Interview: Marie-No Moussinga, romancière camerounaise à Paris

Par Jean-Jacques ESSOMBE | Cameroon-Info.Net
- 13-Mar-2012 - 08h30   54225                      
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Dans le cadre de la promotion de son roman « À l’Ombre des Anacardiers » dont le deuxième tome est d’ailleurs attendu courant 2012, Cameroon-Info.Net a rencontré la romancière Marie No M qui est également la fille de Tik’a Kul’a Pend’a Kule, célèbre conteur Pongo du « Maso Ma Ndala », l’épopée de Jeki La Njambe Inono.

Marie-No M.
Photo: © Marie-No M.
Magique, c’est le mot trouvé pour qualifier : « À l’Ombre des Anacardiers » œuvre de Marie Noëlle Moussinga romancière camerounaise à Paris. Dans le cadre de la promotion de son roman « À l’Ombre des Anacardiers » dont le deuxième tome est d’ailleurs attendu courant 2012, Cameroon-Info.Net a rencontré la romancière Marie No M qui est également la fille de Tik’a Kul’a Pend’a Kule, célèbre conteur Pongo du « Maso Ma Ndala », l’épopée de Jeki La Njambe Inono. CIN : Bonjour Marie No M, vous êtes l’auteure du roman en deux tomes « À l’Ombre des Anacardiers ». Le premier volume, « la malédiction de Thaliba » est parue en 2008 aux éditions AmmaWouli dont vous êtes aussi la fondatrice : que signifie « AmmaWouli » ? MNM : AmmaWouli peut revêtir plusieurs significations. C’est un terme créé par deux mots Amma et Wouli. D’aucuns peuvent voir en Amma la divinité dogon ou alors le mot d’origine zulu qui veut dire fils. CIN : Tik’a Kul’a Pend’a Kule votre père était un grand conteur Sawa et un homme de lettres également. Diriez-vous que son influence n’est pas étrangère au fait que vous soyez romancière aujourd’hui ? MNM : J’écris depuis l’âge de 12 ans. J’ai effectivement grandi d’abord avec une mère institutrice ensuite avec mon père qui exerçait ce même métier. On peut donc dire qu’ayant été entourée de livres et bercée par l’épopée contée par mon père, j’ai sans doute été influencée par tout cela. CIN : La manière dont la Côte d’Ivoire est décrite dans le roman (avec les particularités locales, les expressions utilisées) n’indique pas que vous êtes camerounaise. Que pouvez-vous nous dire sur votre parcours et votre formation ? MNM : Vous avez dit parcours et formation ? Voilà deux mots qui m’indisposent très souvent. Je ne sais pas me conter. Je ne sais pas me situer dans un espace-temps capable de figer mes mots et mes actes. Alors je vais résumer cela rapidement : Historienne, diplômée de la Sorbonne Paris IV, avec quelques autres formations en archéologie, géographie et économie. Pour le parcours, je suis une pèlerine qui s’est posée pour quelques jours, mois voire années dans différents pays d’Afrique et d’ailleurs, dont la Côte-d’Ivoire. CIN : qu’est-ce qui vous a poussé à passer de romancière à fondatrice d’une maison d’éditions, comment réussissez-vous à porter les deux casquettes ? MNM: J’ai vécu de 1999 à 2001 une mésaventure avec la maison d’édition qui avait publié mon premier roman. Suite à ce litige dont le jugement fut rendu à mon avantage, j’ai proposé à plusieurs autres maisons d’éditions (des plus grandes aux plus petites), mes œuvres. Aucune n’a répondu de manière positive à mes nombreuses sollicitations. Ayant à mon actif à ce jour une quinzaine de manuscrits, j’ai dû m’improviser éditrice afin d’une part de m’éditer et d’autre part d’offrir une plate-forme aux jeunes auteurs en quête d’éditeurs. CIN : « À l’Ombre des Anacardiers»… est-ce pour des raisons pratiques que vous avez dû organiser votre œuvre en deux tomes ? Le premier volume – « la malédiction de Thaliba » – fait quand même 428 pages, ou alors cette répartition obéit davantage à un choix artistique, à des mouvements différents dans le récit ? MNM : Tous mes romans sont en deux voire trois ou quatre volumes. Je ne sais pas écrire de petits romans. Et je ne sais pas écrire « sur commande ». Lorsque l’inspiration me vient sous forme d’images, je m’attèle à transcrire ce que je reçois et je ne contrôle