Son Eminence le Cardinal Christian Wiyghan Tumi a eu 75 ans le 15 octobre de cette année. L’âge indiqué pour prendre une retraite paisible et bien méritée après environ quarante années passée au service de Dieu, de l’Eglise catholique et des hommes...
C’est avec beaucoup de plaisir et de sérénité que l’archevêque de Douala a accepté de répondre aux questions de La Nouvelle Expression. Il parle de sa vie de prêtre, d’évêque, d’archevêque et de cardinal. Ainsi que de son pays qu’il aime tant. Le cardinal Tumi esquisse un bilan de sa gestion, évoque des souvenirs et se prononce également sur des sujets d’actualité. Il apporte surtout un éclairage sur l’état de ses relations avec les régimes des présidents Ahmadou Ahidjo et Paul Biya. Lisez plutôt.
Entretien mené par Edmond Kamguia K.
Plus de 39 ans de sacerdoce, plus de 25 ans d’épiscopat et plus de 17 ans de cardinalat. Le cardinal Christian Tumi est-il un homme comblé ?
Oui. Je suis un prêtre comblé. Quand je regarde ma vie de prêtre, d’évêque et de cardinal, je suis satisfait. J’ai toujours essayé d’agir du mieux que je peux, de faire de mon mieux. Aussi bien en ce qui concerne la pastorale que proclamer l’évangile et faire l’appel à la conversion. En m’adressant à ceux à qui l’Eglise m’a envoyé.
Vous êtes arrivé à la tête de l’Archidiocèse de Douala au cœur des années de braise, en 1991. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
J’ai été installé à Douala le 28 septembre 1991. Je dois dire que j’ai été étonné de ma nomination à Douala. J’étais archevêque de Garoua. Je ne m’attendais pas du tout à cela. Je dois également reconnaître que j’ai accepté cette nomination sans hésitations. Je suis très heureux de l’expérience que j’ai eu ici à Douala. Avec les prêtres et les laïcs. J’ai bénéficié de la collaboration de tout le monde. Si je quitte l’Archidiocèse de Douala aujourd’hui, ce sera en tant qu’archevêque heureux. Je suis arrivé à Douala comme pasteur dans un contexte précis. Il y’avait des évènements socio-politiques importants. Je ne me suis pas mêlé de ces évènements. Bien sûr qu’en tant que citoyen, je ne pouvais pas me dérober à mon devoir. Je ne pouvais ne pas m’intéresser à ce qui se passait. L’évêque est le pasteur de tout le monde. La vie des gens m’intéressait. Il y’avait des problèmes. Et ces problèmes avaient des répercussions sur l’Eglise.
En avez-vous tiré des leçons ? Si oui lesquelles ?
La principale leçon à tirer c’est que dans toute gestion des personnes et des biens dans l’Eglise, il faut la collaboration de tous et la transparence. Mais tout cela ne suffit pas. Il faut en plus l’honnêteté dans la gestion. Celui qui gère doit toujours être prêt à passer la main, à tout moment. On doit gérer les hommes et les biens de manière à être disposé à partir quand sonne l'heure de votre remplacement. C’est pourquoi, si je devais quitter même aujourd’hui l’Archidiocèse de Douala ou dans les jours à venir, je ne m’inquiéterai pas. J’estime avoir bien fait mon travail. Le comptable et le contrôleur des finances sont là. En mon absence, ils peuvent rendre fidèlement compte à mon successeur. J’ai pris des dispositions pour laisser à mon successeur une situation plus aisée que ce que j’ai trouvé à mon arrivée. Si je suis parvenu à réussir, c’est grâce à la collaboration de tout le monde dans l’Archidiocèse : les prêtres, le conseil des affaires économiques, les paroisses et l’ensemble de l’Archidiocèse.
Vous avez eu 75 ans, le 15 octobre, dernier. Visiblement, vous avez préparé votre départ à la retraite. Envisagez-vous la désignation d’un nouvel évêque auxiliaire, d’un évêque coadjuteur ou d’un autre archevêque ?
