Les Camerounais de l’étranger: La diaspora peut-elle voter en octobre prochain ?

Par Michel Michaut Moussala | Aurore Plus
- 12-Jul-2011 - 08h30   57132                      
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"Techniquement, cela est impossible, compte tenu des délais, sauf si l’élection présidentielle est reportée à une date ultérieure. Ce qui n’est pas pour arranger les puissances étrangères comme les Etats-Unis qui insistent sur sa tenue avant la fin de cette année."
Techniquement, cela est impossible, compte tenu des délais, sauf si l’élection présidentielle est reportée à une date ultérieure. Ce qui n’est pas pour arranger les puissances étrangères comme les Etats-Unis qui insistent sur sa tenue avant la fin de cette année. I- Délais impossibles à tenir “Paul Biya est un gros malin, un homme cynique, un politicien retors…” déclare sans retenue cet opposant de Douala, membre du SDF rencontré peu après l’annonce la semaine dernière lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale relative à deux projets de loi dont l’un relatif au vote des Camerounais de l’étranger. Et de poursuivre : “Attendons de voir ce que ce projet de loi va donner ! Car ce qui est sûr, Biya ne peut pas demander aux députés d’examiner et d’adopter ce projet de loi s’il n’est pas à son avantage, s’il ne représente pas un danger pour lui. Et puis, qu’est-ce qu’il avait à attendre pour déposer ce projet de loi à trois mois de l’élection présidentielle alors que c’est une vieille demande de la diaspora au même titre que la double nationalité dont il n’a jamais voulu en entendre parler. Décidément, les voies de Biya sont insondables.” Si l’élection présidentielle se tient effectivement au mois d’octobre prochain, nos compatriotes de l’étranger désireux de voter ne pourront pas le faire compte tenu du fait qu’il leur faudra s’inscrire sur les listes électorales, pour ceux qui sont détenteurs d’une carte consulaire sans oublier qu’il y a des pays où le Cameroun n’a pas de représentation consulaire. De même, Elecam, l’institution chargée d’organiser matériellement cette élection devra se déployer dans pas moins d’une cinquantaine de pays à travers le monde et avec tous les aléas que cela suppose, il faudra au bas mot au moins six mois pour la réussite d’une opération dont le coût financier n’est pas négligeable. S’agissant du référendum dont il est également question dans ce projet de loi, c’est une demande similaire qu’il faudra entreprendre. Il va se poser un autre problème : l’exclusion des Camerounais de l’étranger non détenteurs de la carte consulaire. Si certains Camerounais de l’extérieur la possèdent dans les pays occidentaux où d’Asie, combien la détiennent en Afrique par exemple et plus près de nous au Nigeria, Gabon, Guinée-Equatoriale, Congo Brazzaville, Tchad, Centrafrique, Niger ? Très peu. Même en occident, prenons même le cas de la France où les chiffres officiels avancés sur le nombre de nos compatriotes résidant dans l’ancienne puissance coloniale est en deçà de la réalité. Il serait donc anormal qu’on inscrive sur les listes électorales les seuls détenteurs de cartes consulaires. On devrait pouvoir inscrire tout Camerounais justifiant sa nationalité sans tenir compte de cette carte consulaire. Ce serait pure injustice. Et pourquoi ne pas faire comme ce qui se passe actuellement au sujet de la carte nationale d’identité informatisée dont la délivrance est gratuite ! Il serait donc opportun d’organiser à l’étranger une campagne pour l’établissement gratuite de la carte consulaire. Et à coup sûr, cela permettrait d’avoir une idée un peu proche de la réalité sur le nombre de Camerounais vivant à l’étranger. II- Cinq millions de Camerounais vivent à l’étranger Au ministère camerounais des Relations extérieures, on estime à cinq millions le nombre de nos compatriotes établis ou résidants à l’étranger. Comparés aux 19,5 millions de Camerounais vivant dans le pays, ils représentent 25% de l’ensemble de Camerounais, ce qui est énorme. Comment se répartissent-ils par pays d’accueil ? Le plus gros contingent vit au Nigeria avec deux millions de personnes. Bon à retenir, il y a entre quatre et cinq millions de Nigérians qui vivent au Cameroun, majoritairement dans les régions du Sud-Ouest, du Nord-Ouest, à Douala et dans les régions septentrionales de notre pays. Ces deux millions de Camerounais qui vivent au Nigeria sont issus principalement des régions anglophones camerounaises du Sud-Ouest et du Nord-Ouest et des régions septentrionales de notre pays. Dans les autres pays du Golfe de Guinée, il y aurait environ 250 000 Camerounais. Ce sont là des données du ministère camerounais des Relations extérieures dont, 50 000 au Gabon et 16 000 en Guinée Equatoriale. Ces chiffres, à notre avis ne reflètent pas la réalité, ils sont en deçà. Comment en effet imaginer qu’il n’y a que 16 000 de nos compatriotes en Guinée Equatoriale, dans un pays qui manque tant de main d’œuvre dont notre pays regorge ! Peut-être n’a-t-on pas pris en compte les Fangs et autres Ntumu et Bulu du Cameroun qui considèrent ce petit El Dorado de 28 000 km2 et peuplé de moins d’un million d’habitants comme prolongement naturel de notre pays et qui y vivent comme chez