Albert Mukong: Un grand résistant s’en est allé

Par Henriette EKWE | La Nouvelle Expression
- 15-Jul-2004 - 08h30   56186                      
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Albert Mukong s’est éteint avant-hier, dans son domicile de Bamenda. Cet ancien militant du One Kamerun Movement, nationaliste de sa jeunesse à sa mort, aura marqué les esprits par son courage et sa ténacité...
Habitué des prisons politiques à travers le territoire, il disait toujours en rigolant "Avec le combat que je mène, ma maison c’est la prison. L'exception c’est lorsque je dors à la maison ". Tout au long des années 70 et 80, il sera régulièrement embastillé puis relâché, marquant son action par une présence solitaire mais si forte au sein des organisations internationales, Un jour, a Bruxelles, le lendemain à New-York. Il était l’infatigable pèlerin de la cause du Southern Cameroons, révolté par la conduite de la Réunification par l’ancien président Ahmadou Ahidjo. Il sera le premier Camerounais à rédiger un livre sur la prison politique. C’est ainsi que son ouvrage, paru au début des années 80, Prisoner without a crime (prisonnier sans crime), dans lequel il décrit les conditions des prisonniers dans la sinistre prison politique de la Brigade mixte mobile (Bmm) de Kondengui, à Yaoundé. Il y rapportera notamment ce qu’il avait vécu. Avec Gorji Dinka, l’ancien bâtonnier du barreau du Cameroun, il sera le prisonnier politique le plus célèbre des premières années du régime Biya. Il exploitera cette condition de prisonnier politique pour obtenir que la communauté internationale braque son projecteur sur le système politique camerounais depuis la Réunification jusqu’au référendum de 1972, qui mettait fin au système fédéral et proclamait une République unie, celle-là même que condamnait Albert Mukong. C’est tout naturellement qu’il se retrouvera en première ligne dans l’affaire Yondo, avec les autres protagonistes de ce groupe, il apportait la caution du Nord-Ouest et du Sud-Ouest dans la revendication de la démocratie et du multipartisme auprès de son compagnon Vincent Feko. Mais il ne sera pas surpris par son arrestation avec le groupe de Douala. Avec son humour habituel, il s’adressera en ces termes aux policiers du Cener en civil venus le cueillir à son domicile de Bamenda Vous en avez mis, du temps Mon baluchon est prêt depuis trois jours. Qu’attendiez-vous donc? C’est donc le sourire aux lèvres qu’il rejoindra ses compagnons d’infortune à la Bmm de Mboppi à Douala, content de retrouver ses pénates. A son arrivée, il n’hésitera pas à lancer au commissaire Batchanji "Libérez les tous. Je suis le seul responsable de cette affaire" Il était comme cela, Mukong, refusant de prendre la parole sans un interprète et fustigeant le ridicule de la situation lors de son procès devant le tribunal militaire. "On est au Cameroun. Mais, vous n’avez pas fait l’effort, vous les juges, de vous exprimer en anglais. Est-ce donc cela le bilinguisme qu’on nous chante depuis des décennies"? Il était content de son fait, lorsque le gouvernement fut obligé de se dédire ce 14 mars 1990 en annonçant à la radio, au grand journal de 13 heures, que les protagonistes de l’affaire Yondo n’ont pas été arrêtés parce qu’ils voulaient créer un parti politique puisque la constitution, en son article 3 dispose que les "partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel." Aussitôt dit, Mukong, qui avait mis à profit le temps supplémentaire de liberté qui lui avait été laissé par les retards de l’administration pour peaufiner les statuts du parti qui devait devenir plus tard le SDF, donnera l’ordre, du fond de sa cellule, pour que ces statuts soient immédiatement déposés à la préfecture de la Mezam, à Bamenda. C’était le 16 mars, deux jours seulement après l’annonce du gouvernement. Activiste hors pair. Ascète, il mangeait peu et consacrait le plus clair de son temps à la lecture et à la prière. Amaigri par ses interminables séances de jeûne total, il n’en gardait pas moins l’esprit vif, même s’il était par moments visité par des visions bizarres comme celles d’anges qui viendraient ouvrir toutes les cellules et libérer tous les prisonniers avant l’annonce du procès. Plus tard libéré, et mécontent de ce verdict, il se tournera vers le SDF, sa grande victoire dont il restera le founding father avec d’autres. Jusqu’à sa mort. Il aura été un activiste hors pair des droits de l’homme et des organisations internationales qui s’en occupent. Ainsi a-t-il gagné un procès contre l'Etat du Cameroun devant la commission des droits de l’homme de l’Onu à Genève, il y a trois ans. Chose exceptionnelle, il recevra un chèque de dédommagement pour ses multiples privations de liberté. Ce fut l’une de ses grandes victoires dont il était fier. Ce petit bout d’homme au regard malicieux, capable de percer les subtilités de la langue française, se faisait plaisir en se murant dans le silence face à ses interlocuteurs qui ne voulaient ou ne pouvaient pas s’exprimer en anglais. Il fut une des rares personnalités anglophones à protester avec véhémence contre l’annexion par l’Etat fédéré oriental de l'Etat fédéré occidental et il mettra ses trente dernières années de vie au service de la cause devenue plus tard celle du Southern Cameroons National Council (SCNC). Une cause qui l’éloignera de ses amis upécistes et anciens du One Kamerun Movement, auxquels il reprochait notamment de cautionner la vassalisation du West Cameroon à la partie francophone. Il refusera obstinément de porter le débat sur un déficit de démocratie qui aurait permis l’épanouissement de toutes les parties du pays sans exclusive. Sa dernière interview à notre confrère Le Messager fut un moment de joie pour lui. L’annonce de la recevabilité de la requête du SCNC contre la République du Cameroun par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples lui faisait déjà entrevoir une victoire sur "La République", cette identification déclinée sous le mode sarcastique pour stigmatiser la partie francophone. Une République que Mukong voulait voir chassée par la justice de cette cour de leur "territoire". Ce fut la grande contradiction qui habitait cet homme à la fois membre fondateur d’un parti qui incarna pendant longtemps le changement pour tous les Camerounais sur l’ensemble du territoire national et dont il arborait les couleurs avec fierté lors des grandes manifestations, et un engament ferme et irréductible pour la sécession. Mais nul ne l’aura pris en défaut de compromission. Jusqu’au bout, il restera un infatigable combattant, exploitant tour à tour l’histoire, puis le droit international pour réaliser son idéal.




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