J’ai déjà déposé ma demande pour aller en retraite. Conformément aux canons 401, paragraphe 1 qui disent que quand un évêque atteint l’âge de 75 ans, il renonce à son office d’évêque. Il écrit au pape pour le lui signifier. Et il revient au pape de décider en toute liberté et souveraineté. Il y a des cas où le pape dit “ attends un peu, on va voir ! ”. Je suis prêt à toute éventualité. Je dirai à mon supérieur hiérarchique, le pape, que même si je jouis d’une santé relative à 75 ans, je ne peux pas agir avec la force de quelqu’un qui a 50 ans. Si le pape me permet de partir, je me retirerai heureux. Satisfait du travail accompli. Pour le bien de l’Eglise, il est bon que les jeunes puissent prendre la relève.
C’est pour quand la relève et avec quel évêque ?
Je ne peux pas vous dire quand exactement. Mais, cela ne saurait tarder. Le moment venu, c’est le Saint-Siège qui va lancer l’enquête pour trouver mon successeur. Je sais que le Saint-Siège est en train de faire l'enquête pour trouver, notamment, un évêque auxiliaire d’ici peu de temps, avant que je me retire. Un évêque auxiliaire qui va m’aider dans mes charges avant mon départ. Cela ne veut pas dire que l’évêque auxiliaire va me succéder. Car, un évêque auxiliaire n’a pas le droit de succession.
Pouvez-vous dresser un bilan de vos activités au sein de l’Archidiocèse de Douala ?
L’Eglise est une réalité. C’est-à-dire qu’elle est à la fois spirituelle et visuelle. L’Eglise est visible et invisible. En ce qui concerne la vie spirituelle et matérielle de l’Archidiocèse de Douala, j’ai toujours mis l’accent sur les rencontres et les échanges. Quand je suis arrivé à Douala, j’ai d’abord convoqué un congrès diocésain avec les participants de toutes les paroisses, pour que les fidèles réfléchissent ensemble sur la vie spirituelle et matérielle de l’Archidiocèse. Je crois que ce congrès s’est déroulé en 1992. A la suite de ce congrès, nous avons organisé un autre pour les jeunes en 1997. Notre but était de voir comment situer Ecclesia in Africa dans le cadre de notre Archidiocèse. Mgr Dieudonné Bogmis, qui était alors évêque auxiliaire, et moi-même avions publié un guide pastoral où nous parlions de la vie spirituelle et matérielle de notre diocèse, et au sein même des paroisses. Spirituellement, avec la collaboration des uns et des autres, nous avons fait et continuons de faire de notre mieux. Ce qu’on voit, c’est l’expression de ce qu’on ne voit pas. Si le chrétien n’a pas une foi solide, rien ne se réalise dans la communauté. Les réalisations sont nombreuses et bien visibles dans l’Archidiocèse. Depuis que je suis archevêque de Douala, nous avons entrepris la construction de 11 nouvelles églises. J’en ai consacré 3. Avec l’aide du Saint-Siège, ces églises sont construites dans la philosophie de “ l’autosuffisance locale ” ”. C’est-à-dire que les fidèles sont encouragés à participer à leur édification. C’est une véritable fierté de constater que ces églises en construction son principalement l’œuvre des prêtres diocésains et des fidèles. Si les fidèles s’engagent ainsi dans la réalisation de projets, c’est sans doute l’expression de l’agrandissement de leur foi ; ou encore l’expression du sérieux du travail pastoral que font les prêtres. Une fidèle m’a dit un jour : “ monsieur le cardinal, je vois que vos prêtres diocésains travaillent bien ! ”. La création de nouvelles paroisses révèle enfin la vitalité et le progrès spirituel de l’Archidiocèse. Au cours des deux dernières années, huit nouvelles paroisses ont été créées. J’ai fondé deux collèges. D’abord le collège Saint Charles Borromée et maintenant le collège internat Notre-Dame des Nations qui vient d’ouvrir ses portes. Je crois en l’enseignement catholique, aujourd’hui plus que jamais. J’ai compris que les parents veulent une éducation intégrale de leurs enfants. Ma préférence va pour les collèges internats parce que les enfants s’aiment indifféremment, quel que soit l’origine d’un camarade ou d’une camarade de classe. Voilà brièvement la situation de l’Archidiocèse. Je ne dis pas que tout est parfait. Mais le travail progresse. J’espère que mon successeur poursuivra cette œuvre. Chacun vient et apporte sa contribution au vaste chantier du développement de l’Archidiocèse.
