Etat civil : La sécurisation en questions

Par | Mutations
- 23-Nov-2007 - 08h30   62974                      
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La délivrance anarchique des pièces qui y sont liées pose le problème même de la nationalité camerounaise.
Le 6 septembre 2007, en présentant ses réquisitions lors de la cérémonie de prestation de serment des exécutifs communaux des mairies d'arrondissement de Yaoundé 1, 2, 3, 6 et 7, Mme Souksouna, substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif qui officiait pour le compte du ministère public, n'avait pas manqué de fustiger " les mauvaises pratiques en cours dans le milieu communal au Cameroun et qui consistent en la signature de faux actes de naissance, parfois délivrés à des étrangers…". Toutes choses avait-elle précisé, qui " tendent à mettre en péril la nationalité camerounaise et dont les conséquences peuvent être incalculables ". Novembre 2003, les services consulaires de l'ambassade de France à Yaoundé saisissent le maire de la Commune d'arrondissement de Yaoundé 6ème pour s'inquiéter de la fréquence de la célébration par ses services de mariages entre Camerounais et ressortissants français, en violation des dispositions de l'ordonnance de 1981 qui exigent la publication simultanée de bans entre la mairie qui célèbre le mariage au Cameroun et celle d'origine de l'expatrié. Jeudi 22 novembre 2007, sur le babillard de l'une des 7 mairies d'arrondissements de la ville de Yaoundé, une note, signée par l'un des adjoints au maire, et adressée aux responsables des services de l'état civil remarque " Des renseignements constants en provenance de sources dignes de foi font état des cas de dysfonctionnement relatifs à l'arnaque des usagers observés au bureau de l'état civil ". Et le signataire de la note de continuer : "Faudrait-il le rappeler, conformément à l'article 17 (1) de l'Ordonnance n°81/02 du 29 juin 1981, l'inscription d'un acte dans le registre d'état civil est gratuit ". Dans quatre des sept mairies d'arrondissement de Yaoundé où nous avons pu nous rendre un jeudi, seules deux ont procédé à la publication de bans de mariages qui pourraient être célébrés dès le lendemain vendredi. Si ces quatre tableaux ne sont pas le quotidien des communes camerounaises, on n'y est pas très éloigné. Se faire établir un acte naissance, de mariage ou de décès est devenu la chose la plus aisée. " On nous a demandé de donner 100 francs chacun pour récupérer rapidement nos dossiers d'examen déposés ici pour la légalisation de l'extrait d'acte de naissance ". Elève en classe de Terminale et inscrit au baccalauréat, Thierry E. se trouve devant une mairie qui a à l'une de ses entrées principales une grosse plaque sur laquelle l'on peut lire " La signature de toute pièce d'état civil (naissance, mariage, décès) est gratuite". Plus loin, c'est Félix A., qui pour des raisons professionnelles affirme avoir déboursé " 75.000 francs parce que le dossier a été déposé il y a trois jours (lundi 19 novembre 2007 ndlr) " Dans ce cas, la publication des bans n'est pas utile. Le défi de la modernisation Plus grave, est le cas de ce sexagénaire qui vient de remplacer au pied levé son père comme officier dans un centre spécial d'état civil dans une petite bourgade du département du Nyong et So'o. Les actes de naissance, de mariage ou de décès sont délivrés en 10 minutes. Pour les formulaires, pas besoin d'acheter des registres pour les faire parapher au préalable au tribunal de première instance compétent. Les formulaires sont achetés " quelque part vers la poste centrale " comme il nous l'affirmera lui-même. En novembre 2003, avec l'appui de la coopération française, les officiers d'état civil des six mairies d'arrondissement que comptait Yaoundé à l'époque et ceux de la Communauté urbaine suivaient une formation qui visait à les initier à l'outil informatique. Il était question de mettre fin à l'établissement manuel des actes d'état civil. Du matériel informatique avait d'ailleurs été remis pour la circonstance aux municipalités concernées. L'idée semble avoir fait long feu aujourd'hui. Si à Yaoundé 1, on estime que le processus est arrêté en raison du changement de locaux qui a été imposé à la mairie, ailleurs, le matériel semble n'avoir jamais été utilisé. Entre-temps, l'établissement manuel des pièces continue. Avec l'appui des Gic-Santé qui prolifèrent dans nos cités et qui délivrent des déclarations de naissance à tout va. Et au grand bonheur des agents des services d'état civil dont l'un n'a pas manqué de déclarer " Nous sommes toujours très mal payés…" Peu de parents acceptent aujourd'hui de faire établir les actes de naissance dans les 30 jours qui suivent la naissance de leurs enfants. L'informatisation de l'état civil au Cameroun est à nouveau sur la table aujourd'hui à la faveur d'un séminaire de deux jours organisé par le Gouvernement. Le constat fait à l'ouverture des travaux il y a deux jours à Yaoundé est que moins de 75% des naissances sont déclarées à Douala et à Yaoundé. Quid de l'arrière pays où la délivrance de ces pièces se fait selon l'humeur du chef de centre spécial. Jean Francis Belibi

