Cameroun - Opinion: Le philosophe Mono Ndjana refuse de penser la tolérance ethnique et politique

Par Louis-Marie Kakdeu, PhD | Correspondance
- 10-Mar-2014 - 06h51   54238                      
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Au Cameroun, qu’on l’aime ou non, le Professeur Hubert Mono Ndjana est le premier professeur titulaire de philosophie qui peut être considérée comme étant la science de la pensée. En tant que retraité, il fait aussi partie de la mémoire de l’université Camerounaise. A ce titre, ce qu’il dit peut être lourd de conséquences si cela passe sous silence.
Au Cameroun, qu’on l’aime ou non, le Professeur Hubert Mono Ndjana est le premier professeur titulaire de philosophie qui peut être considérée comme étant la science de la pensée. En tant que retraité, il fait aussi partie de la mémoire de l’université Camerounaise. A ce titre, ce qu’il dit peut être lourd de conséquences si cela passe sous silence. En lisant son interview du 08 Mars 2014 sur Cameroon-Info.Net, j’ai eu la tristesse de découvrir un penseur rongé par le désespoir de n’avoir bénéficié d’aucun avantage sous le régime du RDPC malgré la fertilité de sa pensée militante. J’ai constaté avec regret la démission d’un penseur qui jadis se disait «utopiste» et qui maintenant est «réaliste» sur une question aussi sensible que celle de la tolérance ethnique. Finalement, on comprend que Mono Ndjana n’aura été qu’un professeur de philosophie et non un philosophe comme Socrate dont la reconnaissance est survenue longtemps après sa mort. On ne peut être que triste parce que notre société contemporaine souffre d’une «crise de modèles» et d’exemplarité. Je prends donc de la distance avec sa mise en garde et son opinion selon laquelle le Cameroun risquera de basculer dans la guerre civile si un béti «quel qu’il soit [compétent ou non]», songe à succéder à Paul Biya. Le professeur de philosophie tire sa raison de ce que le Cameroun est un Etat tribal et qu'il faut en tenir compte dans l'équation de la succession de Paul Biya. Ce faisant, il croit lutter contre « l’idée suicidaire » et « la politique nuageuse et éthérée basée sur la démocratie sans tribus » qui est une erreur « sur toute la ligne » ! Bizarrement, dans sa démarche militante, le professeur outrepasse la démarche dialectique qui caractérise le philosophe et qui laisse une place de choix à une opinion contradictoire et susceptible de permettre d’atteindre le même objectif à savoir : la paix et la prospérité du Cameroun. Disons-nous la vérité : En matière de formation de l'opinion, les leaders jouent le rôle de « prescripteurs ». Le peuple accepte ce que l'opinion dominante valide. L'opinion dominante est prescrite par les leaders les plus représentatifs. Si l'opinion dominante valide la violence, alors « la masse » sera violente. De même, si l'opinion dominante valide le tribalisme, alors le changement politique au Cameroun sera tribal. Si nous savons tous que le tribalisme est préjudiciable, alors joignons nos bouches pour le dénoncer et mettons sur pied des actions pour le contrer. N’attendons pas qu’un « être providentiel » vienne parler pour nous ou que nos résistants héroïques reviennent des morts pour se sacrifier de nouveau pour nous. Ne faisons pas comme si Charles Atéba Eyéné devait revenir des morts pour venir agiter l’opinion pour nous. Si chacun accepte de mettre sa bouche à contribution, le lobby anti-tribalisme sera suffisamment fort pour permettre à notre peuple de recevoir favorablement un dirigeant compétent quelles que soient ses origines. En adoptant une posture défaitiste et en répercutant « la logique des tours » au sein de l’opinion, le professeur Mono Ndjana démissionne de son rôle d’éducateur de haut niveau. Nous sommes dans un siècle de communication et d’obligation de résultats. Au lieu de cogiter sur l'équilibre régional à caractère politico-administrative (ce n'est plus le tour des Bétis), l'opinion dominante devrait se former autour de l'idée de l'obligation de résultats. Mes chers frères et sœurs, les Camerounais-es ne mangent pas la tribu. Tout comme le déplore Charles Atéba Eyéné dans Le paradoxe du pays organisateur en ce qui concerne ses frères et sœurs du