Déballage de Marafa: La Conférence nationale souveraine n’est pas sans objet

Par Badiadji Horrétowdo, Ecrivain/romancier | Correspondance
- 11-Jun-2012 - 08h30   57208                      
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Le Cameroun n’est pas gouverné. Il est plutôt dirigé par un régime dictatorial qui, à travers des décennies et avec un machiavélisme des plus diaboliques, n’a jamais fait mystère de son hostilité viscérale à l’encontre de l’intérêt national. Tous les Camerounais épris d’un minimum de bon sens le savent.
Le Cameroun n’est pas gouverné. Il est plutôt dirigé par un régime dictatorial qui, à travers des décennies et avec un machiavélisme des plus diaboliques, n’a jamais fait mystère de son hostilité viscérale à l’encontre de l’intérêt national. Tous les Camerounais épris d’un minimum de bon sens le savent. Membres de la société civile dévoués à la cause républicaine, intellectuels et journalistes dignes de l’éthique que leur impose leur devoir de conscience, n’ont eu de cesse de dénoncer ce qui n’est désormais rien d’autre qu’un authentique crime contre l’humanité. L’épidémie de choléra de 2010, qui aura liquidé près d’un millier de Camerounais déshérités, restera l’un des chefs-d’œuvre d’anthologie à l’actif d’un régime abonné à l’indolence et à la perversion de tous genres. Les éléphants du parc national de Bouba Ndjida, promis à l’extermination par l’armada des braconniers venus du Tchad et du Soudan, ne durent leur salut qu’à la haute vigilance de l’Union européenne enjoignant Yaoundé de se remuer, à grand renfort des médias internationaux. La suite on la connaît. Les pachydermes qui font désormais l’objet de toutes les attentions, sont pour ainsi dire élevés au rang de VIP dans un pays déliquescent. Les humains en prise avec le choléra, eux, n’auront pas eu cette chance. Le Cameroun qui ploie sinistrement sous le scalpel d’un groupuscule dont aucun appel à la raison ne semble en mesure de neutraliser, en est à présent confiné à une insidieuse allure de zoo. Ainsi donc depuis le dernier jeu de chaises musicales aux allures de funérailles, un homme, celui-là même qui fut pendant près de vingt ans l’une des chevilles ouvrières du régime, tient haut les rênes dans la sphère médiatique nationale, résolu du fond de son pénitencier à un périlleux exercice d’exhumation minutieusement anticipé. Un one-man show qui laisse groggy un régime désormais en prise avec ses propres créatures, c’est-à-dire avec lui-même. Que ce soient les piteuses élucubrations d’un « professeur » à la dérive, s’enlisant dans les profondeurs infectes du déshonneur dû aux intellectuels de son acabit, ou encore les errements éhontés de quelques thuriféraires en mal d’opportunisme politique, rien ne pourra légitimer les velléités défensives d’un régime condamné, quoiqu’il advienne, à la vindicte de ses propres turpitudes. Nous savons déjà depuis longtemps que le régime Rdpc est pourri. Nous savons que ce régime n’éprouve guère la moindre once de scrupule quand il s’agit de battre en brèche les valeurs républicaines, allant jusqu’à se créer son propre univers de perversion où milliards et vies humaines cumulés ne pèsent guère plus lourds qu’une plume de tourterelle sur le Roberval. De ce point de vue, les révélations de Marafa n’ont rien apporté de nouveau. Pour l’histoire en revanche, la valeur ajoutée de son déballage est d’un intérêt indéniable. Voila une éminente personnalité du régime de ces vingt dernières années, un pur produit qui, après avoir été éjecté hors du système qu’il a défendu avec une certaine constance, se pourfend en révélations. Même si ces révélations ne le dédouanent en aucun cas d’un régime dont il restera à jamais comptable face à l’histoire, disons-le tout de même, ce n’est pas rien ! Par les temps qui courent, tout déballage d’où qu’il vienne est bon à prendre. Un éditorialiste dit indépendant, non moins connu de la presse écrite nationale, a eu l’outrecuidance d’affirmer que Marafa a manqué à son devoir de réserve, ajoutant que ce dernier de par ses révélations, met en danger les institutions de la République. Je crois rêver ! De bonne foi ou non, cela s’appelle prendre parti pour les crimes du régime. Qu’il soit clair ici, la République qui n’en est d’ailleurs pas à proprement parler une, est en danger depuis l’année dite de son accession à l’autodétermination. Un devoir de réserve n’a aucunement pas lieu d’être dans un pays aussi momifié dans les injustices sociales des plus bestiales. En outre, faut-il le rappeler ici, l’ex-Minadt et SG de la Présidence a droit à la liberté d’expression comme tout Camerounais, et ses brulots radioactifs sont nécessairement utiles pour la consolidation des archives nationales. Espérons simplement qu’il n’en a pas terminé, Marafa. L’occasion faisant d’ailleurs le larron, il y a lieu d’inviter d’autres éminents disgraciés du régime à lui emboîter le pas et ainsi précipiter la tenue d’une Conférence nationale souveraine plus que jamais d’actualité et nécessaire à la restauration des valeurs républicaines et l’unité nationale en