pas la longueur du récit. Je me suis alors rendue compte qu’à la fin d’une écriture, je me retrouvais avec pas moins de 700 pages minimum de texte. C’est donc plus par commodité pour une lecture simplifiée que mes œuvres seront éditées en plusieurs volumes. CIN : Fleur Aimée Adams l’héroïne du roman a une histoire compliquée ; la famille Adams a une histoire compliquée ; le personnage de Caleb dont Fleur tombera amoureuse a une histoire compliquée : est-ce que Marie No M. traduit ainsi sa vision de la vie ou alors s’agit-il simplement des ingrédients nécessaires à la confection de son roman ? MNM : Un auteur dont j’ai oublié le nom a dit ceci : le romancier, l’écrivain passe va vie à raconter ses vies. Alors assurément, il y a une part de ma vie et de mes vies dans la complexité des « vies » de mes personnages. CIN : un très original avant-prologue ou un avant-propos (la question n’est pas vraiment tranchée par la « Cour d’Equité des Anciens » dans le roman) introduit le récit. D’où est venue à Marie No M. l’idée de ce prélude qui est finalement une sorte de mini-roman dans le roman ? MNM : Oserais-je l’écrire donc le dire ? Par souci de clarté je vais donc le dire. Toutes les trames de mes romans me sont « données ». Ces Anciens hantent mes rêves et ma vie depuis mes plus jeunes années. Il est juste que je rende hommage à ceux qui m’inspirent. On y croira ou non. Mais telle est ma réalité. Je rencontre ces Anciens dans mes rêves, ensuite je reçois la trame de mes romans. CIN : Justement MNM, vous décrivez un rapport assez mystique entre Caleb et Fleur Aimée ; pouvez vous nous dire de quoi il s’agit ? MNM : Les relations entre Fleur Aimée et Caleb sont mystiques depuis leur première rencontre. On ne comprend la teneur de tout ceci qu’à la fin du troisième volume. Si je me livre à expliquer ici la trame de ce rapport, je détruis par la même occasion la beauté de cette liaison. CIN : le lecteur est informé qu’il n’est pas seul à suivre l’histoire puisque les Anciens du Conseil d’Équité des Anciens la suivent au même moment que lui. Marie No M. pense-t-elle que ces Anciens qui découvrent le récit réagissent de la même manière que le lecteur ? Quelle pourrait être la différence entre la lecture que les Anciens ont de l’histoire et la lecture que le lecteur pourrait avoir de la même histoire ? MNM : Les Anciens, comme le lecteur le verra au fil de mes œuvres, ne réagissent pas toujours favorablement à mes transcriptions. Ils estiment être mes inspirateurs et ont donc forcément un regard plus rigoureux sur mes écrits. Ce n’est pas la beauté des mots ou l’intrigue qui les intéressent. Seul le message qu’ils veulent transmettre demeure au cœur de leur préoccupation. CIN : Fleur Adams vit quelque part en Europe, dans un pays qui s’appelle la France. Ensuite on la retrouve à Abidjan en Côte-d’Ivoire. Elle voyage en pays Senufo au nord de la Côte-d’Ivoire. Elle effectue un voyage au Ghana, terre d’origine des Adams. Elle repart en France, revient à Abidjan : le thème du voyage est très présent dans le roman… MNM : Je suis moi-même une éternelle pèlerine. Le voyage est dans ma vie depuis mes plus jeunes années. CIN : Il y a beaucoup d’histoires parallèles dans le roman : l’histoire de Fleur, la malédiction qui semble se réincarner de génération en génération, l’histoire des Adams au Ghana, l’histoire de Fleur et Youssouf, puis Fleur et Caleb, dans une certaine mesure même Thaliba la déesse de la mort et Libyla sa jumelle qui est déesse de la vie : les mondes parallèles fascinent-ils Marie No M ? MNM : (sourire) Je vis entre deux mondes. Je ne sais pas mener une trame unique sur un personnage central. La vie en elle-même est faite de petites histoires qui de temps en temps cèdent leur place à un évènement plus grand. CIN : « Nous marchâmes… et empruntâmes… », « Nous nous installâmes », « nous nous retrouvâmes… », « Nous pénétrâmes », « nous dûmes… », « Nous allâmes… », « Nous eûmes… » : Quelque chose vous fascine dans la première