Mariage d'enfants en Tanzanie: La pauvreté exacerbe le phénomène (Rapport)

Par AA/Dar Es Salaam | AA
Dar Es Salam - 29-Aug-2022 - 18h25   4740                      
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Enfants en Tanzanie AA Images
Les défenseurs des droits de l'enfant blâment la loi discriminatoire qui permet de marier les filles dès l'âge de 14 ans

Malgré de multiples interventions, le mariage des enfants est en augmentation en Tanzanie, exposant les jeunes filles à l'exploitation sexuelle tout en leur refusant le droit à l'éducation, selon des responsables tanzaniens.

Des jeunes filles de 14 ans sont forcées de se marier, alors que les frais de subsistance croissants poussent les familles à la limite du supportable.

"Le nombre de mariages d'enfants a doublé en 1 an seulement", a déclaré à l’Agence Anadolu(AA) Deos Muhaja, responsable de la protection sociale au sein du conseil régional de Shinyanga (nord-ouest).

"42 cas de mariage d'enfants ont été enregistrés entre janvier dernier et août de cette année à Shinyanga, la plus durement touchée par la sécheresse, contre 19 cas documentés en 2021", a ajouté Muhoja.

Et de poursuivre : "La situation dans d'autres endroits est pire, car les parents pauvres ont désespérément besoin d'argent."

La semaine dernière, la police tanzanienne a secouru une jeune fille de 15 ans qui devait être mariée à Shinyanga pour 200 000 shillings tanzaniens (86 $), en payant 10 vaches en dot.

La police a contrecarré la cérémonie de mariage, prévue pour le 16 août, dans le village du nord-ouest de Manyada.

La jeune fille, dont les rêves de devenir médecin ont été brisés, n'a eu d'autre choix que de réaliser les souhaits de son père.

Mohoja a souligné que beaucoup de ces incidents n'ont pas été signalés en raison de la culture du silence".

** derrière les barreaux

Prehtun Rutagama, cheffe du bureau de l'égalité des sexes à la police de Shinyanga, a déclaré à l'Agence Anadolu(AA) que la police « avait engagé des poursuites pénales contre les deux familles ».

Elle a expliqué que "beaucoup de pères choisissent de marier leurs filles pour gagner de l'argent".

Dans toute la région frappée par la sécheresse, les familles font face à des choix douloureux pour survivre, alors que le changement climatique assèche les sources d'eau et tue le bétail.

La Tanzanie est l'un des pays où le taux de mariage d'enfants est le plus élevé au monde, avec une moyenne de 2 filles sur 5 qui se marient avant leur 18eme anniversaire.

En d'autres termes, environ 37 % des femmes actuellement âgées de 20 à 24 ans se sont mariées avant l'âge de 18 ans, selon le Fonds des Nations Unies pour la population.

Le mariage des enfants est un problème grave en Tanzanie qui touche les filles des zones rurales.

Bien que la loi tanzanienne sur le mariage, de 1971, fixe l'âge du mariage pour les garçons à 18 ans, les filles sont autorisées à se marier avec le consentement du tribunal ou des parents, dès l'âge de 14 ans .

Cependant, les défenseurs des droits des filles dénoncent cette loi, qu'ils considèrent comme violant le droit des filles à l'éducation, étant donné qu'à un si jeune âge, les filles ne sont pas biologiquement prêtes pour la grossesse, l'accouchement et les défis de la vie.

** Une culture de discrimination profondément enracinée

Dans un interview accordé à l'Agence Anadolu (AA), Caroline Lagat, chargée de programme à l’organisation caritative internationale pour les droits des filles, (Equality Now), a déclaré que : "Le mariage des enfants est le résultat de normes patriarcales, sociales et culturelles profondément enracinées et discriminatoires envers les femmes et les filles".

"Dans les familles vivant dans l'extrême pauvreté et aux prises avec des ressources limitées, il est plus courant que les filles soient retirées de l'école pour travailler ou se marier", a ajouté Lagat.

Selon Caroline Lagat, il est fréquent que "les parents marient leurs filles pour réduire le fardeau financier de la famille".

