Ballon d’or africain: Les Raisons du Choix d'Eto'o

Par Ambroise EBONDA | Le Messager
- 18-Feb-2005 - 08h30   63645                      
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Le goaléador des Lions à nouveau élu. Les Nigérians contestent. Et pourtant.
Et de deux pour Samuel Eto’o. Le goaléador des Lions indomptables du Cameroun vient d’être consacré meilleur joueur africain, pour la deuxième année consécutive. Le titre de Ballon d’or africain 2004 lui a été officiellement décerné mardi 15 février dans la cité balnéaire sud-africaine de Durban à l’occasion du gala annuel des récompenses de la Confédération Africaine de football (Caf) et de l’opérateur de téléphonie mobile Mtn. Le buteur du Fc Barcelone devient ainsi le troisième Camerounais à remporter ce titre à deux reprises, après Roger Milla (1976 et 1990) et Thomas Nkono (1979 et 1982). Il rejoint surtout le club très fermé des stars africaines qui ont eu l’honneur d’être consacrées deux fois d’affilée, et où il n’y a guère que le Ghanéen Abedi Pelé, le Libérien George Weah et le Sénégalais El Hadji Diouf. Samuel Eto’o a eu à faire à forte partie pour conserver son titre. Il était opposé cette année à quatre joueurs africains de haut vol. D’abord l’Ivoirien Didier Drogba, meilleur joueur de la Ligue I française et principal acteur du brillant parcours de l’Olympique de Marseille en coupe d’Europe, avant de devenir le joueur africain le plus cher de l’histoire, en signant à Chelsea. Ensuite, le Sud-africain Benni Mc Carthy qui a tout gagné avec le Fc Porto en 2004 ; le championnat du Portugal, la Champion’s League européenne et la Coupe intercontinentale , avec à la clé un titre de meilleur buteur du championnat portugais. Mais aussi le Nigérian Jay-Jay Okocha, élu meilleur joueur de la Coupe d’Afrique des Nations en Tunisie et toujours aussi précieux pour son club anglais de Bolton. Et, dans une moindre mesure, le Togolais Emmanuel Sheyi Adebayor, étoile montante du championnat de France. Le choix des électeurs -les entraîneurs nationaux du continent en l’occurrence- s’est porté sur le Camerounais crédité de 116 points, devant Drogba (90), Okocha (68), Mc Carthy (31) et Adebayor (21). Talent et constance Le résultat est net et sans appel. Les sélectionneurs africains reconnaissent le talent incontestable de Samuel Eto’o, fin technicien, attaquant puissant, rapide et accrocheur ; véritable danger permanent pour les défenses adverses, même les plus rugueuses. Davantage, les sélectionneurs africains récompensent la constance du goaléador camerounais. Didier Drogba a fait une première moitié de saison époustouflante, mais n’a pas vraiment brillé depuis qu’il est passé à Chelsea, handicapé par des blessures à répétition. Jay-Jay Okocha a été excellent en Coupe des nations en Tunisie, avant de sombrer par la suite dans sa bonne forme routinière en Premiership anglaise. Pour ne pas parler de Benni Mc Carthy victime en fin de saison des choix du nouvel entraîneur du Fc Porto. Or, Samuel Eto’o, après avoir brillé de mille feux au Real Majorque en première partie de 2004, est devenu tout simplement irrésistible en fin de saison – au moment où les électeurs votent -, avec le Fc Barcelone dont il est un des leaders. Pour autant, le choix des sélectionneurs africains ne fait apparemment pas l’unanimité. Il est même vivement critiqué au Nigeria où on en fait pratiquement une affaire d’Etat. Le sélectionneur nigérian, Christian Chukwu accuse ouvertement la Caf de “ faire de la politique ”. Il estime que le titre aurait dû revenir au capitaine de la sélection nigériane, Jay-Jay Okocha. “ Quand quelqu’un mérite quelque chose, explique-t-il, on ne devrait pas le lui refuser. Okocha méritait ce titre beaucoup plus qu’Eto’o ou tout autre joueur. Si on devait prendre en considération les performances de la saison écoulée, aucun autre joueur n’aurait pu égaler celles d’Okocha ”. La presse nigériane pousse même l’accusation plus loin. Pour le quotidien privé ‘’Vanguard’’ par exemple, “ Okocha est victime d’une conspiration francophone ”. ‘’The Guardian’’, un autre journal privé à fort tirage tente de montrer “ comment les Francophones ont privé Okocha de la distinction de la Caf ”. Election transparente Une conspiration francophone ? Rien, absolument rien ne permet de le soutenir. Il apparaît bien difficile d’accuser la Caf et Mtn