Nécrologie: Joseph Fofé est mort

Par Jacques Bessala Manga | Le Jour
- 04-Oct-2010 - 08h30   60638                      
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L’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports est décédé samedi dernier à Paris, où il était hospitalisé.
La rumeur l’avait donné pour mort il y a plus d’une semaine. Ceux qui avaient été dans la confidence du docteur Joseph Fofé le savaient gravement malade ces dernières années.Malgré l’effort qu’il faisait pour assumer les nouvelles responsabilités d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Cameroun en République centrafricaine, avec résidence à Bangui, l’ancien ministre portait douloureusement le poids de son âge. La rumeur est devenue réalité depuis samedi 02 septembre dernier. Le docteur a succombé à un cancer qui le rongeait depuis plusieurs années maintenant. Né en 1932 à Mbouda, le jeune Joseph Fofé Tapydji qui parcourait les pistes et sentiers de son Bamboutos natal n’avait aucune idée du destin incroyable qui serait le sien. Il croisera une partie de ce destin au petit séminaire d’Akono, où il rencontrera un certain Paul Biya, avec lequel il liera une amitié indéfectible. Du séminaire, l’ancien ministre des sports a conservé la fidélité à l’Eglise qu’il fréquentait assidûment chaque dimanche, quand les circonstances le lui permettaient. Une relation qui s’affermira au lycée général, en 1958. Puis en France, lorsque les deux amis, et d’autres, iront poursuivre leurs études outre-mer. Chirurgien dentiste Devenu à 33 ans l’un des premiers chirurgiens dentistes au Cameroun, après de brillantes études à la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Nantes en France, il reviendra au Cameroun en 1966. Il exercera en interne à l’hôpital central de Yaoundé, qui culminera au prestigieux poste de conseiller médical entre 1983 et 1984. Il y bâtira une partie de sa notoriété. Il continuera d’entretenir une relation privilégiée avec Paul Biya, devenu entre-temps Premier ministre en 1975. Leur amitié se manifestera par la pratique du vélo dont les deux amis étaient des indécrottables amateurs. Des liens étroits qui trouveront un autre encrage avec Jeanne Irène Biya. L’épouse de Paul Biya officiait comme sage-femme à la maternité principale de l’hôpital central de Yaoundé, et rencontrait régulièrement, incidemment ou opportunément, cet ami de la famille dans les couloirs de l’hôpital, entre deux consultations. Le 04 février 1984, le destin de Joseph Fofé s’emballe. Le Cameroun vient de connaître deux ans plus tôt un changement au sommet de l’Etat. Paul Biya, l’ami de toujours, le coéquipier de vélo du samedi, est devenu président de la République le 06 novembre 1982. Le nouveau pouvoir de Yaoundé est menacé par des nostalgiques de la période Ahidjo, au point de susciter des bruits de bottes. Paul Biya va être atteint d’une obsession sécuritaire. Ce qui permet à certains de ses anciens amis, « hommes de confiance », de former un « cordon de sécurité » autour de lui en occupant des postes stratégiques dans le landernau politique et administratif. Des amis du séminaire, du lycée général Leclerc et de l’université en France vont être appelés au gouvernement. Joseph Fofé sera de cru prestigieux. Les délices du pouvoir Il deviendra ministre du Travail et de la Prévoyance sociale le 04 février 1984. Il y passera une période assez brève : deux à peine. Il changera de portefeuille, pour se voir attribuer celui de la Jeunesse et des Sports le 21 novembre 1986. Il y passera cinq ans. Un record. Il y connaîtra l’ivresse du pouvoir. Jusqu’à cette fatidique date du 07 décembre 1990. Le décret qui le débarque du gouvernement sonne comme une lente et longue descente aux enfers. De la proximité avec le pouvoir, Joseph Fofé a cultivé la patience dans l’épreuve, dans la souffrance même. Il éprouvera de plus en plus de difficultés à reprendre mèche avec son président d’ami. Ayant goûté aux délices du pouvoir, Fofé rentre alors en espérance. Espérance d’un retour qui traînait en longueur, mais dont l'homme n'a jamais désespéré. Il sera souvent aperçu lors de cérémonies intimes heureuses ou