J'ai lu avec une attention soutenue, parce que le sujet est tout de même sérieux, l'article que le producteur de musique, Abéga Minkala, a publié dans vos colonnes dans l’Edition du 14 janvier, au sujet de l'annulation, par madame la ministre des Arts et de la Culture, du processus électoral ayant conduit l'artiste Musicien Ndédi Eyango à la tête du Conseil d'administration de la Socam.
J'ai de même, parcouru avec une certaine délectation, le plaidoyer qui se fonde sur une démonstration pertinente dont l'objectif est de détricoter ce qui, à bien des égards, a toutes les apparences d'une cabale contre un artiste dont les racines plongent, profondément, dans les entrailles de la terre de nos ancêtres.
Je ne saurai occulter mon extase face à toutes les succulentes allégories dont Abéga Minkala se sert pour attester de ce que le cas querellé n'est ni le premier ni le dernier de la longue liste des double identitaires qui œuvrent dans notre pays. Sauf que par une subtile perfidie, ses acteurs ont décidé de le porter devant les projecteurs de la République, Dieu seul sait pour quels desseins.
Je ne suis pas un spécialiste du droit. Je m'abstiendrai par conséquent volontiers de m'aventurer sur ces terres glissantes où mes arguments, plus de cœur que de droit, pourraient être rapidement balayés et voués à la vacuité. Je ne m'avoue néanmoins pas d'avance battu dans la cause que je voudrais ici défendre. Je sais que mon pays, le Cameroun, ne reconnaît pas la double nationalité à ses citoyens. On est à 100% Camerounais ou on ne l'est pas. Cela a le mérite de la clarté. Cependant, le sentiment qui m'inonde et que semblent partager mes compatriotes est que «Le Prince des montagnes» est le bouc émissaire de querelles byzantines, qui polluent la Socam et sa tutelle depuis une décennie, au nom d'intérêts pécuniaires inavoués et de leur distraction. Les deux entités se rejettent à chaque fois la responsabilité de la putréfaction de leurs rapports. Le droit d'auteur et l'artiste en premier, s'en trouvent sacrifiés.
Pour avoir un peu flirté avec les milieux sportifs, j'ai été quelque peu au contact des problèmes de la double nationalité. Il m'est quelques fois d'ailleurs arrivé de jouer les ambassadeurs de bons offices auprès de certains de ces footballeurs «bi» pour les convaincre de privilégier le destin camerounais plutôt que tout autre. Ce fut le cas du portier Charles Itandjè, qui défend avec bonheur aujourd’hui, l'étendard national mais qui jeta son dévolu sur la sélection française en 2001.
Y a-t-il loi sans exception?
On imagine à peine le déchirement de nos compatriotes qui, du fait de la détention d'un deuxième passeport, négocié à des fins essentiellement économiques, ne peuvent plus défendre les intérêts de leur pays de souche. La Fifa a si bien compris la problématique qu'elle a voulu le contourner en revoyant ses règlements sur la double nationalité dans le sens de donner une deuxième chance aux
"bipatrides".
Il nous semble qu'il doive exister, dans tout système, des exceptions qui tendent à valoriser et à protéger ceux des enfants qui honorent l'image du pays à l'intérieur comme à l'extérieur. Les nombreuses frasques des célébrités mondiales ne les ont jamais conduites en prison. L'opinion, qui s'identifie à ces héros et les trouve irrépréhensibles ne comprendrait pas ou alors le supporterait mal.
Nos premiers enseignants nous ont appris que chaque règle a des exceptions. Et encore que ce sont les exceptions qui donnent toute leur vigueur aux règles et lois. C'est ce que nous avions semblé Comprendre chaque fois que Roger Milla, Samuel Eto'o, Choupo Moting, Thomas Nkono, Bell Joseph Antoine et tous les nombreux autres enfants de la patrie, ont arboré la tunique vert rouge jaune pour défendre le label des Lions indomptables sur les terrains de la planète. Alors même que nous savions appris, preuves à l'appui, qu'ils avaient aussi acquis les nationalités françaises, espagnole, allemande, etc.
Le cas de Ndédi Eyango ne pourrait-il pas être calqué sur ces exemples-là et faire jurisprudence ? Comment supporterions-nous, au regard de notre riche passé en sport ou en musique que le premier gus vienne remettre en cause l'appartenance à notre sphère géographique ou culturelle tous ces sportifs et artistes qui font notre fierté ? Quel serait le sens de la consécration que nous avions réservée à Manu Dibango en 2000 si ce n'est qu'il n'a jamais existé qu'en tant que Camerounais et non Français ? Que dire de Nicolas Batoum, beau blanc et Français dont les exploits en Nba nous enivrent de fierté simplement parce que des traces de «camerounité» apparaissent dans son Adn?
Qui jetterait la première pierre?
Camerounité? Nous prononçons ce néologisme avec des regrets. Le seul fait de l'évoquer nous renvoie dans l'histoire dramatique d'un pays où l'on se servit d'un autre néologisme du genre.
Les artistes, qu'ils soient du bord musical, sportif ou de la peinture, portent haut et loin le message du dynamisme de notre culture, de son intarissable effervescence et de son immense richesse. Ils répandent ce message plus vite et plus loin que ne porte notre regard : dans les opéras et les salles de spectacles, dans les stades, les gymnases et les musées, sur les places publiques, les trottoirs des rues, les discothèques... N'est-ce pas pour ces diverses raisons que l'art et la musique sont sans frontières ? Les œuvres de l'esprit s'accommodent elles du pays d'origine ou d'accueil ou encore de la couleur de leurs auteurs ?
Ndédi Eyango, pour revenir à lui, est un ambassadeur de l'art camerounais aimé et respecté chez lui et dans le monde. Il aurait pu se gargariser de son seul passeport américain (que ne sommes-nous nombreux à jouer à la Loterie américaine chaque année) et se dépatouiller des miasmes morbides de l'univers artistique camerounais. Mais « home is home », chantait le regretté Prince Nico Mbarga, un autre artiste camerounais devenu Nigérian. Les Camerounais sont comme ça: le deuxième par rapport que l'on prend est plus lever de sécurité plus qu'un crachat sur la terre natale.
A ce titre, le patriotisme de l'auteur de « Service public », chanson culte ô combien prophétique de notre société disloquée et de «Ban enemi», ne saurait être cloué au pilori de l'ingratitude ou encore pour défaut de patriotisme. Son répertoire, riche et varié, témoigne à suffisance que toute son âme, tout son corps et tout son esprit danse au diapason du makossa, rythme emblématique de notre culture si foisonnante.
Que pour une raison ou une autre, l'on vienne considérer son américanité, conforme à la loi! Ce serait ignorer qu'à ce petit jeu, nombre de nos compatriotes dont ceux qui lui jettent la pierre, perdraient les statuts privilégiés qui sont les leurs dans la République.
Jean-Lambert Nang
Journaliste principal hors échelle