On raconte que le domaine communicationnel vous tient le plus à cœur. Radio Veritas est-elle le couronnement de vos actions dans ce secteur ou faut-il s’attendre à d’autres réalisations ? La télévision est-elle en route ?
C’est exact que la communication est très importante. J’accorde une bonne place à ce domaine. Je ne suis pas journaliste, mais j’ai enseigné des journalistes. Je crois en ce que l’Eglise appelle l’apostolat des plumes. Aujourd’hui, on peut parler de l’apostolat de la parole entendue pour signifier la presse orale, la radio. C’est pourquoi, j’ai tout fait pour doter l’Archidiocèse de Radio Veritas. C’est-à-dire la radio de la vérité. La vérité seule libère tout homme. C’est un formidable instrument au service de l’Eglise. Beaucoup de chrétiens et non-chrétiens apprécient cette radio et le disent à travers des témoignages. L’autre jour, j’étais chez mon dentiste qui m’a montré les notes qu’elle prend lorsqu’elle suit Radio Veritas. Il y’a un protestant, ami à moi qui est devenu catholique, grâce surtout aux émissions sur la Vierge Marie. Il m’a avoué que ces émissions l’ont beaucoup aidé. Grâce à elles, il a vu la place de la Vierge marie dans l’histoire de notre salut. A vrai dire, les fruits de radio Veritas sont arrivés plus tôt que je ne pouvais l’imaginer. Les attentes ont été rapidement comblées. Comme instrument pastoral, Radio Veritas a des effets sur la vie pastorale des chrétiens de l’Archidiocèse. Il m’a été rapporté que de nombreux chrétiens ont été comblés de joie, en suivant Radio Veritas toute période pendant laquelle a été organisé le premier congrès eucharistique diocésain. Je n’ai pas de projet de télévision. Je laisse aux autres le soin de poursuivre si possible, dans cette voie. La télévision est une machine lourde qui coûte chère. Nous avons cependant sur place une structure (Videopro) qui s’occupe d’un aspect pas très éloigné de la télévision. Je me souviens encore des échanges que j’ai eus avec le diocèse de Bergame, en Italie. C’est un diocèse qui a une expérience des trois médias : la presse écrite, la radio et la télévision. Cependant, la recommandation était pour la Radio.
Comment gérez-vous l’avènement des sectes et des églises dites réveillées qui détournent les chrétiens de l’Eglise catholique ?
Je dis aux fidèles de l’Eglise catholique : “n’ayez pas peur des sectes”. Nous devons avoir peur de notre infidélité à la parole de Dieu. Nous ne devons pas avoir peur de ce que j’appelle les nouveaux mouvements religieux. Rappelez-vous que l’Eglise Catholique était autrefois considérée comme une secte par rapport à la religion juive. Notamment à ses débuts. Les apôtres étaient persécutés pour cela. Ils étaient traduits devant le Sanhédrin. Le tribunal religieux des juifs de la Palestine Antique composé de notables et de docteurs de la Loi. C’est dans ce tribunal que les apôtres étaient jugés. Un certain Gamaliel dit un jour à ses collègues juifs, laissons ces gens-là -les apôtres- tranquilles. Si ce qu’ils font est de Dieu, nous allons constater que nous luttons contre Dieu. Si ce n'est pas de Dieu, il va disparaître de lui-même. L’Eglise a survécu. Vous verrez que beaucoup de ces nouvelles églises commencent à disparaître. Tandis qu’elles proposent le pain aux chrétiens, nous proposons la croix de Jésus-Christ. Qui a dit que : qui m’aime porte sa croix tous les jours et me suit.
