Emmanuel Essimi Menye: Le financier aux idées révolutionnaires

Par Dorine Ekwè | Mutations
- 23-Nov-2007 - 08h30   65800                      
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Le grand argentier garde pour l'instant la tête froide devant les sollicitations, enjeux et intérêts que charrie sa nouvelle charge...
Si le nouveau ministre des Finances est sorti de l'ombre de celui qu'il a remplacé à la tête de ce département ministériel passablement saucissonné (après avoir été pendant un an l'un de ses plus proches collaborateurs), il a encore manifestement du mal à gérer une situation qui risque fort de le contrarier pendant quelques temps. Essimi Menye se prénomme Emmanuel, mais éprouve comme un malaise à vulgariser ce prénom biblique à la signification particulière, probablement parce que les actes lui ayant permis d'entrer au gouvernement d'abord comme ministre délégué puis comme ministre plein, et frappés de la signature du chef de l'Etat en personne, lui ont collé le prénom de Lazare. En relation, semblent indiquer quelques connaisseurs du dossier, avec un autre Camerounais que l'on a connu dans le monde des arbitres de football, et qui s'appelle Essimi… Mbengue Lazare. Il devra donc se faire à ce que, jusque il y a quelques jours encore, un chroniquer expérimenté de la Crtv l'appelle, dans un compte rendu enlevé, Lazare Essimi Menye. Mais ce n'est pas la seule chose passablement gênante qu'il devra bien supporter. On l'a par exemple senti mal à l'aise dans un exercice étonnant que le parti au pouvoir a imposé à son nouveau " camarade " au palais des congrès mardi dernier : expliquer les tenants et les aboutissants du futur budget de l'Etat afin, dira un élu Rdpc, " d'éviter des débats inutiles en plénière ou en commission à l'Assemblée nationale ". On ne l'a pas encore vu en tenue du parti, mais il est désormais une " personnalité ressource " de premier plan, qui fait partie des tout premiers signataires de l'appel de la Lékié, demandant au chef de l'Etat de modifier la constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats… Une autre couleuvre que devra avaler cet homme que l'un de ses collaborateurs qualifie "d'homme de principe, parfois proche d'un idéologue", c'est la situation actuelle autour du ciment. Pour le ministre des Finances, le ciment peut être actuellement vendu à 2500 francs le sac, si tous les acteurs jouent sincèrement leur partition et quelques uns évitent de tricher. Du coup, beaucoup de gens auraient l'espoir de construire une case et l'environnement socio politique s'en trouverait plus dégagé, l'amélioration des conditions de vie des Camerounais ne passant pas seulement par une augmentation du salaire des fonctionnaires. De la même manière, soutient cet homme né il y a 56 ans à Mfomakap dans la Lékié, et qui a gardé la caractéristique de fonceur et de baroudeur généralement propre aux originaires de ce département, toutes les polémiques autour de l'augmentation du prix du pain n'auraient aucune raison d'être si on considérait que le pain n'est l'habitude alimentaire la plus prisée des Camerounais et qu'on trouvait des solutions alternatives qui permettraient aux nationaux de gagner plus d'argent et d'améliorer leurs conditions de vie… Budget Cela dit, Essimi Menye, qui a connu un autre baptême du feu à l'Assemblée nationale la semaine dernière dans la présentation du budget 2008, sait exactement dans quel environnement il évolue et qu'il aura sans doute du mal à changer certaines habitudes. Au député Roger Nkodo Dang qui l'interpellait, vendredi dernier, sur le saucissonnage des budgets des marchés publics et les sanctions encourues par les fautifs de cette pratique qui en plus, sont souvent responsables des chantiers abandonnés, il a eu cette réponse sèche : " ces pratiques étaient connues de tous et le Cameroun vit dans un environnement où la corruption a des racines profondes. Un texte administratif seul ne suffit pas pour éradiquer la corruption ". Il affirme cependant, au cours des multiples réunions qu'il préside dans son département ministériel, qu'il restera fidèle à ces idées pour provoquer un changement profond dans les habitudes des Camerounais, notamment dans leur rapport à l'argent, parce qu'il ne cherche pas à être populaire, mais à remplir une mission. Le temps passe vite. Et Emmanuel Essimi Menye doit certainement se souvenir de cet après midi de septembre 2006 lorsque, de passage au Cameroun, c'est assis à la terrasse de l'hôtel Hilton de Yaoundé (qu'il n'a pas quitté depuis lors), que le nouveau ministre délégué au Minefi chargé du Budget a appris la nouvelle de sa nomination. Il racontera plus tard : " Le personnel est venu vers moi en m'appelant Excellence. Comme c'est ainsi qu'on appelle habituellement dans cette structure, je n'ai pas eu l'impression qu'il y avait quelque chose de spécial. Mais lorsqu'ils ont dit monsieur le ministre, j'étais ému et j'ai réalisé que le chef de l'Etat a porté sa confiance sur moi ". Mais c'est dans son cabinet de ministre délégué qu'il appris qu'il était désormais le boss du nouveau ministère des Finances. Celui qui, avant le réaménagement du 22 septembre 2006, occupait les fonctions de conseiller de l'administrateur du Cameroun au Fonds monétaire international (Fmi) à Washington, doit bien savoir comment la roue de l'histoire tourne. Parce que, pendant les trois dernières années avant son entrée au gouvernement, il avait aidé à améliorer le dialogue entre le Cameroun et le Fmi. Mais avant ces hautes charges, cet homme au physique d'athlète était parti de sa Lékié natale pour l'Institut des statistiques et d'économie appliquée au Maroc. Il s'est rendu ensuite en France où il a obtenu un Dea en traitement de données, un Dea en économie de la production à Paris Dauphine, un Dea en économie à l'Institut des sciences et techniques nucléaires de Saclay. De retour au Cameroun en 1989, il a occupé diverses fonctions à la direction de la statistique. Il a ainsi réalisé le recensement des industries du Cameroun avant de se voir confier la collecte de l'information auprès des entreprises industrielles du pays. Autant de connaissances qui lui seront sans doute utile dans sa nouvelle charge, où il gère déjà au quotidien la pression, les convoitises, les peaux de bananes et toutes sortes d'enjeux financiers. Il semble pour l'instant garder la tête froide devant toutes ces préoccupations, sans doute en trouvant la force auprès de son épouse et de ses quatre enfants. Qui doivent cependant savoir qu'un poste comme celui-là, pour honorifique et prestigieux qu'il soit, n'est jamais un cadeau. Et que c'est chaque jour qui passe qu'on prépare son bilan.




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