Sud, je constate que mes frères et sœurs de l’Ouest qui ont été appelés à la « mangeoire » se sont enrichis personnellement. Au lieu de distiller le fatalisme ethnique orchestré par Paul Biya pour se maintenir au pouvoir, distillons plutôt la sagesse populaire de chez nous qui fait état de ce que « ton enfant n’est pas celui qui est sorti de tes entrailles ; c’est celui qui peut ramasser l’eau et te donner ». Tout Camerounais-e ne rêve que d'une seule chose : l'amélioration de ses conditions de vie. Il appartient aux leaders d’opinion de tenir compte de cette volonté du peuple au lieu de la manipuler pour des raisons égoïstes (conserver ou conquérir le pouvoir qui n’a pas profité au peuple jusqu’ici). Le peuple Camerounais s'alignera derrière celui qui fera briller le soleil. Et quand le soleil brille, ça brille pour tout le monde ! Lorsqu’on fête la victoire des Lions Indomptables, on s'en fout de l’origine du joueur qui a marqué le but de la victoire ! Dans les années 1990, c'est d'ailleurs avec ferveur populaire que Ni John Fru Ndi fut accueilli puisqu'il promettait à juste titre la fin de la souffrance (sofa don finish) et la mise aux arrêts de Paul Biya (I go catch him!). Les Camerounais doivent se concentrer sur l'essentiel comme le dit le Professeur Mono Ndjana lui-même à savoir : le changement de politique et non le changement de personnes ou de tribus. Battons-nous pour faire en sorte que le Camerounais le plus méritant nous sorte de la pauvreté quelles que soient ses origines. Battons-nous pour faire en sorte que les forces vives du Cameroun fonctionnent comme à l’équipe nationale : celui qui marque le but, on l’applaudit ! Si nous plaçons l'origine en premier, alors nous passerons encore à côté de l'histoire. Nous abattrons l'ange que Dieu nous enverra pour nous délivrer. Dites-vous que suite à vos prières quotidiennes, Dieu n'enverra pas un « être providentiel » appartenant à 283 tribus. En suivant la logique de Dieu, cet être providentiel proviendrait même de la tribu minoritaire. Faisons attention à ne pas le crucifier ! Disons-nous que de la même manière que Paul Biya et Ahidjo ont construit l’Etat tribal, on peut le déconstruire ! Que faire de la diversité ethnique ? Dans les pays développés, cette question se résout par la décentralisation. Je suis tout à fait d’accord avec le Professeur Mono Ndjana sur le fait que le Cameroun doit sortir de « la philosophie de l’esquisse » pour mettre pleinement en œuvre les politiques publiques dont celle de la décentralisation. Il faut créer les conditions d’un pays plus juste et égalitaire afin de réussir le transfert des pouvoirs aux collectivités locales sans risque de sécession. Ensuite, dans son rôle de redistribution nationale, l’Etat organisera la péréquation financière. Au niveau central, il importe que l'élite Camerounaise pense "productivité" avant de penser "redistribution". La politique de redistribution actuelle (équilibre régional) est de nature politico-administrative : on se répartit les postes avant de penser à la production. C'est comme si on se répartissait les ingrédients d'un repas avant de le préparer. Pourtant, la politique de redistribution qui nous conduira à l'émergence devrait être de nature économique et financière : on produit d'abord avant de partager. On prépare d'abord avant de partager. Si le repas est bon, alors on s'en fout de quelle personne (tribu) a préparé. Je crois que cette logique normale des choses est réalisable si l’élite camerounaise, à commercer par le professeur Mono Ndjana, accepte de sacrifier ses intérêts égoïstes (accession à la mangeoire). C'est la logique qui prévaut dans l'essentiel des pays où beaucoup de Camerounais sont des réfugiés économiques. Acceptons de prendre du temps pour construire chez nous. L'on n'est mieux que chez soi ! Il est de la responsabilité des élites/leaders d'éduquer le peuple à la tolérance politico-ethnique. C'est la clé de notre succès. L'histoire nous regarde ! Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA Auteur entre autres de «Le sens de la citoyenneté dans le contexte de la construction nationale au Cameroun» Courriel : [email protected]




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