La parcelle de terrain de l’Archidiocèse de Douala, sur laquelle le Pari mutuel urbain du Cameroun (Pmuc) construit un grand immeuble face à la poste d’Akwa, continue de susciter la controverse sur la motivation de l’Eglise catholique à pactiser avec les jeux de hasard qui symboliseraient le diable.
Qui suis-je pour juger les autres? Je ne juge personne. J’ai la conscience tranquille. Les gens mettent en avant les jeux de hasard. Ce n’est pas absolument interdit par l’Eglise catholique. Nous ne sommes pas allés contre l’Eglise. Ce bout de terrain n’est pas cédé. Il est loué au Pmuc pour construire ses bureaux. D’ici 60 ans, le bâtiment va revenir à l’Archidiocèse. Dans 60 ans, je ne serai plus là ! Je serai bientôt à la retraite. Il y a un membre du conseil des affaires économiques qui était farouchement opposé à ce projet. Aujourd’hui, ce même membre reconnaît que c’est une bonne affaire pour l’Eglise. Le Pmuc doit donner à l'Archidiocèse chaque année 38 millions. Ceci pendant 60 ans. Dans la répartition de cette somme de 38 millions de francs Cfa, il y a 18 millions pour la location de terrain et 20 millions pour les activités socio-caritatives de l’Archidiocèse. Il y’a un autre fidèle qui m’avait également approché pour s’indigner du contrat avec le Pmuc. Il a dit qu’il proposait un projet de 36 milliards de francs Cfa, consistant en l’élevage de la volaille. Sur une surface de 200 hectares que nous ne disposons pas. Il a dit qu’il ferait venir des experts Sud africains pour examiner le projet sur place. Ce monsieur est porté disparu jusqu’aujourd’hui ! Les Sud africains dont il a parlé ne sont jamais arrivés. Je ne regrette rien par rapport au contrat signé sur la parcelle de terrain que vous évoquez. Je me félicité plutôt du bien que cela va procurer à l’Archidiocèse. Vous pouvez être certain d’une chose. Ma conscience est tranquille.
Vos relations avec le pouvoir ont toujours été difficiles. Peut-on savoir pourquoi on vous considère comme l’aumônier des opposants ou le cardinal rebelle ?
Mes relations avec le pouvoir ne m’ont jamais inquiété. Peut-être qu’elle sont difficiles de leur part. Je ne connais pas mes ennemis. Tout le monde vient me voir ; je reçois tout le monde. Les citoyens ordinaires, les gens du pouvoir et de l’opposition. La première personne qui m’avait dit que je m’intéressais à la politique était mon évêque. Mgr Julius Peeters, ancien évêque de Buea qui m’avait ordonné prêtre le 17 avril 1966 à Soppo (Buea). Je lui avais tout simplement fait cette observation : “ Pourquoi il continue à envoyer les séminaristes en formation au Nigeria alors que nous disposions déjà d’un grand séminaire à Nkolbisson ? ” J’ai rencontré l’ancien président Ahmadou Ahidjo. On a eu des divergences d’opinions au sujet de l’islamisation par la force au Nord du pays. Quand j’étais évêque de Yagoua, j’ai tenu à lui faire savoir que la constitution respecte le droit de tout Camerounais de choisir librement sa religion. Notre constitution disposait déjà que “ La liberté du culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis ”. Et que “ nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyances en matière religieuse, philosophique ou politique ”. Inspirée de ces extraits de la constitution, ma lettre pastorale de 1981 n’avait pas plu au président Ahidjo. Avec son successeur, le président Paul Biya, je n’ai jamais eu de tension. Mais, j’en ai eu avec des gens de son entourage. Je pense à l’ancien gouverneur et ancien ministre de l’Administration territoriale Ferdinand Koungou Edima. Il n’avait pas apprécié une interview que j’avais accordée à Jeune Afrique Economie et tenté de me donner des leçons. Je lui ai dit qu’on ne doit pas confondre ce que je dis en tant que pasteur et mes opinions en tant que citoyen. Il y’a également le ministre Jacques Fame Ndongo, quand il était au ministère de la communication. Il avait entrepris de fermer radio Veritas qui faisaient des essais, comme toutes les autres radios. Je me suis directement adressé au président de la République, qui m’a lui-même donné l’autorisation d’ouverture de la radio. A tout les deux, j’ai adressé mes remerciements. Au président Paul Biya, pour avoir débloqué la situation, au ministre de la communication pour m’avoir fait parvenir les documents. J’ai rencontré le chef de l’Etat pour la dernière fois lors des obsèques du pape Jean Paul II, à Rome. On s’était d’ailleurs embrassé. Mais, nos rencontres sont rares. Quand je demande quelque chose à l’Etat, je l’obtiens généralement. Par exemple des exonérations, du terrain pour des œuvres sociales, des autorisations de création et d’ouverture d’établissements scolaires, etc. Mais, je précise que nous construisons les établissements avec nos propres moyens. J’envisage d’écrire un livre sur mes relations avec les deux régimes. Celui du président Paul Biya et celui de son prédécesseur. Mes relations en tant que pasteur.
