Cameroun: L’égalité, le mérité et l’équité

Par | Le Messager
- 27-Aug-2012 - 08h30   51607                      
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L’onde de choc provoquée par la lettre confidentielle de Mgr Tonyè Bakot, pour en quelque sorte dénoncer « l’invasion » ( ?) d’une Faculté de l’Université catholique d’Afrique centrale par « les ressortissants de l’Ouest », n’a pas fini de s’amplifier, et de provoquer des délires de langage aux accents belliqueux. Et pour cause !
L’égalité, le mérité et l’équité L’onde de choc provoquée par la lettre confidentielle de Mgr Tonyè Bakot, pour en quelque sorte dénoncer « l’invasion » ( ?) d’une Faculté de l’Université catholique d’Afrique centrale par « les ressortissants de l’Ouest », n’a pas fini de s’amplifier, et de provoquer des délires de langage aux accents belliqueux. Et pour cause ! Le pays vit désormais dans un contexte sociopolitique où manifestement, une gouvernance de pénurie donne l’impression aux citoyens, que s’emparer seul du peu qui existe, est plus essentiel que de construire ensemble une société d’abondance pour tous ; que le pouvoir (qui n’est pourtant qu’un mandat de service public), et désormais le savoir (qui est un droit fondamental de tous et de chacun), ne sont que mangeoire et lieu de privilèges, où les places à table sont si limitées, qu’il est nécessaire de discriminer ceux qui ne doivent pas y être invités. Un tel contexte permet que des individus connus pour leur capacité de nuisance, laissent impunément libre cours à leurs pulsions tribalistes, sans que cela engage forcément leur communauté ethnico-culturelle ou religieuse. Et en l’espèce, il serait exagéré, de la part de ceux qui se sentent légitimement frustrés, dans la peau des « ressortissants de l’Ouest » accusés de tricherie par l’archevêque de Yaoundé, de parler de « Bamilékés victimes d’ostracisme dans l’Eglise catholique qui est au Cameroun ». Car, cette Eglise-là n’appartenant pas aux évêques, mais aux fidèles du Christ qui n’ont qu’une seule ethnie chrétienne. D’autant plus qu’aucun évêque, fut-il ennemi déclaré des Bamilékés, et même s’il le pensait, ne saurait fixer des quotas tribaux dans la population chrétienne de ses paroisses, ou dans leur accès aux sacrements. Un évêque serait déjà fou d’écrire au Recteur de son séminaire diocésain, le genre de lettre adressée au Vice-doyen de « la Catho » par le Métropolitain de Yaoundé. On devrait donc laisser en dehors de ce débat, l’Eglise catholique qui est déjà attendue à d’autres tournants… A moins qu’elle ne soit plutôt invitée à la recherche globale de la solution du problème politico-ethnique au Cameroun. Car, ce problème existe, parce qu’il a été créé par le colonisateur dont les intérêts économiques ou géostratégiques étaient, et seraient encore menacés par une cohésion nationaliste des Camerounais. Il existe parce que les dirigeants successifs du pays sont restés dans un cadre logique néocolonial préétabli, et ont continué à ériger les tribus en « catégories politiques », en les juxtaposant sans les intégrer, et surtout, les dressant les unes contre autres, grâce à une « tribalisation » résolue du pouvoir politique qui délite le processus démocratique. Il est évident que, quand Amadou Ali affirme aux Américains que les Bamiléké (qui constituent la majorité des « ressortissants de l’Ouest » dont on parle) ne prendront jamais le pouvoir au Cameroun, il traduit tout haut la peur et la prévention caractéristiques du système, que la majorité démographique des Bamiléké (pourtant officiellement méconnue), ne se transforme en majorité politique et électorale, si le choix des dirigeants du pays devait vraiment obéir à la loi majoritaire, principe cardinal de tout vote démocratique. Le déficit de culture politique et de vision patriotique fait également que les élites dirigeantes actuelles ou potentielles, suspectent les Bamiléké