Le douzième anniversaire de la mort de cet écrivain sert de prétexte pour s'interroger sur les raisons qui l'ont poussé à adopter plusieurs noms d'emprunt.
Le parcours littéraire d'Alexandre Biyidi Awala débute en 1953 avec la sortie de la nouvelle «Sans haine et sans amour», parue aux éditions Présence africaine. Mais l'œuvre ne fait pas mouche. Un an plus tard, soit en 1954, Alexandre récidive et fait sortir «Ville cruelle». Cet ouvrage fait grand bruit mais peu sont ceux qui à l'époque, savent qui se cache derrière le pseudonyme Eza Boto. Pourtant, le nom Eza Boto est sur toutes les lèvres. Tout comme l'écart entre les habitudes de vie des quartiers Tanga nord et Tanga sud que dépeint «Ville cruelle». A l'époque, le Cameroun n'a pas encore accédé à l'indépendance politique. Le contexte ne tolère pas l'insolence des opposants du système.
De prime abord, on pourrait se demander pourquoi Alexandre Biyidi a voulu rester dans l'anonymat en mettant en exergue son nom d'emprunt, Eza Boto. Était-ce pour se protéger des foudres des gouvernements qu'il dénonçait avec une virulence épistolaire? Peut-être bien. Car en y réfléchissant bien, en 1954, lorsqu'il sort «Ville cruelle», Alexandre Biyidi n'a que 22 ans et est étudiant en lettres en France. Le jeune homme de l'époque, bien que rempli d'une fougue revendicatrice, est conscient du risque qu'il prendrait en se dévoilant complètement. Pour couper court aux spéculations, qui mieux que sa veuve Odile Biyidi Awala (née Tobner) pour expliquer les fondements des pseudonymes de son défunt époux.
Bomba
«Quand il a publié son premier livre, Alexandre Biyidi Awala a choisi un pseudo parce que, pensait-il, son nom était difficile à répéter et à épeler. Il voulait un nom plus simple: Eza Boto ressemblait un peu à celui de l'écrivain américain Ezra Pound, qui était apprécié par des connaisseurs», explique-t-elle à une question à lui adressée par mail, car elle est actuellement souffrante en France.
Ainsi, le nom Eza Boto a été inspiré par Ezra Pound. Qui est donc cet auteur qu'Alexandre Biyidi semblait apprécier? Pound est un poète, musicien et critique américain décédé en 1972. Il était aussi engagé politiquement que le jeune écrivain Alexandre Biyidi voulait l'être et l'a été par la suite.
Ses positions fâchaient d'aucuns, plaisaient à d'autres et ne laissaient personne indifférent. Par ailleurs, Eza Boto signifie en langue ewondo, «les gens d'autrui». En adoptant ce nom d'emprunt, Alexandre Biyidi s'investissait la mission de défendre les minorités, ces petites gens d'autrui très souvent mal loties. Puis, au fil des livres, l'écrivain a opté pour un autre pseudo et non moins significatif que le premier:Mongo Beti qui signifie en sa langue maternelle, «l'enfant béti». «Pour son 2éme livre, il a changé d'éditeur, passant de Présence Africaine à Robert Laffont. Et il a changé aussi de pseudo, adoptant celui de Mongo Beti qu'il a ensuite gardé pour ses autres livres», explique Odile Biyidi Awala.
En effet, en 1956, soit deux ans après la sortie de «Ville cruelle», Alexandre Biyidi sort «Le pauvre Christ de Bomba» aux éditions Robert Laffont sous le pseudonyme de Mongo Beti. Le livre crée un tollé au sein de l'église (catholique) qui y est implicitement indexée à travers le personnage du révérend père supérieur (Rps) Drumont, missionnaire au Cameroun durant la période coloniale. Ici encore, Alexandre Biyidi s'impose comme écrivain anticolonialiste et pourfendeurs des oppresseurs. Le livre n'a pas plu à l'église. Comment aurait-il pu en être autrement lorsque le personnage missionnaire du livre, essaie depuis 20 ans, d'imposer une religion qui se heurte aux us et coutumes des villageois? Après «Le pauvre Christ de Bomba», Alexandre Biyidi n'a plus signé ses livres que sous le pseudonyme Mongo Beti.
Il lui arrivait d'avoir une autre corde nominative à son arc pour les besoins de la revue (radicale) qu'il a fondée avec son épouse, «Peuples Noirs, peuples africains» (Pnpa). «Il a ensuite utilisé parfois d'autres pseudos pour signer quelques-uns de ses nombreux articles pour sa revue, Peuples noirs, peuples africains (Pnpa). Vince Remos par exemple, qui veut dire en espagnol "nous vaincrons" était l'un de ces pseudos», renseigne la veuve de Mongo Beti. La revue Pnpa a été lancée en janvier 1978 avant d'être interrompue en 1987, pour essoufflement financier. Mais à son retour définitif au Cameroun en 1992, Mongo Beti poursuivra son combat pour la protection des minorités. Il mourra le 7 octobre 2001 des suites d'une «intoxication hépatite» à l'âge de 69 ans.