Qu’est-ce qui explique la hausse du taux de succès au bac cette année? Le Messager mène l’enquête.
Près de 60%! Le taux (provisoire) de réussite au baccalauréat de l’enseignement général, session 2006, a les allures d’un record. Il n’y a que les résultats de la session de 1998 (66,16%) pour faire mentir ce constat. En tout cas, depuis huit ans, cet examen n’a plus fait sourire autant de candidats. “On rompt peu à peu avec la sinistrose”, commente un parent d’élève. 37,32% deux ans plus tôt, 51,57% l’année dernière, … le succès va s’amplifiant. On est alors loin des 13,79% de l’année 1995, ou alors des 20,61% de la session 2002.
Mais “comment a-t-on pu avoir d’aussi bons résultats cette année alors que les enseignants sont toujours démotivés, les effectifs davantage pléthoriques et le manque d’infrastructures de plus en plus criard?” s’interroge un enseignant qui n’a pas pris part aux examens. Les quelque 60% de succès viennent-ils consolider une politique d’amélioration progressive des performances des candidats, ou alors sont-ils la conséquence de manœuvres administratives destinées à produire un taux de réussite politiquement correct?
Le tamis du probatoire
Pour Roger Kaffo Fokou, secrétaire général du Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (Snaes), l’augmentation du taux de réussite n’est pas le résultat d’une stratégie programmée d’amélioration du niveau intrinsèque des élèves. Seulement, relève-t-il, “la sélection au probatoire ces dernières années a contribué à tamiser les candidats au bac.” Depuis 2002 en effet, le taux de réussite à cet examen oscille entre 25 et 34%. “Du coup, les inscrits en terminale se sont trouvés être de meilleure qualité et ont évolué dans des effectifs acceptables”.
A côté de ces têtes bien faites, “il y a une masse de redoublants qui finissent toujours par passer”, affirme-t-on à l’Office du baccalauréat du Cameroun (Obc). Ceux-là n’ont pas besoin d’être particulièrement brillants; la routine semble leur suffire. Romuald Yoba, vingt-cinq ans, ancien élève en Tle D au Lycée d’Akwa nord qui en était à sa 3e expérience cette année, le confirme : “Je n’ai pas fourni beaucoup d’efforts cette année; je faisais les cours de répétition à certains élèves de niveau inférieure; et quand j’en revenais, je n’avais pas le temps nécessaire pour réviser moi-même mes leçons. Mais comme j’avais déjà une certaine expérience de l’examen… j’ai pu réussir.” Le cas de Romuald est probablement exceptionnel. “Je me suis concentrée sur les matières que j’ai négligées l’année dernière; en plus j’ai appris à travailler en groupe avec les camarades et cette année, j’avais des répétiteurs pour certaines disciplines”, confie Ginette Ndeme, vingt-trois ans, ancienne élève au Collège moderne bilingue des lauréats à Douala, qui affrontait le bac littéraire pour la deuxième fois.
Les “répétitions”, une règle
Le recours aux répétiteurs s’est en effet généralisé. “Nous avons compris que la résolution des problèmes des enseignants n’est pas pour demain. Ils seront mécontents pour longtemps. Par conséquent, chaque parent prend ses dispositions et cherche des répétiteurs pour ses enfants”, explique Isidore Bellè dont le fils aîné vient de décrocher son bac C. Une tendance que confirme Nathalie Ndende, dix-neuf ans, ancienne élève du Lycée de Makepe, qui composait le bac pour la première fois : “J’avais des répétiteurs en philosophie, en histoire-géographie et en langue française. Ce qui fait qu’à l’examen, face aux sujets, je savais ce qu’il y avait lieu de faire; j’avais l’impression d’avoir déjà étudié la notion et même d’avoir traité les sujets d’une autre façon; même si pendant l’année scolaire, mes notes en classes n’étaient pas bonnes.”
Au-delà de la généralisation des cours de soutien pédagogique, des “examens blancs” harmonisés ont été organisés dans plusieurs provinces pour mieux préparer les candidats. “Dans le Littoral, le délégué provincial a veillé à ce que les élèves des classes d’examen soient testés sur les mêmes épreuves et dans les conditions d’examen. Cela a eu un effet positifs sur nos élèves”, affirme Daniel Ewangue, enseignant de géographie dans une banlieue de la capitale économique. A la fin de l’année scolaire, un autre phénomène est apparu : la révision par la radio. Pendant plus d’un mois, la Crtv-poste national, de concert avec le ministère des Enseignements secondaires (Minesec), a invité des spécialistes de disciplines sur lesquelles on compose au baccalauréat : d’abord pour faire des cours synthétiques, ensuite présenter la méthodologie de traitement des épreuves, et enfin répondre aux questions de candidats. “Nous en avons sincèrement bénéficié”, témoigne Willy Kamgain, ancien élève du Lycée bilingue de Bonabéri.