encore moins, de quelque manipulation dans le choix du ballon d’or 2004. Bien au contraire, Samuel Eto’o est le premier ballon d’or élu de manière tout à fait transparente depuis au moins une décennie. Il ne faut pas croire que le vote a été fait par quelques personnes enfermées dans une salle et ayant préalablement reçu des consignes. Pour l’édition 2004, la Caf a choisi de s’inspirer du système mis en place par la Fifa pour l’élection du joueur mondial de l’année. Elle a envoyé des formulaires de vote à chacune des 53 fédérations nationales affiliées. Chaque fédération devait ensuite demander à son entraîneur national de classer par ordre, les trois meilleurs joueurs africains sur la liste de cinq finalistes arrêtée par la Caf (Adebayor, Drogba, Eto’o, Mc Carthy, Okocha). 27 fédérations ont finalement répondu et participé au vote - En comparaison, seules 28 fédérations africaines avaient participé au vote du joueur Fifa 2004. A penser que ce genre d’exercice ne passionne pas les dirigeants du football africain - . Sur les 27 pays votants, 14, soit plus de la moitié ont placé Samuel Eto’o en tête de leur liste. Et, contrairement à ce que la presse nigériane affirme, le Barcelonais n’est pas plébiscité par les Francophones. Bien au contraire. 8 pays non francophones placent le Barcelonais en tête de leur liste (Erythrée, Ghana, Libye, Mozambique, Seychelles, Somalie, Soudan, Tanzanie), contre 6 pays francophones seulement (Cameroun, Congo, Djibouti, Maroc, Rdc, Tunisie). Samuel Eto’o s’impose donc aux quatre coins du continent. Son choix est par conséquent celui de toute l’Afrique. Alors que Drogba n’est cité que sur 21 listes (comme 1er, 2e ou 3e), Okocha 16, Mc Carthy 9 et Adebayor 7, le Camerounais est cité sur pratiquement toutes les listes , à l’exception notable de la liste venue …du Nigeria. En votant, le sélectionneur nigérian Christian Chukwu a désigné Okocha comme 1er, Drogba comme 2e et a curieusement oublié de désigner le troisième. Peut-être pour ne pas donner des points supplémentaires au Camerounais Samuel Eto’o ? Une faim de Lion Les observateurs avertis de la planète football seront d’ailleurs surpris de constater que la contestation vient du Nigeria. Très peu parmi eux donnaient Okocha vainqueur. Presque tous savaient que le titre se jouerait entre Eto’o et Drogba ; les deux titans africains qui ont marqué le football mondial en 2004. Lorsque ‘’France Football’’ a désigné les 50 meilleurs joueurs évoluant en Europe en 2004, il n’a retenu que deux Africains, le Camerounais et l’Ivoirien. Point d’Okocha. Idem pour la Fifa, lorsqu’elle a désigné les 50 meilleurs joueurs du monde en 2004. Elle n’a vu que deux Africains : Eto’o et Drogba. Le Camerounais avait d’ailleurs devancé l’Ivoirien au classement de ‘’France Football’’ et l’aurait certainement encore battu au classement Fifa, si la Fédération camerounaise de football n’avait pas curieusement oublié de voter. On notera d’ailleurs que les Ivoiriens se gardent de contester le résultat. Le quotidien ivoirien ‘’Le Nouveau Reveil’’ écrivait même mercredi : “ Le Camerounais du Barça a encore confirmé tout son talent de véritable avant-centre hors classe. Dans son club comme en sélection nationale, le lion indomptable constitue à lui seul 50% de son équipe. Son ascension permanente a été un obstacle au choix de l’Ivoirien. En clair, Samuel Eto’o est le meilleur en tout points de vue (…) l’avant-centre des Eléphants ne partait pas favori face au Camerounais. C’est donc le plus logiquement que le goaléador camerounais lui a été préféré. ” Faut-il alors considérer la “ polémique Okocha ” comme une des manifestations de la sourde rivalité (sportive) entre le Cameroun et le Nigeria ? Dans ce cas, on dirait que les Nigérians ne sont pas au bout de leurs peines. Samuel Eto’o qui fêtera ses 24 ans en mars prochain n’est pas en fin de carrière et il a encore faim. Une faim de lion. Il rêve d’être ballon d’or France Football et joueur Fifa de l’année, comme seul le Libérien George Weah, parmi les footballeurs africains a réussi à le devenir. Et, s’il achève cette année 2005 comme il l’a commencée, en étant étincelant, il sera difficile de l’empêcher de battre le record du Ghanéen Abedi Pelé (1991, 92 et 93) en devenant ballon d’or africain trois années d’affilée. Les ballons d’or africains 1970: Salif Keita (Mali) 1971: Ibrahim