Me Faustin Ntédé : Les sanctions sont symboliques

Avocat au barreau du Cameroun, il parle des infractions liées à l'état civil dans notre pays. Quels sont les différents problèmes que pose l'état civil au Cameroun ? Les problèmes liés l'état civil au Cameroun sont malheureusement de plusieurs ordres, et sont liés à la naissance, au mariage et au décès. Vous savez en ce qui nous concerne que la plupart des naissances ne sont pas déclarées, et par conséquent, les centres d'état civil qui sont localisés dans les mairies ne sont pas saisis. Ce qui amène de nombreuses familles à chercher des voies de contournement pour faire établir des actes de naissance aux enfants, surtout quand ceux-ci doivent se faire inscrire pour la première fois à l'école, ou quand ils doivent présenter un concours. Vous avez également les actes de mariage qui sont des actes d'état civil qui sont établis sans respecter la procédure réglementaire. En ce sens, je précise que la question de l'état civil au Cameroun a été réglée par l'ordonnance n°81/02 du 29 juin 1981. Vous avez donc des gens qui choisissent de contourner les dispositions de cette ordonnance, par exemple pour déclarer les naissances de leurs hors délai ; il y en a qui vous présente des actes de naissance dont vous ne retrouverez la trace nulle part dans un registre d'état civil. Vous avez des gens qui décèdent dans nos familles, et dont personne ne se préoccupe de l'établissement des actes de décès dans les familles. Ce qui pose parfois des problèmes lorsqu'il faut ouvrir les successions dans les familles. Vous avez donc des gens qui vont à gauche et à droite pour essayer d'obtenir une pièce qui sera manifestement établie en dehors des délais légaux. Ce sont des cas, malheureusement non exhaustifs des problèmes. La multiplication des centres d'état civil à travers la création des centres spéciaux n'est-elle pas à l'origine de nombre de ces difficultés ? Vous savez, la multiplication de ces centres spéciaux d'état civil participe de la volonté des autorités politiques de mettre ce service à la disposition du plus grand nombre de Camerounais, surtout dans certaines de nos zones rurales où il n'est pas toujours évident pour les populations de se déplacer. Ce qui se comprend avec l'enclavement de la plupart de nos régions. Le problème se pose au niveau de la formation et des capacités même de ceux appelés à gérer ces structures. Je vous prends par exemple un cas qu'il m'a été donné de connaître et dans lequel l'officier du centre spécial d'état civil qui était traîné devant la barre était aveugle. Vous comprenez donc que le concerné avait de sérieuses difficultés à vérifier l'authenticité des actes qu'il signait. Il y a à mon sens une nécessité de rajeunissement et de recyclage du personnel servant dans ces structures, car nous constatons que ces gens ne maîtrisent pas toujours le cadre juridique qui est le leur et l'importance de la tâche qui leur incombe. Vous constaterez parfois que lors du décès d'un responsable de centre spécial, ou alors lorsque celui-ci est déjà physiquement diminué, il se fait simplement remplacer par son fils, qui n'a pas toujours la formation nécessaire. Les officiers d'état civil sont tenus de prêter serment avant leur prise de fonction devant des juridictions. Quelles sont les sanctions prévues lorsque ce serment n'est pas respecté ? Je crois qu'il faut surtout savoir si ces gens maîtrise même l'importance du serment qu'ils prêtent. Lorsque vous faites prêter serment à des personnes qui par la seule force d'un processus électoral, sans aucun bagage, sont appelés à être officier d'état civil, il faut savoir si ces gens capables d'assumer leurs fonctions. Ce sont ces mêmes gens qui, pour 5 000 voire 3000 francs, vont sans la moindre retenue signer un acte de naissance ou de mariage à des individus qui en font la demande. Le code pénal camerounais a prévu en ses articles 150 et 151, des sanctions liées aux registres pour l'officier d'état civil qui dans le cadre de ses fonctions viole les dispositions légales en la matière. L'article 150 prévoit un emprisonnement de trois (03) mois et d'une amende de 2 000 à 40 000 francs. Pour ce qui est de la négligence systématique, les sanctions prévues dans l'article 151 prévoient également une peine de trois (03) mois d'emprisonnement et une amende qui va de 2 000 à 25 000 francs. Vous constaterez qu'il s'agit peut être de sanctions symboliques, mais il est plus question de mettre les officiers d'état civil en conformité avec la loi. Jean Francis Belibi