lambeau. N’ayant pas eu le bon sens de démissionner bien avant de tomber en disgrâce, ils peuvent désormais se débrouiller à rendre ce minimum de service au peuple camerounais qui en a bien besoin. Quand arrivera in fine l’heure de rendre justice au pays tout entier, ces révélations seront assurément d’une précieuse contribution à la manifestation rapide de la vérité. Pour le reste, les Camerounais dans leur écrasante majorité observent ce déballage d’Etat avec une certaine note d’espoir qui semble animer un peuple qui, pendant des décennies, aura fait religion débrouillardise et survie. Quitte à perdre la face, comme c’est le cas assez souvent désormais, à abandonner sur le carreau l’inestimable de l’amour de soi, leur dignité propre. Mais d’où leur vient-il cet espoir avéré ? Quels en sont les fondements ? A regarder de près, n’ayant su conquérir son destin livré à toutes sortes de compromissions, le peuple camerounais semble miser sur la déconfiture totale d’un régime en phase terminale et qui donnerait ici clairement les signes d’une implosion caractéristique de fin de règne ! Mais au-delà d’une possible implosion, la question qui nous vient à l’esprit est surtout celle de savoir si le peuple camerounais est à même de pouvoir s’approprier un événement que la nature voudra bien peut-être mettre à sa portée, alors même qu’il s’est notoirement montré par le passé incapable de s’ajuster au diapason de la Raison à chaque fois qu’il se trouvait à la croisée de chemin ? Pas sûr, loin s’en faut. L’avenir le dira. Car une implosion ne rime forcément pas avec changement. Il est illusoire de penser que ce régime qui brade le pays à tout va et qui entend tout brader sur l’autel de ses seules aspirations pernicieuses, même en prise avec l’implosion, pliera l’échine au passage d’une simple brise matinale. Que le parti-Etat — puisque c’est de ce dernier qu’il s’agit dans la réalité des choses — s’aménage une nouvelle loi électorale dit-on destinée à assurer les élections libres et transparentes ! Qui, d’esprit normal, croit à une telle tartufferie ? Qui, d’esprit normal, croit une seule seconde à la bonne disposition d’individus pour qui le simple mot démocratie est une atteinte à leur obsession machiavélique responsable de la décrépitude morale et structurelle d’un pays foncièrement établi dans la médiocrité et le renoncement ? Qui, d’esprit normal, croit à l’aptitude de ce régime à pouvoir accepter les règles d’un jeu qui le précipiterait logiquement dans la poubelle de l’histoire ? Que de destins spoliés ! Que d’injustices sociales amalgamées ! Que de frustrations et blessures refoulées ! Que de rancœurs entretenues ! Mais le régime n’a que cure de ses nuisances, et entend poursuivre paisiblement le désastre, par tous les moyens. Les événements plutôt loquaces qui nous viennent d’autres bananeraies africaines ne font guère objets d’enseignement quelconque. Face à l’évidence, la diversion fait ici office de rempart de prédilection. La nouvelle loi électorale, encore une fois, en est une des illustrations. Par ces temps on le sait, les plateaux des médias télévisuels foisonnent plus que d’habitude des imposteurs et autres fanfarons de l’espèce, lancés à la non moins prisée mission de griotisme qui n’est rien de moins que l’autre pilier de la stratégie machiavélique du régime passé maître dans l’art de la manipulation et de la tyrannie politique et intellectuelle. Même si pour une fois les éminents du régime, sans doute dans les cordes face aux roquettes irradiantes distillées par leur ex-compagnon, s’en sont réduits à raser les murs. L’un de ces aventuriers du petit écran qui ne s’est pas encombré de délicatesse, affirmera que l’affaire Marafa prouve que le président est décidé à nettoyer le gouvernement de ses brebis galeuses et à mettre le Cameroun sur les rails de la prospérité. Droit dans ses bottes, il n’en resta pas là : — Je le connais très bien, c’est quelqu’un de bien, le président. C’est un démocrate et un homme de dialogue aux qualités exceptionnelles. Voyez-vous, c’est un grand homme d’Etat doublé d’une grande sagesse comme il en existe rarement aujourd’hui. Laissons-le travailler, et je dis aux Camerounais de continuer à lui faire confiance. Voila le genre de conneries que l’on peut rencontrer en s’hasardant imprudemment sur les chaînes de télévision nationales, publiques comme privées. Ces paroles sont bien celles d’un panéliste invité en sa qualité de politologue (excusez du peu), venu décrypter l’affaire Marafa et éclairer les Camerounais qui s’interrogent sur une affaire considérée du commun des citoyens comme étant un règlement de compte entre bourreaux de la République. Ces conneries auraient sans doute prêté à sourire si le président dont il s’agit n’est pas celui-là même qui reste agrippé à « son » fauteuil par tous les moyens, et ce depuis pratiquement trente ans ! Non, la Conférence nationale souveraine n’est pas sans objet. Badiadji Horrétowdo Ecrivain/romancier © BH/juin 2012 Email : [email protected] Site web: www.horretowdo.com




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