Sunday (Ghana) 1972 : Cherif Souleymane (Guinée) 1973 : Tshimen Bwanga (Zaïre) 1974 : Paul Moukila (Congo) 1975 : Ahmed Faras (Maroc) 1976 : Roger Milla (Cameroun) 1977 : Tarak Dhiab (Tunisie) 1978 : Karim Abdoul Razak (Ghana) 1979 : Thomas Nkono (Cam) 1980 : Jean Manga Onguene (Cam) 1981 : Lakhdar Belloumi (Algérie) 1982 : Thomas Nkono (Cam) 1983 : Mahmoud Al Khatib (Egypte) 1984 : Theophile Abega (Cam) 1985 : Mohamed Timoumi (Maroc) 1986 : Badou Ezaki (Maroc) 1987 : Rabah Madjer (Algérie) 1988 : Kalusha Bwalya (Zambie) 1989 : George Weah (Liberia) 1990 : Roger Milla (Cameroun) 1991 : Abedi Pelé Ayew (Ghana) 1992 : Abedi Pelé Ayew (Ghana) 1993: Abedi Pelé Ayew (Ghana) 1994 : George Weah (Liberia) et Emm. Amunike (Nigeria) 1995 : George Weah (Liberia) 1996 : Nwankwo Kanu (Nigeria) 1997 : Victor Ikpeba (Nigeria) 1998 : Mustapha Hadji (Maroc) 1999 : Nwankwo Kanu (Nigeria) 2000 :Patrick Mboma (Cam) 2001 : El Hadji Ousseynou Diouf (Sénégal) 2002 : El Hadji Ousseynou Diouf (Sénégal) 2003 : Samuel Eto'o (Cam) 2004 : Samuel Eto’o ( Cam) Le Cameroun, le ballon d’or et la Caf Crée en 1970 par le journal français ‘’France Football’’ et repris à son compte il y a 10 ans par la Confédération africaine de football, le Ballon d’or africain de l’année est une distinction qui confirme la suprématie du football camerounais en Afrique. Bien qu’il eut fallu attendre la 7e édition en 1976, pour voir enfin avec Roger Milla, un Camerounais monter sur la plus haute marche du podium, au moins un Lion indomptable a été sacré à chaque décennie. Le Cameroun est ainsi le seul pays africain à avoir inscrit le nom de 6 de ses fils à ce palmarès : Roger Milla, Thomas Nkono, Jean Manga Onguéné, Théophile Abéga, Patrick Mboma et Samuel Eto’o. Au total, cela fait 9 ballons d’or pour le Cameroun, loin devant le Ghana (5), le Maroc et le Nigeria (4). A en juger par la ferveur avec laquelle les Sénégalais ont fêté hier les sacres de Diouf, le chagrin des Nigérians de voir Okocha finir sa carrière sans être couronné, ou encore l’attente gourmande des Ivoiriens d’avoir enfin un des leurs sur le podium, on peut comprendre que le choix du ballon d’or est aussi un grand enjeu sportif sur le continent. Seulement, la Caf, par une organisation assez tatillonne, ne lui donne pas encore la dimension qu’il devrait avoir. Certes, le parrainage de Mtn est un atout . Mais, le choix des dates relègue l’événement au second plan. Le ballon d’or 2003 a par exemple été désigné en avril 2004. Celui de 2004 vient de l’être en 2005. Des plats servis déjà refroidis. Pourquoi la Caf n’ouvrirait-elle pas le bal des récompenses, en désignant son ballon d’or au début du mois de décembre, avant celui de ‘’France Football’’ ? Cela aurait le double avantage de donner plus de piment à l’événement, et d’éviter que le choix de l’Afrique ne soit influencé par quelque autre choix. Egalement, si on peut se réjouir de ce que le mode de scrutin ait été modifié avec l’édition 2004, ce qui devrait davantage crédibiliser l’élection, on regrette que finalement nombre de fédérations nationales, pratiquement la moitié ne participent pas au vote. Comment comprendre par exemple que les fédérations de l’Angola, du Bénin, du Burundi, de Guinée Equatoriale, de Guinée Conakry, de Guinée Bissau, du Swaziland, du Togo et de Zambie qui ont participé au choix du joueur Fifa de l’année, se gardent de participer au choix du ballon d’or africain ? Même si le vote n’est pas ici obligatoire, le ballon d’or serait véritablement celui de toute l’Afrique si la Caf mobilisait un plus grand nombre de fédérations autour de l’élection. On regrettera aussi que ce ballon d’or ne soit que l’affaire des joueurs africains évoluant en Europe, la Caf ayant cantonné les joueurs locaux dans la catégorie de “ meilleur joueur de la ligue d’Afrique des champions ”, alors que plusieurs parmi eux, auraient mérité d’aller en course pour le ballon d’or, au même titre qu’Emmanuel Adebayor par exemple. Comme on regrette que la Fifa et l’Uefa aient choisi d’organiser un match de bienfaisance, mobilisant en Europe l’élite du football africain, dont le ballon d’or, le jour même où la Caf avait choisi de longue date de décerner ses récompenses à ses footballeurs les plus méritants. L’Afrique du football pèse-t-elle donc d’aussi peu de poids ?




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