Avez-vous également songé à vos mémoires ?
Non. Il est plutôt commode pour les laïcs d’écrire leurs mémoires. Dans l’Eglise, les choses se passent autrement. Surtout lorsque l’on occupe des fonctions comme les miennes dans la hiérarchie de l’Eglise catholique. Il y’a beaucoup de contraintes, et de réserve qu’un cardinal, électeur de pape, doit observer.
Devenir président de la République vous a-t-il tenté à un moment donné de votre vie ?
Non. Pas du tout. Depuis que je suis prêtre, je n’ai jamais participé à une réunion d'un parti politique. Et, je ne le ferai jamais.
44 ans après la réunification, le problème anglophone se résume-t-il au retour au fédéralisme ou à la sécession ?
Au fédéralisme, je crois. Il y’a un problème anglophone dans ce pays. On ne peut pas le nier. Il faut laisser les gens s’exprimer. Ce qu’il faut, c’est le dialogue. Quand on dialogue, on résoud beaucoup de problèmes. L’un des acteurs qui se font entendre à l’approche du 1er octobre de chaque année m’a dit ceci : “ nous posons les extrêmes pour qu’on nous ramène au milieu. ” C’est difficile d’admettre la secéssion. Le fédéralisme est possible. L’expérience de la fédération est intéressante à travers le monde entier. Le meilleur exemple, ce sont les Etats-Unis, avec les gouverneurs élus. Dans une fédération, la compétition entre les Etats fédérés ou les régions constitue un stimulant pour le développement. La constitution en vigueur a prévu depuis bientôt dix ans une décentralisation qui n’est pas appliquée. Si au moins, les choses avançaient dans le sens d’une décentralisation effective, on n’en serait peut être pas là aujourd’hui. En 1993, la All anglophone conference (Aac) s’est tenue à Buea dans la perspective du “ large débat national ”. Le vrai débat n’a pas eu lieu. C’est plutôt un débat par fax et par téléphone qui a été organisé. A aucun moment, on a tenu compte des propositions formulées par les Anglophones. Les positions se sont radicalisées. Aujourd’hui, ce sont les jeunes qui sont les plus actifs dans les mouvements de revendications. Ils ont moins de 40 ans et sont très déterminés. Les sentiments de marginalisation et de frustration s’accentuent avec la conviction que les anglophones ne jouent que les seconds rôles. Le premier Ministre du Cameroun n’a pas les mêmes pouvoirs que son homologue de la France. Certains ministères et certaines sociétés d’Etat n’ont pratiquement jamais été dirigés par des Camerounais de l’autre rive du Moungo, etc.
Dix ans après “ Ecclesia in Africa ”, peut-on dire que le message de feu pape Jean Paul II est passé ?
