Mamadou Tandja : Le militaire rattrapé par le carriérisme

Par | Mutations
- 27-May-2009 - 08h30   56415                      
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La longue expérience aux affaires civiles et militaire n'a pas empêché cet homme de succomber aux appels des courtisans.
La lecture de la biographie officielle de Mamadou Tandja semble dérouler le portrait d'un homme foncièrement honnête et respectueux des lois de la République, lui qui aura été à la fois un militaire exemplaire (jusqu'au moment où il quitte les armes en 1991 avec le grade de lieutenant colonel) et un grand commis de l'Etat (tour à tour préfet, ambassadeur ou ministre); autant de fonctions qui lui ont permis d'acquérir une parfaite connaissance du Niger, de ses populations, des problèmes que ces dernières rencontrent dans leur vie quotidienne et d'en prendre pleinement conscience. Ses hagiographes ajoutent même, probablement dans un excès de zèle que ne favorise malheureusement pas l'actualité, qu'il est " un Citoyen respectueux de la loi, nationaliste avéré, austère, rigoureux et transparent dans la conduite des affaires de l'Etat, lui qui accomplit toujours et de bonne grâce ses devoirs en s'acquittant notamment et souvent par anticipation, de ses obligations fiscales." Pour parachever ce parcours du combattant, Mamadou Tandja, qui intègre le front de la politique en 1991, aura connu pendant dix ans les affres de l'opposition, après avoir été candidat malheureux aux élections présidentielles de mars 1993 et juillet 1996. Pour ses partisans, c'est au cours de cette période particulièrement difficile que le président du Mouvement national pour la société de développement (Mnsd-Nassara) "a effectivement pris la mesure de sa responsabilité face à la dérive autoritaire et à la gestion catastrophique des hommes politiques qui dirigeaient le Niger. C'était le véritable combat de sa carrière politique. Combat qui le portera triomphalement à la magistrature suprême en novembre 1999 à la suite d'élections libres et transparentes." Mais d'où vient-il que cet homme de 71 ans (il est né en 1938 dans l'est du pays, à 1300 km de la capitale, Niamey) qui jusque-là a su rester au dessus de la mêlée et des appétits financiers et pouvoiristes, qui a fait "de l'enracinement et de la consolidation de la démocratie, des tâches prioritaires, sa conviction étant en effet, que c'est la démocratie qui permet de créer le cadre et les conditions dans lesquels s'expriment dans l'égalité, la liberté, la justice et l'équité, les citoyens dans leur ensemble", en soi aujourd'hui a répondre à l'appel de courtisans au point de vouloir violer la constitution? Ses partisans indiquent qu'il a un bilan élogieux à défendre et à poursuivre, et que seul le peuple doit décider s'il a besoin de lui comme président au terme de son actuel mandat. Mais pour ses adversaires, nombreux dans les rangs de l'opposition comme de plus en plus autour de lui, c'est un argument qui ne peut rien justifier: "Invoquer le bilan du président pour justifier la prolongation de son mandat, c'est un argument farfelu", fustige ainsi Marou Amadou, président du Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques (Fusad), une coalition d'une vingtaine de syndicats et d'Ong opposés au maintien du chef de l'État au pouvoir. "Mamadou Tandja n'a-t-il pas été élu précisément pour travailler à l'amélioration des conditions de vie de tous les Nigériens? Ceux qui appellent à une prolongation de son mandat ne sont que des courtisans et des aventuriers qui risquent de plonger le Niger dans l'inconnu!", insiste-t-il. En attendant de savoir quelle sera l'issue finale de ce bras de fe, Mamadou Tandja risque gros. En effaçant d'un trait de plume plusieurs décennies d'une carrière globalement correcte au profit d'appels courtisans qui ne vivent que des avantages que leur procure le chef de l'Etat, en particulier en ce moment où l'inauguration d'une nouvelle et vaste mine à uranium va procurer de nouveaux avantages au personnel aux affaires. Albert Biombi

