Nécrologie: René Owona est mort

Par Alain B. Batongué et Félix C. Ebolé Bola | Mutations
- 28-Oct-2004 - 08h30   73760                      
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Le secrétaire général adjoint de la présidence de la République est décédé hier en France. Retour sur le parcours de l’ami et confident du chef de l’Etat
René Owona Votre bien dévoué vous quitte Le président Paul Biya perd l'un de ses plus fidèles compagnons et l’une de ses éminences grises. Comme celui de André Fouda, alors puissant maire de Yaoundé avant, pendant et après de congrès de l'Union nationale Camerounais à Bafoussam en janvier 1980, le spectre de René Owona a particulièrement hanté les cercles du pouvoir et les salons hupés de la capitale depuis la convocation, le 11 septembre dernier, du corps électoral par le président Biya. Jamais rumeur n'aura été aussi lancinante. Revenant pratiquement toutes les deux semaines, pour annoncer, pratiquement dans les mêmes conditions, que le secrétaire général adjoint N°2 de la présidence de la République était décédé à Paris. Vérifications d'usage, appel de quelques membres de la famille. Démenti formel, avant que la rumeur ne revienne quelques jours plus tard. Et s'il n'y avait pas eu, hier, ce communiqué officiel diffusé sur les antennes de la radio publique, on en serait encore à douter, et à renvoyer à plus tard. Il y avait quand même quelques certitudes. Celui qu'on appelait dans certains cercles "Barbe dure " était malade. Et même très malade. Sa silhouette longiligne et son regard perçant avaient en tout cas disparu du champ des caméras, et même du palais de l'unité (pour ceux qui y ont leurs habitudes) depuis de nombreux mois, pour la France où il se faisait soigner tantôt en externe, tantôt en interne, lorsque la situation devenait plus préoccupante. Et c'est à l'hôpital Vezoule, dans le Jura en France, qu'il s'est éteint hier matin. Dans une édition des Cahiers de Mutations parue en novembre 2002, il était déjà présenté (avec raison), parmi tous ceux qui gravitent autour de la galaxie du pouvoir au Cameroun, comme " l'un des amis les plus intimes et les plus fidèles du chef de l'Etat. " Il était, disaient quelques habitués du palais, " l'oeil, l'oreille et la bouche de Paul Biya. " Un privilège qu'il partageait avec le ministre d'Etat en charge de la Culture, Léopold Ferdinand Oyono. Mais il n'a pas atteint le sommet et le privilège de la confidence du chef de l'Etat par accident, ni par un coup de baguette magique. Des milieux proches de lui indiquent même qu'il en a bavé, au point d'échapper de peu à une élimination physique alors commanditée par les sbires de Ahmadou Ahidjo, alors président de la République unie du Cameroun. Arrestation Certes, lorsqu'il naît le 13 novembre 1936 à Otele dans la province du Centre-sud, René Owona fascine par son intelligence et sa fulgurance à l'école. Personne ne s'étonne vraiment que ce fils de chef de gare, après un cursus primaire et secondaire sans faute, s'engage dans des études d'ingénieur en agronomie et en statistiques. Le diplôme dans la poche (obtenu en France) et ayant à coeur de participer à la construction du pays qui vient de connaître une étape politique importante avec l'unification du 20 mai 1972, il revient au Cameroun où il est naturellement amené à exercer ses talents au ministère de l'Agriculture où trône, déjà, un certain Gilbert Andze Tsoungui. Le baptême du feu est plus difficile qu'il ne l'aurait imaginé. Après quelques mois de services appréciés par la hiérarchie, les services du renseignement (Dirdoc), tenus d'une main de fer par Jean Fochive, se souviennent et surtout l'accusent d'avoir un peu trop fréquenté les foyers communistes pendant son séjour en France, et qu'il en a certainement ramené quelques mauvaises habitudes. C'est un délit politique, à l'époque, impardonnable et surtout, contre lequel on ne peut même pas se défendre. Il est arrêté et mis à la disposition d'un certain Mouyakan, directeur de la Brigade mixte mobile (Bmm) de triste réputation. Il n'a pas fait beaucoup de commentaires de son séjour en ces lieux peu recommandés. Mais les rares indiscrétion qu'il laisse filtrer indiquent qu'il y passa des jours entiers dans son plus simple appareil, baignant dans une eau infecte et glacée. Interrogatoires de jour comme de nuit (quelle différence d'ailleurs, à la Bmm, c'était toujours la nuit!). Tortures les plus recherchées; les plus douloureuses aussi. Il n'en sort que grâce à un subterfuge d'une cousine venue lui rendre visite dans sa cellule, et surtout, plus tard, à un coup de fil de son épouse, Etiennette, à Valéry Giscard d'Estaing, présenté comme son protecteur, alors au pouvoir en France. Ce dernier priera alors son homologue camerounais de régler à l'amiable cette affaire au mieux de leurs intérêts mutuels. René Owona est