Oui, on peut le dire. Le message est passé. Les documents ont été bien distribués. “ L’exhortation post-synodale Ecclesia in Africa ” est probablement le document synodal le plus connu et le plus cité chez nous. Peu de gens peuvent parler avec aisance des autres documents synodaux. On essaye de mettre en application les propositions contenues dans Ecclesia in Africa. Il y’a désormais le fait que les diocèses doivent compter sur leurs propres moyens. C’est dans ce sillage que nous avons mis sur pied un foyer des jeunes de l’Université de Douala ; avec des chambres d’étudiants en location. L’investissement dans l’immobilier est une nécessité pour devenir autonome ; nous avons obtenu des hangars qu'on a mis en location au port. Nous encourageons les paroissiens dans les zones rurales à s’impliquer dans l’activité agricole, afin de contribuer à l’autonomie de leur paroisse. Au niveau de l’inculturation, j’ai envisagé la mise sur pied d’une commission mixte pour qu’on voit comment transmettre l’évangile à Douala. En tenant compte des valeurs en accord avec la parole de Dieu. Cela concerne toute la communauté chrétienne. Douala est une très grande agglomération. Une ville cosmopolite avec un mélange de cultures. Le défi est de traduire la plupart des textes en langue Douala et de faire en sorte que les traductions soient homologuées. L’inculturation est une priorité pour l’enracinement de l’évangile en Afrique.
Le pape Benoît XVI a été traité tantôt de grand inquisiteur, de conservateur et tantôt de fondamentaliste chrétien. Comment appréciez-vous ses premières actions, positions et déclaration ?
Le pape Benoît XVI est un savant. C’est également un théologien et un philosophe. C’est un expert en théologie qui ne peut accepter n’importe quoi. Jeune théologien, il était au concile vatican II. Il y’a des choses sur lesquelles le pape ne peut rien faire. Surtout si cela concerne les lois de Dieu. Le pape n’a pas le pouvoir d’aller à l’encontre de la volonté de Dieu. Par contre, il a le pouvoir de modifier les lois de l’Eglise, en tant que législateur suprême sur les lois de l’Eglise. Mais, il ne peut modifier les lois de Dieu où Dieu lui-même est le législateur. Il me plaît de rappeler que le pape Benoît XVI a été pendant longtemps, sous son prédécesseur, le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi. Il était en même temps président de la commission biblique. C’est-à-dire, selon moi, le catéchiste de l’Eglise catholique. Le pape Benoît XVI fait bien son travail. Il n’est pas là pour divulguer ses opinions au monde. Mais la foi en Dieu vécue, célébrée et priée. Il n’a pas d’option. Je suis heureux que les opinions commencent à changer sur le pape Benoît XVI. Les gens apprennent à mieux le connaître à travers ses actes, ses positions et son enseignement. C’est bien ainsi.
Quelle image aimeriez-vous que les Camerounais en général et les fidèles de l’Eglise catholique en particulier gardent de leur premier cardinal ?
Je souhaite que la question soit posée au Camerounais. J’aimerai savoir ce que mes compatriotes retiennent de leur pasteur. Demandez leur plutôt de se prononcer là-dessus. Certains disent que je suis un politicien. Beaucoup commencent à mieux me connaître.
Votre Archidiocèse est le seul au Cameroun à avoir eu l’idée d’organiser un congrès eucharistique diocésain pour clôturer l’année eucharistique. Quelle a été votre motivation ?
J’aime les rencontres. Quand le pape m’a nommé évêque de Yagoua, la première chose que j’ai faite quand je suis arrivé là-bas a été d’organiser un congrès. J’ai agis de la même façon quand je suis arrivé à Garoua comme archevêque. Ainsi qu’à Douala. C’est important que les gens se rencontrent et se parlent pour aller dans la même direction. On apprend beaucoup à travers les échanges. Au sujet de l’année eucharistique que vous avez évoqué, on a procédé par des congrès paroissiaux et des zones. Ensuite, il y a eu le congrès eucharistique diocésain dont j’ai personnellement présidé la messe solennelle d’ouverture le 26 septembre 2005. Mgr Eliseo Antonio Ariotti , Nonce apostolique au Cameroun et en Guinée Equatoriale est venu à Douala présider le 1er octobre dernier la messe solennelle de clôture de ce congrès eucharistique diocésain. Je voudrais à nouveau lui témoigner ma gratitude. J’ai appris que ce congrès a eu beaucoup d’effets positifs. Il semble que le nombre de fidèles augmente dans les paroisses de l’Archidiocèse.