Niger : Le chef de l'Etat dissout le parlement

Le décret du président Tandja a été rendu public alors que son initiative de convoquer le référendum a été rejetée par la haute Cour. L'Assemblée nationale du Niger a été dissoute mardi par un décret du président, a annoncé la radio nationale. Mamadou Tandja, qui devrait achever son deuxième quinquennat en décembre, a échoué à imposer une révision de la Constitution qui lui aurait permis de briguer un troisième mandat consécutif. Quelques heures avant l'annonce du décret, pour lequel aucune raison n'a été avancée, le chef de l'Etat nigérien a reçu une douche froide. La Cour constitutionnelle du Niger, a émis un avis défavorable à l'organisation d'un référendum sur le changement de la Constitution du pays. Une ruse politique qui devrait permettre au président de la République, de briguer un troisième mandat à la tête de l'Etat. La Cour avait été saisie par des députés opposés au référendum constitutionnel. Au pouvoir depuis 1999, Mamadou Tandja avait plusieurs fois promis de se retirer en décembre 2009, au terme de son second et dernier mandat, selon les termes de la constitution. Mais au début du mois de mai, le président Tandja a évoqué la convocation d'un référendum avant la fin de l'année en vue de modifier la Constitution et donc prolonger son mandat présidentiel.Les députés avaient posé quatre questions à la Cour. A quatre reprises, la Cour constitutionnelle a donné tort au chef de l'Etat. Le président Tandja invoquait l'argument selon lequel c'est le peuple qui lui demande de rester aux commandes. La Cour précise que dans le cadre de la souveraineté nationale, le peuple, ce n'est pas un groupe de citoyens, mais l'ensemble des citoyens. Si le président Tandja décide de se maintenir à la tête du pays au-delà du terme de son mandat, "ce ne serait pas conforme à la Constitution", dit la Cour. Opposition Et si Mamadou Tandja veut soumettre son projet à l'appréciation directe du peuple, c'est-à-dire au référendum? Non, "l'article 49 ne peut pas servir de fondement à un changement de Constitution", explique la Cour constitutionnelle car "cet article exclut du domaine du référendum toute révision de la Constitution". L'article stipule en effet: "Le président de la République peut, après avis de l'Assemblée nationale et du président de la Cour constitutionnelle, soumettre au référendum tout texte qui lui parait devoir exiger la consultation directe du peuple, à l'exception de toute révision de la présente constitution (…)" Et si le président Tandja "engage ou poursuit", malgré tout "le changement de la Constitution", la Cour prévient : "il ne saurait le faire sans violer son serment". Après cet avis négatif de la Cour constitutionnelle, c'est aux députés de se prononcer sur la question. Dans le contexte politique actuel de fronde anti-référendum, les observateurs voient mal les députés aller à l'encontre de la Cour. Le projet avait déjà été mis à mal par les capacités de mobilisation de la classe politique, hostile à toute "mise entre parenthèses de la légalité républicaine", selon la formule du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (Pnds), que préside Mahamadou Issoufou, rival du chef de l'État lors des deux dernières présidentielles. Autre difficulté pour le président Tandja: les adversaires du troisième mandat ne se recrutent pas uniquement dans les rangs de l'opposition. Mamane Ousmane, leader de la Convention démocratique et sociale (Cds), président du Parlement et allié électoral qui a permis à Tandja de remporter les présidentielles de 1999 et de 2004, refuse toute idée de "toucher à la Constitution". Autre grande figure politique à s'y opposer: Moumouni Adamou Djermakoye. Le leader de l'Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès (Andp), de surcroît président de la Haute Cour de justice, estime que "cette démarche met en péril la paix et la stabilité du pays". Mais Tandja semble plus à l'écoute des tenants du mouvement Tazartché ("continuité", en haoussa). En fait, le président Tandja a du attendre six mois après les premières "manifestations populaires spontanées" demandant une révision de la Constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat, pour sortir de son mutisme. Le 5 mai, à Agadez, en marge de la cérémonie de lancement des travaux autour du gisement d'Imouraren, il a affirmé qu'il lui était difficile de "rester insensible à l'appel du peuple". L'inauguration de ce qui sera la plus vaste mine d'uranium à ciel ouvert en Afrique et dont la mise en service fera du Niger le deuxième producteur de la planète intervient alors que le chef de l'État nigérien vient tout juste d'établir le dialogue avec les rebelles touaregs, en guerre contre le pouvoir central depuis février 2007. Profitant d'une conjoncture éminemment favorable, Mamadou Tandja a donc décidé de surfer sur ces succès pour dévoiler ses intentions. Ce qui ne s'est pas bien passé jusqu'à présent. Albert Biombi