Les militants tanzaniens affirment que si la grossesse chez les adolescentes est la cause profonde du décrochage scolaire des filles, le gouvernement n'a pas réussi à lutter contre la violence et la coercition sexuelles et n'a pas encore introduit une éducation sexuelle complète dans les programmes scolaires en Tanzanie.

Lagat a également appelé à "fournir une éducation de qualité dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive d'une part, et veiller à ce que les filles soient soutenues pour terminer leur éducation tout en luttant contre les inégalités sociales et économiques qui rendent les femmes et les filles vulnérables à l'exploitation sexuelle d'autre part". "

L'experte a souligné "la nécessité d'intensifier les efforts pour éliminer la violence à l'égard des filles et des femmes, et mieux appliquer les lois contre la violence sexuelle et sexiste, pour garantir que les auteurs soient punis".

Selon elle, "les lois contradictoires sur le mariage des enfants en Tanzanie ont laissé des lacunes importantes et créé un terrain fertile pour les violations des droits des filles".

Elle a rappelé que "la loi est un outil puissant pour lutter contre les pratiques néfastes, tel que le mariage des enfants, et reflète l'engagement du gouvernement à assurer la protection de ces enfants".

** Dilemme des filles

Si les militants s'appuient sur la loi pour garantir aux filles l'accès à la justice lorsque leurs droits sont violés, force est de constater que la loi de 1971 sur le mariage interdit le mariage des garçons avant l'âge de 18 ans, mais permet aux filles dès l'âge de 14 ans de se marier avec le consentement de leurs parents ou du tribunal.

Lagat a estimé que "la lacune fondamentale dans la loi sur le mariage est qu'elle n'offre pas une protection égale et constitue une forme de discrimination contre les filles sur la base du sexe".

Elle a expliqué que Elle a expliqué que "la loi tanzanienne viole le droit international en autorisant la discrimination à l'égard des filles dont l'âge requis pour le mariage est inférieur à celui requis pour les garçons.".

Lagat a souligné que "permettre aux filles de se marier alors qu'elles sont encore des enfants les expose à d'autres violations des droits humains".

Le Droit international relatif aux droits de l’homme définit un enfant comme toute personne âgée de 0 à 18 ans.

Le mariage des enfants piège de nombreuses filles dans le cycle de la pauvreté et les empêche de réaliser pleinement leurs ambitions, selon la même experte.

La constitutionnalité de la loi tanzanienne sur le mariage a été contestée par Missishana Initiative, une ONG de défense des droits des filles basée à Dar es Salaam.

En 2016, le tribunal a jugé que le mariage avant l'âge de 18 ans était inconstitutionnel et a ordonné au gouvernement de porter le minimum de mariage à 18 ans pour les filles et les garçons dans un délai d'un an.

Concernant cette décision, Lagat a déclaré: "Il est regrettable que le gouvernement n'ait pas respecté cette décision et que la loi sur le mariage n'ait pas été modifiée."

En 2020, Equality Now et d'autres groupes de défense des droits ont déposé une plainte conjointe auprès de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, cherchant à renverser la politique discriminatoire du pays consistant à expulser les filles enceintes de l'école et à empêcher les mères adolescentes de retourner à l'école après l'accouchement.

Lagat a déclaré: "La Tanzanie devrait investir dans des programmes de sensibilisation pour garantir un environnement sûr et propice permettant aux mères adolescentes de poursuivre leur éducation, à l'abri de la stigmatisation sociale".

Elle a exhorté le gouvernement à "jouer un rôle actif dans la protection des droits des filles en formant des fonctionnaires pour empêcher le mariage des enfants et assurer le suivi des affaires en justice".

Lagat a également exhorté le gouvernement à "collecter des données complètes sur le mariage des enfants pour guider le développement et la mise en œuvre de programmes visant à résoudre le problème et à donner aux filles les moyens de réaliser pleinement leurs ambitions".

Elle a enfin conclu : "Les rescapées du mariage d'enfants doivent avoir accès à la justice et les auteurs doivent être tenus responsables".

 

AA/Dar Es Salaam





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