Votre opinion sur les jeunes prêtres friands de mondanités et peu respectueux des vœux de chasteté et de pauvreté ?
Il revient à chacun d’entrer en lui-même ; pour être un bon prêtre je fais de mon mieux. On peut les accuser faussement. Lorsqu’un prêtre est accusé, je l’invite et lui pose la question pour savoir si ce que l’on raconte est fondé. Si le prêtre concerné me dit non, je le crois. S’il ment, il aura des problèmes avec Dieu. Il y’a un philosophe qui dit : “ je suis ce que je suis quelque soit ce que l’autre crois que je sois : ”. C’est une phrase à méditer. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de défaillances. L’attirance pour la femme n’est pas détruite chez un prêtre. Mais celui-ci doit être capable de se maîtriser. Tout comme les jeunes avant le mariage à qui l’on exige la chasteté. Il y a une mauvaise mentalité qui consiste à imaginer forcément des relations sexuelles lorsque l’on voit un garçon et une fille marcher ensemble. Ils peuvent avoir des intentions pures. Ils peuvent faire des retraites de discernement. Je reconnais qu’il y a des défaillances chez certains prêtres. Je dis à mes prêtres de ne pas fréquenter particulièrement les familles où il y a beaucoup de filles, d’éviter de prêter le flanc à la critique et aux commérages. Je leur demande de faire attention, de visiter toutes les familles, de ne pas s’exposer dans des situations gênantes. Par exemple, le fait d’être dans sa voiture avec une femme. Je vais vous raconter une anecdote. Ma sœur qui vient de décéder (paix à son âme !) et moi-même avons été souvent ensemble. Je me rappelle qu’un jour, on nous a vu dans la même voiture. A l’époque, ma sœur était encore jeune et très belle. Les gens qui ne nous connaissaient pas se sont mis à raconter des choses que vous pouvez imaginer. Jusqu’à ce qu’ils se rendent compte qu’elle était effectivement ma véritable sœur. C’est pour vous dire que les accusations ne sont pas toujours basées sur la vérité. Il y a des prêtres qui sont des saints selon mon jugement. Si certains d’entre eux sont défaillants et que cela provoque une indignation, c’est parce que la majorité fait preuve de sérieux en respectant les vœux.
Vos meilleurs souvenirs de prêtres, d’évêque, d’archevêque et de cardinal. Ainsi que vos regrets.
Mon meilleur souvenir de prêtre, je l’ai vécu au grand séminaire de Bambui, en tant que fondateur, recteur et enseignant. Je formais et j'étais formé en retour. Comme évêque, c’est lorsque j’arrive à Yagoua. En dehors d’un prêtre local, tous les autres missionnaires étaient des Européens. Ce n’était pas facile au début. C’est une expérience qui marque quand on vient d’être nommé et ordonné évêque. Cependant, il y a un prêtre de la communauté des Oblats qui m’a dit un jour, en 1981, que je serai le premier cardinal au Cameroun. Je n’avais pas pris cette déclaration au sérieux. Plus tard, quand j’étais archevêque à Garoua, un prêtre m’a fabriqué un logo en utilisant la couleur rouge. Je n’étais pas encore cardinal. Je lui ai exprimé mon mécontentement. J’étais choqué. Il m’a dit de garder ce logo, qu’on ne sait jamais. Je n’ai pas utilisé ce logo, mais un jour le pape Jean-Paul II m’a créé cardinal ! Une autre chose que je n’oublie pas de mon passage à Garoua, c’est la distance entre l’archevêché et les paroisses. En moyenne 400 km qu’il fallait parcourir en aller et retour. Il y’avait quelques prêtres français et beaucoup de missionnaires polonais dont j’appréciais la rigueur dans le respect des traditions de l’Eglise. L’expérience la plus difficile est celle vécue à Douala. Il semble que mon affectation à Douala, ville réputée rebelle n’a pas été appréciée par le régime en place, qui était contre. Ma réputation d’"aumônier des opposants ”, de contestataire en était pour quelque chose. Ma nomination comme archevêque de Douala a été considérée par certains dignitaires du régime comme une bénédiction pour l’opposition. Tout ce qui s’est passé par la suite ne peut donc surprendre… Le seul regret que je note c’est la décision que j’ai été obligé de prendre contre un prêtre : la suspension. C’est une expérience malheureuse pour un évêque quand il doit suspendre un prêtre. Je ne l’avais jamais fait.