Regard : Citoyenneté

Hier, s'est achevé au Palais des congrès de Yaoundé, le séminaire sur la sécurisation et l'informatisation du système d'état civil camerounais. Des exposés qui ont été présentés au cours de ces deux jours de concertation par les responsables du ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, on retient que la mise en place d'un tel système à l'échelle nationale devrait prendre au moins 10 ans! Outre l'informatisation de ce système, il a été recommandé, au terme de cette rencontre entre officiers d'état civil, la mise en place d'une structure centrale de gestion de l'état civil. De manière concrète, dans les différents centres d'état civil du pays, on assistera encore pendant dix années à des situations comme celles décrites dans le texte ci-contre où, face à une affiche qui annonce la gratuité d'un service, l'usager est cependant contraint par les employés de ce centre à payer ledit service. Devant ces agents véreux, tout étranger souhaitant acquérir la nationalité camerounaise sans passer par les canaux officiels se retrouve, en déboursant un peu d'argent, avec un acte de naissance en bonne et due forme. Ce qui conduit à la dévalorisation de la nationalité camerounaise qui s'acquiert ainsi de façon hâtive, au bout d'une ruelle. Le système d'état civil étant actuellement décentralisé au niveau des communes, il n'est donc pas aisé, de ce fait, d'assurer le contrôle efficient des données délivrées par les usagers. Ce qui ouvre la voie au faux et à la corruption à tous les niveaux de la chaîne de délivrance de ces pièces. De ce fait, il ne fait pas de doute que l'on appréciera donc les efforts effectués par le gouvernement camerounais en accélérant la mise en application des décisions prises au terme du séminaire qui s'est achevé hier. Ceci, avec l'aide de la France qui s'est engagée, à travers l'Agence française de coopération et dans le cadre du Contrat de désendettement développement (C2d), d'apporter son appui au processus. Cela permettra, sans aucun doute, à redonner confiance à ces personnes qui refusent de déclarer les naissances tant dans les principales villes que sont Douala et Yaoundé (moins de 75% de naissances déclarées) et dans les zones rurales. Et s'il est vrai que la stabilisation de l'état civil se pose donc comme un préalable à l'exercice des libertés publiques, il devient urgent d'agir et d'éviter que les résolutions prises au Palais des congrès ne moisissent dans les tiroirs. A l'exemple du système de sécurisation de la nationalité camerounaise qui a abouti au résultat suivant : plusieurs camerounais et étrangers se retrouvent avec autant de cartes nationales d'identité qu'ils le souhaitent sans que cela ne soit remarqué par les services de police. Dorine Ekwè




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