malheureuses à la résidence de Paul Biya à Mvomeka’a, lors des obsèques Jeanne Irène Biya, lors du mariage de Franck Biya, lors du remariage de Paul et Chantal Biya, lors des obsèques Anasthasie Eyenga, la mère de Paul Biya. Des signes qui ne trompaient pas, pour ceux qui savent les interpréter. Joseph Fofé vivait sa mise à l’écart comme un supplice. Dix huit ans, c’en était trop pour celui-là même qui revendiquait légitimement son amitié avec Paul Biya. Des anecdotes croustillantes se racontent à son sujet. Lors d’une de ces cérémonies, dépité de ne pas obtenir une promesse formelle de le ramener aux affaires, désespérément taciturne à l’occasion d’une des nombreuses collations auxquelles il était régulièrement convié à Mvomeka’a, le docteur transpirait la tristesse. C’est lors d’une de ces attitudes tristounettes que Paul Biya va demander à son ami : « Monsieur le ministre, vous ne prenez rien » ? Pensant qu’on lui proposait enfin un nouveau poste, Joseph Fofé s’était littéralement couché, dans un numéro de contorsionniste sur le tard, pour répondre à son illustre interlocuteur. «Même la condition féminine excellence», lui répondra Joseph Fofé. A la vérité, Paul Biya invitait son ami à boire un verre. D’autres choses se racontent dans le même registre. Juillet 2007. Jour des élections couplées municipales et législatives. Comme tous les barons du Renouveau résidant à Yaoundé, l’ancien ministre de la Jeunesse et des sports s’est rendu à l’un des bureaux de vote à l’Ecole publique de Bastos. Mais à la différence des autres qui votaient et repartaient, Joseph Fofé était resté sur place, à l’annonce de l’arrivée de Paul Biya. Comme d’autres personnalités, ministres en fonction et directeurs généraux des sociétés publiques et parapubliques avaient formé une haie d’honneur circonstanciée, pour attendre le chef de l’Etat. Joseph Fofé Tapydji, usant d’un stratagème, s’était glissé parmi eux. A l’arrivée du cortège présidentiel, le cordon de sécurité empêcha malheureusement Joseph Fofé de saluer son « ami » de président. A la sortie du bureau de vote, le couple présidentiel, s’était offert un bain de foule. Une ultime aubaine pour l’ancien ministre de se rappeler au souvenir du prince. Il prit tout son courage pour se rapprocher le plus près possible du véhicule du chef de l’Etat. Paul Biya l’a trouvé là, lui a serré la main et s’en est allé non sans lui avoir lancé un prometteur : «Joseph ça va ?» Joseph Fofé en serait parti très fier. Il avait réussi un joli coup. Biya au moins l’avait vu. Il avait continué à multiplier les actions de charme. Prenant la tête des caravanes de soutien lors des meetings du Rdpc dans les Bamboutos, il démontrait ostentatoirement son militantisme à qui de droit. Est-ce la suite de toute cette gesticulation qui a abouti à sa désignation comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Cameroun en République centrafricaine, avec résidence à Bangui ? Une représentation diplomatique de moindre importance, selon certaines mauvaises langues. Bien malin celui qui pourrait l’affirmer péremptoirement. Le concerné aimait le nouvel emploi. Au point de s’activer à la médiatisation de la présentation de ses lettres de créance, abondamment diffusées sur les chaînes de télévision du bercail. La dernière apparition publique remonte à l’année dernière, lors du sommet de la Cemac. Le désormais diplomate avait redonné des couleurs à la représentation diplomatique du Cameroun au pays de Bozizé, depuis la mort de l’ancien titulaire du poste, Christopher Nshalaï, décédé en 2008. Joseph Marie Omog, l’entraîneur de l’équipe nationale A’, se souviendra certainement de la sollicitude dont ses joueurs et lui ont été l’objet lors du tournoi organisé en marge du sommet. Le docteur, sportif émérite, a perdu cet ultime concours de la patience contre le cancer.Au bout d’une témérité qui fera école. Il aura droit à des obsèques nationales. Auréolée du prestige de son poste d’ambassadeur qui viendra allonger la liste des hommages posthumes hypocrites que la nation lui rendra. Acquis : Le goût amer du mondial italien Des bruits de gabegie ont éclaboussé le ministre Joseph