eux puisque parlant la même langue que celle des habitants du pays hôte. Aux Etats-Unis, il y aurait 700 000 Camerounais dont 250 000 ont acquis la nationalité américaine. Un recensement de l’institut national français des statistiques et des études économiques (Insee) effectué en 2005-2006 chiffre à 52 114 le nombre de Camerounais résidant en France. En réalité, nos compatriotes sont plus nombreux. Ils faut tenir compte que ce sont des chiffres vieux de cinq ans et entre temps, l’émigration camerounaise en direction de la France n’a pas tari même si elle a diversifié ses destinations à cause des difficultés d’obtention du visa d’entrée dans le pays de Nicolas Sarkozy. Et puis le nombre de retours au Cameroun n’est pas plus élevé que les départs pour la France, ce qui fait donc qu’on peut estimer le nombre de nos compatriotes en France à plus de 60 000 âmes. En Allemagne on estime le nombre de Camerounais, en majorité des étudiants à 7 000, mais d’autres sources non moins crédibles parlent de 20 000 personnes, ce qui est proche de la réalité. Si Biya prend le risque d’inclure cette diaspora dans le vote, probablement il a dû en peser les avantages et les inconvénients. III- Quel poids électoral ? Si la loi sur le vote des Camerounais établis ou résidants à l’étranger est promulguée, de quel poids va-t-il peser sur la présidentielle d’octobre prochain ? S’agissant des pays occidentaux, l’opposition à Biya est plus forte, plus nombreuse que ses partisans, même si en France, le Rdpc dit tenir le bon bout. En effet, dans les rangs du parti au pouvoir, que ce soit ici au pays ou en hexagone, on pense que le Rdpc est bien implanté en France. Est-ce vrai ? IL est difficile de le dire avec certitude en l’absence de statistiques fiables sur le nombre de militants Rdépécistes et ceux de l’opposition en France. Il faut ici introduire une nuance car, tous les opposants à Biya en France, en Belgique, en Grande-Bretagne et en Allemagne ne sont pas nécessairement membres d’un parti. Ce sont généralement des agitateurs qui ne sont inscrits à aucun parti, le taux de participation est plus faible qu’ici au pays quand il s’agit d’aller voter. Ce qui fait donc que compte tenu de leur nombre réduit et du faible taux de participation, les voix en provenance de l’Europe occidentale ne menacent pas fondamentalement les suffrages exprimés dans leur ensemble (national et étranger) en faveur de Paul Biya. Il est bien vrai que cette opposition peut se mobiliser pour relever d’une manière substantielle son taux de participation à cette présidentielle. Même en Amérique du Nord, Etats-Unis et Canada, l’opposition à Biya est plus active que ceux qui soutiennent le chef de l’Etat, mais son vote, si massif soit-il ne peut pas inquiéter Biya, ne peut l’empêcher de gagner la présidentielle à venir. Même si le candidat du SDF, qu’il soit Ni John Fru Ndi ou une autre personne prend le maximum de voix dans cette partie du monde, Biya est sûr de l’emporter grâce aux voix des Camerounais de l’intérieur. Le danger pour Paul Biya peut venir du Nigeria voisin avec les deux millions de Camerounais qui y résident. On suppose qu’ils vont donner majoritairement leur voix à Ni John Fru Ndi ou à Maïgari Bello Bouba, leader de l’Undp et ministre d’Etat en charge des Transports s’il se présente à cette présidentielle. Mais jusqu’à présent, le président national ne s’est pas encore prononcé, étant en négociation avec Biya pour conserver son poste et obtenir un autre ministère pour son parti au cas où il n’est pas partant pour la présidentielle. Là où Biya et le Rdpc attendent l’opposition, c’est au niveau des inscriptions sur les listes électorales à l’étranger. Il est acquis, que ces inscriptions seront discriminatoires, sélectives. Il y aura délit de cartes (Rdpc ou non) comme il y a délit de faciès. Report de la présidentielle ? Paul Biya fait semblant d’ouvrir le jeu, alors que c’est de la poudre aux yeux. Il accède aux souhaits, aux désirata de ses compatriotes de l’extérieur et même de la communauté internationale pour servir sa propre cause, ses propres intérêts. Il sait que les délais ne peuvent pas tenir si on veut faire voter les Camerounais de l’extérieur. Et pour cela, il faudrait impérativement reporter la présidentielle de quelques mois. Ce qui permet à son parti le Rdpc, de continuer à inscrire le maximum de ses militants et sympathisants sur l’ensemble du pays. Et de remporter ainsi sans coup férir l’élection en dépit du vote négatif qui pourrait venir de l’étranger. Le report de l’élection arrange même certains leaders politiques qui l’ont demandé ouvertement arguant du fait que les conditions ne sont pas réunies pour que cette consultation ait lieu d’une manière transparente, allusion est faite ici par exemple à Elecam, dont la composition du Conseil électoral ne leur donne pas entière satisfaction. Paul Biya sait qu’il va rencontrer une vive opposition s’il décide du report de cette présidentielle. En effet, Français mais surtout Américains lui ont fait comprendre d’une manière très claire qu’il a intérêt à organiser cette consultation populaire avant la fin de cette année 2011, sinon… A bon entendeur salut !




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