Regard : Banditisme politique

Pendant longtemps, Mamadou Tandja a caché son jeu. Indiquant qu'il respecterait les termes de la constitution et n'irait pas au-delà des deux mandats qu'il s'apprêtait à achever en décembre prochain. Mais les observateurs de la politique nigérienne ont semblé noté un léger fléchissement à l'occasion de la visite, en mars dernier, du président français Nicolas Sarkozy au Niger où, pour la première fois, il a semblé indiquer qu'il écouterait la voix du peuple qui, déjà, le "suppliait" de poursuivre l'œuvre si joliment engagée. Un discours déjà entendu ailleurs, et qui a abouti à des changements de constitution généralement au profit des individus et non de la République, au mépris des règles écrites ou non de l'alternance démocratique et du renouvellement du personnel politique. Mais qui parle au nom du peuple? En quoi quelques groupes de danseurs traditionnels récompensés à la fin de leur "scène" par des pagnes et quelques pièces d'argent peuvent-ils engager toute la population d'un pays, et comment un chef d'Etat soucieux du bien être de la population et respectueux des institutions républicaines peut-il, sérieusement, entraîner tout un pays dans cette dérive personnelle plus loin de la dictature? Heureusement qu'au Niger, malgré tout ce qu'on a pu en dire, il existe quand même une classe politique. Dans les rangs de l'opposition bien sûr, mais aussi dans ceux de ce qu'on considère comme la majorité présidentielle. Qui aurait pu aussi, par simples calculs carriéristes (en espérant un strapontin ministériel), laisser faire et tirer son épingle du jeu le moment venu. Mais ces hommes politique, regardant le parcours chaotique de cette nation parsemée de coups d'Etat, a décidé de donner une chance à la démocratie. Au-delà des hommes, les institutions ont aussi décidé de jouer leur rôle dans la sauvegarde de la démocratie. C'est le sens à donner à à ce camouflet que vient de lui infliger la cour constitutionnelle en démontrant le caractère anti constitutionnel de sa démarche. Et en laissant dévoiler au grand jour les manœuvres d'un homme qui, visiblement, mijotait son coup depuis longtemps. On se souvient du lancement d'une opération "mains propres", il y a quelques mois, qui semblait témoigner de la volonté du président de réduire la corruption, mais les multiples "affaires" qu'elle révèle montrent combien la pratique s'est généralisée dans le pays. Pis: elle est parfois instrumentalisée à des fins politiques. L'affaire de l'ancien Premier ministre Hama Amadou, longtemps présenté comme le dauphin de Tandja et aujourd'hui accusé de détournement de fonds publics, est perçue par une partie de l'opinion comme une tentative d'éliminer un adversaire plutôt que comme la volonté de limiter les ravages de la corruption. Le désaveu de Mamadou Tandja, comme celui du nigérian Olusegun Obasanjo il y a quelques années, est un dernier signal aux dictateurs africains qui ne veulent pas se conformer à l'esprit et la lettre des constitutions. C'est un appel à la justesse et à la clairvoyance du dispositif constitutionnel: La loi fondamentale doit toujours éviter d'être captive d'une ambition personnelle mesquine. Et comme le relève si bien cet observateur politique nigérien, "elle doit être la lampe qui éclaire tous les pouvoirs démocratiques. Elle est cette sève qui irrigue la cohésion sociale. Il est patent que son irrespect fait revêtir à la démocratie un visage hideux et dégoûtant”. A.B.B.




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