Contexte:
Des circonstances qui profitent aux candidats
Erreurs sur les épreuves, situation politique du Cameroun, place de l’enseignant dans le système, … Des situations qui ont avantagé les candidats.
Les erreurs constatées sur certaines épreuves scientifiques et littéraires ont profité aux candidats au baccalauréat session 2006. Cette année comme avant, certaines épreuves comportaient des erreurs que plusieurs candidats ont observé en salle d’examen. Mais ils étaient tenus de traiter l’épreuve sans rien y modifier sans recommandations spéciales du secrétariat des examens. Les professionnels de l’enseignement qui ont accepté de s’exprimer au Messager expliquent que ces erreurs résultent d’une certaine “incompétence” des inspecteurs chargés de les confectionner. “Les enseignants font des propositions de sujets jamais retenus, expliquent-ils. Pourtant, ces inspecteurs n’enseignent pas, même s’ils connaissent les programmes scolaires ! Ils ne corrigent pas non plus les copies aux examens. Conséquemment, c’est généralement après les corrections et les pré délibérations des ‘jurys témoins’ qu’ils prennent connaissance des dérives observées et l’Obc essaie alors de sauver les meubles soit en pondérant les notes, soit en les modulant.”
A l’analyse, Roger Kaffo Fokou, Sg du Snaes, remarque que “le phénomène des "corrigés" imposés depuis l’Obc avec tous les scandales que cela a occasionné ces dernières années a en réalité abouti à biaiser les résultats des examens par une subtile manipulation des correcteurs amenés malgré eux (quelle démission!) à donner aux copies non pas les notes que celles-ci méritent mais celles que l'Office exige. De sorte que lorsque la physionomie prévisible de l'examen laisse à désirer, il est possible d'opérer une cosmétique discrète et efficace simplement en refaisant un nouveau corrigé susceptible de corriger les données initiales: simple comme bonjour!”
L’échec, une exception ?
Dans un entretien récent avec Le Messager, le directeur de l’Obc, Zacharie Mbatsogo, affirmait que “les gens sont habitués à l’échec” dans un processus répressif comme celui en vigueur dans le sous-système éducatif francophone. “Or on enseigne un enfant pour qu’il réussisse ; l’échec ne devrait être qu’une exception. A l’évaluation, dès que l’élève a donné la preuve de ce qu’il sait, pourquoi le torturer ; l’examen n’est pas un piège… Il s’agit simplement d’évaluer ce que l’élève sait de ce qu’on lui a enseigné.” Mais pour obtenir le comportement souhaité, un certain nombre de conditions doivent être réunies : ce que déplorent les enseignants, surtout les syndiqués, dans le contexte camerounais.
Qu’à cela ne tienne, certains parents persistent dans la croyance que les résultats sont souvent politisés. “On vit une sorte de chaos politique où tous les leaders sont comme neutralisés et, dans sa logique de conservation du pouvoir, le chef de l’Etat qui est désormais le seul maître politique régnant, ne souhaite plus voir un leader émerger. Or ceux-ci ne surgissent que l’instant d’un mouvement d’humeur, de mécontentement, de contestation ou de protestation. Et l’échec à cet examen sur lequel les parents investissent beaucoup désormais, peut préparer le terrain à un tel soulèvement. D’où la nécessité de s’arranger pour que le succès soit au rendez-vous”, démontre un homme politique sous anonymat. Quel crédit accorder à cette thèse ?
L’enseignant dans le système
Le succès des candidats au bac à un moment où les enseignants restent démotivés pose le problème de la place de ces derniers dans le système. Si les élèves travaillent de mieux en mieux avec des enseignants mécontents et démotivés, il devient plausible que la solution aux problèmes de ce corps cesse d'être une urgence. Et un syndicaliste conclut rapidement : “Pour être un tantinet cynique, on pourrait presque dire la chose suivante: ‘puisque plus les enseignants sont mécontents mieux les élèves travaillent, pourquoi ne pas travailler à rendre ces enseignants de plus en plus mécontents ?’ N'est-ce pas là, logiquement, la manière la plus sûre de s'assurer des meilleurs résultats pour notre école sans bourse délier?” A chacun de voir.
Sauf que les répétitions (payantes) auxquelles la majorité d’élèves est aujourd’hui abonnée sont surtout dispensées par les mêmes enseignants. Peut-on supposer que ces derniers se paient eux-mêmes ou alors arrondissent leurs fins de mois avec ces cours extra… ? Par ailleurs, l’assouplissement des conditions de délibération pose le problème du niveau des nouveaux bacheliers, malgré les explications des professionnels de l’évaluation. Comment s’organise le système pour leur permettre de rattraper ?