d’une tentation hégémonique « communautaire » du genre « vision politique concertée ». Et c’est à faire repenser à cette théorie du « caillou dans la chaussure du Cameroun » émise comme à dessein par le Colonel Lamberton à la veille de « l’indépendance » de ce pays ; à se demander si les Bamiléké ne sont pas moins Camerounais que les Ibos, les Pakistanais ou les Chinois, et si dans ce cas, ce ne sont pas eux qui sont désignés dans la Constitution de 1996 par le terme « allogènes ». Et même si les Bamiléké n’étaient que des étrangers simplement tolérés au Cameroun, il faudrait bien trouver une solution pour leur permettre à la fois de s’épanouir à l’aune du potentiel dont ils sont dotés par la nature, sans l’avoir choisi, et de contribuer à la hauteur de leurs capacités, au développement de leur pays d’accueil. A quoi, ou à qui cela sert-il de vouloir limiter l’acquisition de la science et du savoir à des gens qui ne volent pas ces connaissances pour aller servir un pays ennemi. Il serait vraiment temps que les intelligences universitaires, et les autorités politiques et morales camerounaises acceptent de regarder la vérité en face, et commencent à se demander comment les autres pays, en Afrique ou dans le monde (l’Inde, les USA, la France, l’Allemagne, la Belgique entre autres), ont résolu leur problématique de la diversité ethnique, pour pouvoir ainsi construire des nations intégrées où la solidarité de tous garantit la sécurité de chacun. La comparaison que l’on entend dans les rues de Yaoundé actuellement, même si un catholique n’a pas de quoi en être fier, pourrait servir de piste de réflexion à ceux que préoccupe cette problématique. Elle trace un parallèle entre un évêque qui, contre toute rationalité, condamne une situation sociale encore inexpliquée au risque de provoquer des conflits, et un Ministre Rdpéciste qui, devant une rumeur qui lui parvient qu’ « il y a trop de Bamiléké dans une école supérieure parce qu’ils sont admis grâce à leurs frères enseignants qui y sont nombreux », fait d’abord mener une enquête dans ledit établissement dont le résultat vient contredire la rumeur, puis mandate la Conac pour surveiller le concours d’entrée 2012, de la composition des épreuves à la proclamation des résultats. L’enquête ordonnée par le Ministre a indiqué trois facteurs de la présence massive des gens visés dans l’établissement : « le grand nombre de leurs candidats au concours d’entrée, l’information, et l’intérêt au travail » Mais surtout, la rigueur dans le travail de la Conac ayant empêché tout « micmac », le Ministre s’est retrouvé avec un résultat du concours d’entrée où ceux qui étaient accusés d’arriver par la combine représentent 80% des admissions, et se trouvent encore à 30% de la liste d’attente. Maintenant, nous conviendrons tous, y compris ceux qui n’ont pas le triomphe modeste en le racontant, que la vérité n’est pas forcément l’équité. Mais qu’elle mérite toujours d’être connue. Et que le Ministre et la Conac ont bien fait d’établir, pour la santé de la société, que ceux qui sont là ne le sont pas par combine ou tricherie, mais par leur mérite. Reste, dans notre société à gouvernance basée sur l’équilibre alimentaire des ethnies, où l’on considère que le diplôme est la seule chance d’avoir un emploi, alors qu’en même temps l’Etat ne peut pas fournir le nombre d’emplois correspondant aux diplômes qu’il distribue, la question de savoir s’il n’y aurait rien à faire pour que les plus méritants de chaque ethnie accèdent au savoir, sans qu’il soit nécessaire de niveler la société par le bas, en freinant les plus forts pour que les plus faibles parviennent à niveau. Comment donc concilier l’égalité de chances pour tous, le mérite individuel et l’équité sociale, dans un pays où la citoyenneté n’est pas nationale, mais ethnique et à plusieurs vitesses ?




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