Fofé, avant de l’emporter. Malgré la prestation mémorable de l’équipe camerounaise à la coupe du monde en 1990 en Italie. Le passage au ministère de la Jeunesse et des sports de Joseph Fofé (21/11/1986 au 07/12/1990), restera indubitablement d’une longévité inégalée à un portefeuille qu’on dit particulièrement éjectable. Et pourtant, Joseph Fofé vivra cette expérience comme l’une des plus grandes réussites de sa carrière de ministre, commencée discrètement au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale le 04 février 1984. Lorsque le portefeuille du ministère de la Jeunesse et des sports lui est confié en 1985, le Cameroun sort d’un cycle de succès sportifs internationaux de l’équipe nationale de football et des clubs. Canon de Yaoundé, Union de Douala et dans une moindre mesure, Tonnerre Kalara club dictaient leur loi sur la plupart des stades africains en coupe des clubs. Les Lions indomptables, l’équipe nationale du Cameroun, sortait tout auréolée de sa première victoire à la Coupe d’Afrique des Nations en Côte d’Ivoire en 1984, après qu’elle ait fait sensation au mondial espagnol de 1982. Jamais auparavant, une équipe africaine n’était revenue de la compétition avec la performance de trois résultats nuls, dont un contre le futur vainqueur du tournoi. Un prestige croissant avec la participation du Cameroun à la coupe intercontinentale organisée en Arabie Saoudite en 1985. C’est une période de reconstruction, où une génération de footballeurs talentueux, Théophile Abega, Grégoire Mbida, Aoudou Ibrahim, Ndoumbe Léa, etc., passait le témoin à une autre, Mbouh Emile, Jacques Songo, Omam et Kana Biyick, etc. C’est dire, si le sport en général, le football en particulier, cristallisait déjà les esprits du landernau politique. Et devenait au fil du temps, une boîte à pandores, dont la fédération camerounaise de football, se faisait la caisse de résonnance. C’est dans ce décor feutré que Joseph Fofé va s’installer. Il y connaîtra la gloire. Il aura l’insigne honneur de conduire les Lions indomptables en Egypte, qui perdra sur le fil, après une séance de tirs aux buts, face au pays organisateur, l’Egypte, dans un stade du Caire transformé en chaudron. Ce n’était que partie remise. Deux ans plus tard, le ministre Joseph Fofé conduira la délégation qui remportera le trophée de la Coupe d’Afrique des nations au Maroc. Ce n’était encore rien, comparé à l’ivresse que le ministre vivra avec l’épopée du Mondiale italien de juin 1990. Alors que les bookmakers ne vendaient pas cher la peau de l’équipe camerounaise, celle-ci battra en ouverture de la coupe du monde le champion du monde en titre, l’Argentine de Diego Armando Maradona, en présence du président de la République, Paul Biya. Après un parcours héroïque resté mémorable, les Lions indomptables s’inclineront, les armes à la main, en quart de finale contre l’Angleterre, mais se classeront cinquième équipe de la planète football. Alors même que Joseph Fofé aspirait à une récompense méritée après cette campagne glorieuse italienne, un maintien à son poste, ou au moins une mutation à un autre poste au sein du gouvernement, des rumeurs d’affairisme sourdent au sein de la délégation camerounaise. Le ministre est gravement éclaboussé. Un affaire de primes impayées, des factures impayées dans un hôtel de Yaoundé, des dons du Chief Abiola, de regrettée mémoire à l’endroit de tous les Lions indomptables partie de l’expédition italienne, etc., remises au goût du jour par Victor Ndip Akem. L’ancien lion indomptable, un des « héros d’Italie 90 », continue de revendiquer jusqu’à ce jour une prime de 10 millions promise à l’époque par le ministre Joseph Fofé. Le ministre de la Jeunesse et des Sports perdra son poste le 07 décembre 1990, pour ne plus jamais participer à une équipe gouvernementale. Acquis : « J'ai été surpris par ma nomination » La présente interview, certainement la dernière du disparu, a été publiée par notre confrère Mutations, dans son édition du 04 juillet 2008. Le nouvel ambassadeur du Cameroun en RCA réagissait à sa désignation à la tête de cette mission diplomatique. Quelle a été votre réaction à la suite