Quel regard jetez-vous sur le chemin parcouru par le Cameroun pour devenir un pays respectueux des droits de l’homme, des libertés et des principes de la démocratie ?
Dans ce domaine, il reste beaucoup à faire pour respecter les droits de tout Camerounais. C’est à l’Etat qu’il incombe la responsabilité première de veiller à ce que les droits de tous les Camerounais soient respectés. L’Etat doit être plus vigilant que les autres institutions. Cette vigilance de l’Etat n’est malheureusement pas évidente. Les gens se plaignent d’aller en retraite sans avoir la possibilité de percevoir leur pension. Nos prisons sont pleines de prévenus. Des personnes qu’on retient prisonniers pendant des mois et des années alors qu’elles n’ont pas été jugées. La commission justice et prix de l’Archidiocèse de Douala, comme celle d’autres diocèses, fait tout ce qui est en son pouvoir pour que ces personnes comparaissent enfin devant les tribunaux. Pour répondre du délit pour lequel ils sont détenus, connaître leur sort, savoir s’ils sont coupables ou non aux yeux de la loi.
Etes-vous optimiste ou pessimiste sur l’avenir de l’Eglise catholique du Cameroun d’une part, et d’autre part sur l’avenir du Cameroun ?
L’Eglise catholique du Cameroun progresse bien. La création des diocèses est un bon signe. Tant au niveau du nombre qu’au niveau de la foi. Il y a de plus en plus de baptêmes et de confirmations. Je ne peux pas vous donner des statistiques. Mais il faut savoir que chaque baptême est un pas en avant. La majorité des prêtres est constituée de prêtres diocésains. Les laïcs s’engagent beaucoup plus aujourd’hui que par le passé. Les vocations religieuses constituent également un signe de maturité dans l’Eglise. Les personnels augmentent chez les prêtres, religieux et religieuses. La qualité de leur formation s’améliore. Je peux vous dire que nos prêtres que nous formons au Cameroun peuvent travailler à n’importe quel point de la planète. Ils peuvent exercer le sacerdoce partout, parce que dans l’Eglise locale se réalise l’Eglise universelle. On les forme avec l’ouverture missionnaire. Nous avons un prêtre de l’Archidiocèse de Douala qui est curé d’une paroisse au Canada. D’autres travaillent dans des paroisses en Europe, notamment en France. En ce qui concerne le Cameroun et son avenir, je dirai que quelque soit la situation, il faut éviter la guerre. En guerre, il n’y a pas de vainqueur. Regardez les conséquences des conflits dans les pays limitrophes du Cameroun et dans les pays de la sous-région. Ce sont les innocents qui souffrent. A ma connaissance, nous n’avons pas encore connu chez nous une année blanche scolaire ou académique. C’est un acquis à préserver. Bien sûr, les Camerounais souffrent. A l’intérieur des gens, il n’y a pas la paix. La misère gagne du terrain. Des gens luttent pour survivre. Dans la débrouillardise. Il faut que les dirigeants n’abusent pas de cette patience. Le gouvernement doit sortir les populations de la misère. Mais, les chrétiens ne doivent pas désespérer. Je demeure optimiste pour le Cameroun et son avenir.