personne du pluriel du passé simple ? MNM : Aucunement. C’est Fleur Aimée qui parle au passé… simple ou composé. CIN : le changement d’orientation de Fleur Adams qui après l’obtention d’un doctorat en médecine obtient un second doctorat en ethnologie afin d’aller à la quête des cultures ancestrales ressemble à une sorte de parcours initiatique : l’héroïne suit-elle une forme d’initiation à son insu ? MNM : Vous l’avez dit. Elle suit un parcours initiatique à son insu. CIN : On retrouve également beaucoup de fausses-pistes qui entretiennent bien le suspens. Une de ces géniales fausses pistes se trouve dans l’évocation de la mort du « Vieux ». Le lecteur pense tout logiquement qu’il s’agit de l’annonce du décès de Joseph Adams le père hospitalisé... en tant qu’auteure, aimez-vous surprendre le lecteur, le prendre de court ? MNM : C’est le but recherché. CIN : dans l’avant-prologue les Anciens disent : « Écoutons-là plutôt travestir nos vérités et livrer aux profanes le résultat de plusieurs cycles de vies ». « À l’Ombre des Anacardiers » est-il un roman initiatique avec une part d’autobiographie ? MNM : Il n’y a aucune autobiographie dans ce roman. Je raconte sans doute un pan d’une de mes « vies ». Il faut pour pénétrer la dimension mystique de ce roman croire à un certain nombre de choses profondément ancrées dans notre Tradition Ancestrale : la réincarnation et la migration des âmes en font partie. Roman initiatique, sans doute par le fait qu’il conte le parcours du personnage central dans un itinéraire qui l’amène du monde visible au monde inintelligible manifesté. CIN : On observe depuis maintenant une dizaine d’année, une littérature africaine et même mondiale axée sur le spirituel ; pourquoi cet attrait ? MNM : Je ne saurais vous répondre. Je ne m’inscris pas dans un courant littéraire précis. Je vous l’ai dit, si j’avais voulu faire du roman commercial, il y a longtemps que je me serais adaptée aux thèmes en vogue qui plaisent et qui se vendent. La réponse la plus courante que je recevais des maisons d’édition était celle-ci : Votre manuscrit n’entre dans aucune de nos lignes éditoriales. Il faut donc croire que depuis plus de dix ans je raconte des choses qui ne séduisent pas les éditeurs français. CIN : Vous dénoncez plusieurs maux dans vôtre roman ; quelle est selon vous la clef pour la meilleure compréhension de : « À l’Ombre des Anacardiers » ? MNM : Je n’en ai aucune. Chacun doit comprendre ce roman selon sa maturité spirituelle et sa capacité à accepter cette part dite illogique qui caractérise le monde invisible. Quant à ces maux, ils font partie de notre quotidien. CIN : pourquoi le titre « À l’Ombre des Anacardiers » ? L’Anacardier est-il un arbre qui revêt une symbolique spéciale ? MNM : L’anacardier produit l’anacarde fruit qui donne la noix de cajou. Cet arbuste est répandu dans le Nord de la Côte-d’Ivoire et revêt pour moi qui ai visité et aimé la région, une signification particulière. C’est à l’ombre de l’anacardier que mon guide, le chauffeur et moi mangions ces fameuses noix de cajou tout droit sorties du feu de bois allumé par mes compagnons de voyage. C’est à l’ombre de trois anacardiers que Caleb enterre le fils qu’il a eu de Fleur Aimée. CIN : à quand le Tome 2, « L’Honneur des Morts », dont vous présentez un court extrait à la fin du Tome 1 ? MNM : Courant 2012. CIN : Marie No M, combien de romans avez-vous publié à ce jour ? MNM : 2 en impression offset et 7 en ebooks qui doivent être commercialisés dès le mois de mars 2012. CIN : Où et comment peut-on se procurer le roman ? MNM : En passant commande sur notre site web : www.ammawouli.org, et sur le site www.amazon.fr. Ou en nous écrivant: AmmaWouli, 30 rue Auguste Blanqui, 93430 Villetaneuse. Ou par contact téléphonique : + 33 9 53 78 63 56. CIN : Marie No M, merci pour votre disponibilité et bravo pour ce magnifique roman que nous recommandons la lecture. MNM : C’est moi qui vous remercie.

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