libre, mais son salaire a été suspendu. Et celui qu'on présente déjà comme un ex-détenu politique engage alors une période de galère, traînant son physique filiforme dans la rue comme un pauvre hère. Cela dure quelques années. Jusqu'à ce que Paul Biya, déjà nommé Premier ministre, rencontre par un heureux concours de circonstances cet homme à la culture économique remarquable. Le courant passe. Désormais, pratiquement chaque soir, il se retrouve à la résidence du Lac pour administrer des cours particuliers d'économie au Premier ministre qui apprécie l'éloquence et l'intégrité de son répétiteur. Ahmadou Ahidjo ferme les yeux sur le passé de René Owona et, surtout, il fait confiance à son Pm qui vient de le proposer pour être désormais, officiellement, son conseiller aux affaires économiques. Ils ne se quitteront pratiquement plus. En novembre 1982, Paul Biya devient président de la République. On peut déviner la manière dont René Owona reçoit la nouvelle. Les nouvelles responsabilités de son " ami " ne lui font pas prendre la grosse tête puisqu'il continue à travailler avec lui, jusqu'à ce qu'il le nomme directeur du centre universitaire de Dschang, avec pour mission de se servir de son expérience pour relancer l'agriculture au Cameroun. Affaire Cellucam A-t-il été satisfait du travail abattu par son jeune ex-conseiller ? Il est appelé au gouvernement le 08 septembre 1990, au moment où Paul Biya vient de s'ouvrir à l'idée du multipartisme en demandant aux militants de son parti de se préparer à une " éventuelle concurrence ". René Owona est désormais ministre du Développement industriel et Commercial (Mindic). Reconduit dans ses fonctions le 26 avril 1991 puis le 09 avril de l'année d'après. Et c'est là qu'éclatera le seul véritable scandale qui l'ait éclaboussé. La Nouvelle Expression fait en effet état d'un montage un peu particulier avec un groupe indonésien pour la privatisation de la Cellucam. Le Mindic, qui garde son sang froid, essaie de menacer mais les documents publiés dans les journaux sont de plus en plus précis et embarrassants. La conférence de presse qu'il organise le 14 août 1992 l'accable davantage. Paul Biya le sortira alors du gouvernement, pour qu'il ne soit pas complètement bousillé. Comme pour Ferdinand Léopold Oyono à un autre moment, sa sortie du gouvernement n'a pas entraîné une brouille avec son ami, qui conserve son estime et ses conseils. Il garde sa maison de fonction à Yaoundé, mais aussi ses appartements privés à la résidence de Mvomeka'a où il continue de suivre, formation de base et confiance obligent, les champs d'ananas, de maïs et de haricot vert du président de la République. 1997. Quelques années ont passé. Les histoires autour de la Cellucam semblent oubliées. Au sortir de l'élection présidentielle d'octobre 1997, Paul Biya remanie son gouvernement et change de collaborateurs à la présidence de la République. René Owona est le nouveau secrétaire général adjoint N°2. Certains parlent de retour en grâce alors qu'il n'a jamais quitté les cercles proches du président Biya. Et que sa famille rapprochée se plaint de ne pas trop voir cet homme qui est un peu comme un prisonnier au palais. Dans sa nouvelle fonction, c'est plus l'ami que le collaborateur administratif qui filtre les dossiers et émet des avis décisifs sur les sujets sensibles de la politique économique du Cameroun. Mais il ne traite pas que des dossiers économiques. Il est alors l'un des rares à pouvoir " placer " auprès de son ami qui à un poste de ministre, qui à un autre dans la haute administration. Avant de disparaître des cérémonies officielles et des déplacements du chef de l'Etat, des proches le trouvaient fatigué. Il avait alors demandé et obtenu de jouir de vacances méritées, avant de venir " attaquer " la préparation de l'élection présidentielle, et de trouver la meilleure stratégie pour la réélection de son ami. On s'étonna de ne pas le voir aux côtés de Paul Biya lorsque ce dernier, le 05 juin dernier, dû rentrer précipitamment de Genève, où une rumeur persistante l'avait annoncé pour mort. Mais déjà, bien que rongé par la maladie et fragilisé par le décès de l’un de ses enfants, il prend déjà des rendez-vous avec quelques Camerounais de la diaspora, supposés jouer à tort ou à raison un rôle important dans la prochaine élection présidentielle, à l’effet de recruter le alliés pour son «joueur». On ne l'a plus revu depuis lors. Jusqu'à ce qu'il tire sa révérence. Et que ce décès ait eu lieu bien avant (comme l'annonçait la rumeur), ou simplement hier, il s'agit là de l'un des rares fidèles et l'une des précieuses éminences grises du chef de l'Etat qui s'en va. Avec peut-être le sentiment, de n'avoir jamais véritablement montré à l'ensemble des Camerounais, en quoi il avait été utile pour son pays.




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