de votre désignation comme ambassadeur du Cameroun en RCA par le président de la République ? J'ai été très surpris parce que l'on ne me l'avait pas soufflé avant. Voyez-vous, des responsabilités aussi énormes vous mettent du baume au cœur. Mais vous vous demandez en même temps avec quelles forces vous allez travailler. Mais rassurez-vous, je vais m'y mettre pour être à la hauteur de cette surprise et, surtout, pour pouvoir remplir, avec satisfaction, la lourde responsabilité que Monsieur le président de la République a bien voulu me confier. Vous êtes désigné ambassadeur en République Centrafricaine. Connaissez-vous ce pays ? Y avez-vous déjà été ? J'ai été deux fois là bas en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports. Nous sommes allés gagner ce qui était, à l'époque, la coupe de l'Udéac (Union douanière et économique des Etats de l'Afrique centrale) et qui est devenu la coupe de la Cemac. C'était devant le chef de l'Etat centrafricain de l'époque, le général André Kolingba et le président du Gabon, Omar Bongo. Je peux vous dire que je connais un tout petit peu ce pays. Je peux surtout vous dire que la nuit tombe très vite là bas. Ce n'est pas comme chez nous ici. Vous êtes resté en réserve de la République pendant 18 ans. Beaucoup de Camerounais se demandent comment vous avez vécu cette période... (Amusé). J'ai vécu cette période ici, chez moi. Je ne sortais pas beaucoup. Sinon, quand il fallait faire des déplacements dans la province de l'Ouest pour représenter mon parti le Rdpc, sauf cas de maladie. J'ai toujours fait mon devoir. Sinon, j'ai passé beaucoup de temps chez moi. J'évitais des histoires. Je me disais: le grand chef est là, il nous donne des directives, et nous n'avons qu'à les suivre. Vous arrivez en RCA au moment où ce pays prend la tête de la Cemac. Surtout au moment où les chefs d'Etat de la sous région veulent donner une nouvelle impulsion à cette organisation. Comment appréhendez-vous votre tâche à ce niveau ? C'est une tâche difficile, mais exaltante. Si le président m'y envoie, c'est parce qu'il connaît tous les efforts que j'ai déployé chaque fois que j'en ai eu la possibilité. Je crois qu'il pense que je pourrais le représenter et représenter le Cameroun de manière honorable dans ce pays. Si le président François Bozizé fait appel à moi dans le cadre de la Cemac, je n'hésiterais pas à apporter ma contribution, à donner les idées du Cameroun pour la réussite de cette organisation. Ce que les Camerounais retiennent aujourd'hui de vous, c'est que vous êtes ce ministre des Sports qui a conduit notre pays pour la première fois en quart de finale d'une coupe du monde de football. Quels souvenirs en gardez-vous aujourd'hui ? Cette histoire de 1990, le président de la République m'avait demandé s'il pouvait y aller. J'ai dit: "Monsieur le Président, venez, ce sera un plus pour nos sportifs". Nous avons gagné et les autres victoires ont suivi. C'était des moments de fierté pour tout notre pays. Je suis d'autant plus heureux que nos résultats ont amené l'Afrique à avoir cinq places en phase finale de coupe du monde de football. Le Cameroun a montré la voie. Nous avons montré que nous étions mûrs et qu'avec les autres pays, l'Afrique pouvait aller loin. J'en garde un grand souvenir. Quand vous regardez les Lions Indomptables aujourd'hui, vous vous dites, cette équipe devrait faire mieux que celle de 1990 ? Je ne peux pas le dire, parce que voyez-vous, le football, à l'heure actuelle, a évolué. Regardez par exemple l'Angola que nous battions par des scores très larges. Cette équipe a été à la dernière coupe du monde, et pas le Cameroun. Le football africain a beaucoup évolué depuis. Quand aura lieu votre premier voyage en République Centrafricaine en tant qu'ambassadeur du Cameroun ? A l'heure actuelle, nous attendons le retour, au Cameroun, de Monsieur le ministre des Relations extérieures [en Egypte pour le sommet de l'Union africaine ndlr]. C'est lui qui va fixer le cap de ce qui devra être fait. Je ne peux donc pas vous donner la date exacte de mon départ pour mon pays d'accueil.




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