et surtout sans formation aucune en matière de sécurité sociale, celle qui se fait appeler Bridget Ambela Jeffrey se veut le précurseur de la réforme de la sécurité sociale au Cameroun. Un saut dans le vide donc. Car elle en parle aux médias et ailleurs bien avant que le département ministériel en charge du domaine ne soit créé par décret présidentiel en décembre 2004. Pour de nombreux observateurs, elle est courageuse et audacieuse. Elle ne recule devant aucun obstacle dès lors qu’elle a flairé le bon coup. La preuve, Famm Cameroon (Fc) "qui œuvre dans la sécurité sociale" est une conception qui aurait été mise sur pied conjointement avec David Nama, son second époux, et on lui reprocherait aujourd’hui d’avoir emporté leur projet commun pour le matérialiser quelques mois plus tard. Bridget Ambela a également vécu en France, à Clermont Ferrand précisément pendant plus de dix ans. Avant de revenir au pays, qu’elle quittera pour se rendre au Tchad, dans la ville de Sarh notamment, où elle se retrouvera à vendre du pétrole et ses dérivés. Mais le secteur est visiblement très complexe pour elle, les problèmes ne tardent pas à surgir, elle abandonne et revient sur ses pas, à Yaoundé. Elle rebondit sur des accusations de feymania. Dans une vieille édition retrouvée et datée du jeudi 23 décembre 1999, le journal Happy l'accuse d’escroquerie. Car, sous le prétexte d’inscrire à l'examen de baccalauréat tchadien, on lui reproche d’avoir extorqué environ 1,8 millions à des centaines de candidats à cet examen jugé difficile au Cameroun. Elle se sert d’un établissement précédemment crée, l’institut des Sciences pour le développement industriel et commercial (Isdic) à Yaoundé. Abandonnés à eux-mêmes à Sarh, les élèves sont accueillis au domicile du préfet de la localité, le général Mahamat Ali Absakine. Ici, les informations qu'ils reçoivent à propos de leur guide sont très effrayantes comme l’indique le journal local Le jour de l'examen, les infortunés se rendent compte que leurs noms ne figurent pas sur les listes du centre d’examen au Lycée de Sarh dont leur parlait Mme Ambela. Celle-ci ne leur laisse pas le temps de consommer leur déception, ni de revendiquer leur remboursement. Elle obtient en revanche, pour les jeunes filles, une escorte musclée. Face au refus des jeunes d’obtempérer, elle les renvoie sans ménagement au Cameroun; où les malheureux porteront plainte à la gendarmerie et à la police. Une affaire restée jusqu’aujourd’hui, sans suite. En 2001, à la faveur d’une connaissance qui évolue dans le secteur du pétrole, elle se fera recruter dans la société Cacocom, qu'elle va diriger durant un an. Au bout de cette période, elle est virée, officiellement pour malversations financières. A partir de là, tout semble se brouiller dans cet itinéraire particulier car elle est supposée se retrouver aux Etats-Unis d’Amérique, où elle se remarie pour devenir Bridget Ambela Jeffrey, obtient un Ph-D en endocrinologie, suit dans la foulée des études de finances internationales, et travaille même quelques années à la célèbre bourse de New York à Wall Street, le tout avant de donner, en 2002, le coup d’envoi de Famm Cameroon au Cameroun. Tout ce parcours donc, en à peine un an ! Même si l'ambassade des Etats-Unis au Cameroun, qui semble pourtant avoir été pendant longtemps l’une de ses cautions, indique aujourd’hui n’avoir retrouvé aucune trace de son passage au pays de l’Oncle Sam. Aujourd’hui, accusée par la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) de détournement des fonds publics, cet organisme lui réclame le remboursement de 1,3 milliard de Fcfa. Montant des cotisations sociales collectées auprès du personnel de Famm Cameroon évalué à 2.800 employés, selon les informations de la mise en cause. Léger Ntiga

Evocation

Que va-t-il se passer maintenant que toutes les informations, qui jusque-là se murmuraient dans les salons, se retrouvent désormais sur la place publique ? La principale concernée, à qui on semble reconnaître un entregent de qualité supérieure, va-t-elle perdre de sa superbe et déférer aux convocations qui pleuvent désormais de partout ? Que vont devenir toutes ces centaines d’employés qu’elle a recrutés pour les mettre au service d’une Ong présentée alors comme une panacée à la sécurité sociale au Cameroun ? Plusieurs questions vont encore se poser pendant quelque temps. Mais la plus importante restera sans doute : les autorités de la République étaient-elles informées des véritables activités ou du passé plus que controversé de cette dame lorsqu’elles ont quand même décidé de lui accorder leur soutien ? Parce que, de manière constante, Bridget Ambela a bénéficié des appuis du système pour occuper l’espace médiatique, profité de certaines faveurs et occupé des positions privilégiées dans l’organisation de certains événements. Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale aurait, par exemple, été régulièrement présenté comme l’un de ses principaux soutiens. Un élément, qui tend à corroborer cette thèse, est l’implication de Bridget Ambela dans l’organisation du Forum social envisagé par le ministre en charge de la sécurité sociale, Robert Nkili, à cette même période de l’année dernière, forum qui n’a été annulé qu’à la dernière minute par le président de la République, après des rapports peu avantageux sur la manière dont le conclave avait été organisé, à l’exclusion des autres partenaires sociaux. On retrouvera d’ailleurs, dans le discours qui avait déjà été programmé par la patronne de FAmm Cameroon, partenaire privilégié de l’événement, des éléments d’un programme qui aurait dû aboutir à la scission de l’actuelle Cnps en au moins six structures différentes, l’une des branches lui ayant déjà été promise par quelque officiel. Au-delà des problèmes juridiques que causait le fonctionnement de cette structure et qui valent aujourd’hui à sa promotrice d’être traquée de partout, au point d’être poursuivie au pénal pour collecte frauduleuse d’épargne publique, c’est la légèreté même dans la gestion de cette affaire par les autorités publiques qui émeut. Alors même qu’on sait les dangers sociaux que peut provoquer l’épargne, sans garanties suffisantes, des revenus des populations. Chaque fois que la Campost s’est enrhumée, où que quelques coopératives ont connu des soubresauts, les épargnants se sont aussitôt retrouvés dans la rue, sans que les forces de l’ordre ne sachent comment les canaliser. Comment fera-t-on si, à l’annonce de la nouvelle, le million d’adhérents qu’elle revendique (un chiffre exagéré, de notre point de vue, en comparaison avec la taille totale de notre population) se mettait en rang de bataille pour rentrer dans ses droits ? A.B.B.




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