Habillement : Lady Ponce "déshabillée" par des militaires

Par | Mutations
- 03-Sep-2008 - 08h30   85545                      
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L'artiste et ses danseuses ont fait les frais de la traque lancée contre les civils qui arborent les treillis.
Il est plus de 22 heures, ce mardi 5 août 2008 sur cette rue très bruyante qui débouche au rond point Intendance de Yaoundé. La vedette la plus en vue de la musique camerounaise de l'heure, Lady Ponce, descend d'une rutilante voiture de marque Toyota, série Rav4. Elle attire l'attention des militaires en villégiature à cet endroit, qui reconnaissent une des leurs descendre d'une si belle voiture et se rapprochent pour la reconnaissance. A leur grande surprise, il s'agit de Lady Ponce, habillée comme une soldate de l'armée camerounaise, comme ses trois danseuses, qui l'accompagnent. Elles s'apprêtaient à gagner un cabaret situé en face. " Avez-vous une autorisation de porter cette tenue ? ", lui demande l'un des trois soldats, le plus gradé. Lady Ponce panique et répond par la négative, et balbutie quelques mots : " J'ai acheté ces tenues sur le marché ", rapporte un militaire, qui faisait partie des " enquêteurs ". Les bidasses l'enjoignent alors de leur remettre les uniformes. "Il n'y a aucun doute. Ce sont nos dotations du 20 mai dernier. Elle ne peut pas avoir acheté sur le marché ", a expliqué l'un des militaires, un tantinet ironique, lorsqu'il relève que l'un des ses collègues, ému à la vue de la vedette, lui arrache son numéro de téléphone. Jointe au téléphone, Lady Ponce n'a pas voulu en parler. " Je ne veux pas de problème avec l'armée ", a-t-elle indiqué, avant de préciser, plus rassurante, que " ils ont laissé partir les filles ". Et les uniformes confisqués ? Ils ont pris la direction de l'Etat major, tout à côté, selon l'un des bidasses. Outre le cas de Lady Ponce, plusieurs autres cas de confiscation des tenues ayant trait à l'armée se multiplient dans la ville de Yaoundé depuis quelques temps. Tant chez les consommateurs que chez les commerçants. "Nous avons récemment empêché un militaire de déshabiller un jeune homme au niveau du Capitole. Nous lui avons dit que c'était un abus ", témoigne Achille N. Au marché central de Yaoundé, les plaintes sont légions. " Depuis les émeutes de février dernier, les militaires viennent confisquer tout ce qui a trait aux uniformes militaires ou des vêtements assimilables ici ", se plaint un vendeur, qui cite entre autres objets les pantalons, tricots, casquettes, chaussures, ceintures. L'une des victimes, White Shopping estime ses pertes à des centaines de milliers de Fcfa. "Le gendarme qui est venu arracher nos marchandises nous a demandé d'aller voir le chef. Ce que nous n'avons pas encore fait ". Dans la plupart des boutiques du marché central de Yaoundé ou du marché de Mokolo, dans la même ville, les uniformes militaires et autres vêtements assimilables ont presque disparu. " Les clients en demandent de moins en moins ", atteste un vendeur. Un autre, Rolain Fossouo, qui ne vend que des pantalons, dit avoir reçu plusieurs fois la visite des militaires. " Les gars procèdent par intimidation. Ils m'ont présenté un document qui n'était pas lisible. Je leur ai répondu que je n'étais pas l'importateur. Ils ont fini par s'en aller ", confie-t-il, avec un brin fierté. Or, selon un militaire, qui a préféré requérir l'anonymat, il existe un texte prévu par le droit militaire, qui régit le port illégal des uniformes militaires ou des vêtements assimilables à l'armée. " En cas de résistance, les civils concernés peuvent être traduits au tribunal militaire ", confie-t-il. Il évoque, outre des cas graves de banditisme où des civils sont habillés en treillis militaires pour commettre des délits, des cas de trafic d'influence pendant lesquels la seule tenue militaire donne droit à des services préférentiels telle la rapidité au niveau du guichet. Selon lui, le problème des uniformes ne se limite pas aux seuls militaires. Le ministère de la Défense, s'en souvient-on, a lancé une campagne de sensibilisation l'année dernière afin d'amener les civils à se passer des tenues ressemblant à celles de l'armée. Même si ces civils se plaignent de " multiples abus ". J. B. Akono & B. Missi Bikoun

Treillis : Ce que disent les textes

La loi relative aux insignes militaires est la première votée sous le règne de Paul Biya. Toute une loi régit l'achat, la vente, la confection, la distribution, le port ou la détention d'effets ou insignes militaires, dont font partie les tenues. Loi n° 82-19 adoptée par l'assemblée nationale du Cameroun et promulguée par le président de la République le 26 novembre 1982. 20 jours seulement après son accession au pouvoir le 6 novembre 1982. Cette loi interdit les différents attributs sus-évoqués " pour toute personne non autorisée ". Cette interdiction s'applique également aux effets d'habillement ou insignes susceptibles de prêter à confusion avec les effets ou insignes militaires. La loi de 82, en son article 3, précise que le port d'effets ou insignes militaires est réservé aux militaires en activité. Toutefois, les militaires en disponibilité ainsi que les prémilitaires peuvent être autorisés à porter les effets ou insignes militaires, dans les conditions prévues par le décret. En conséquence, l'article 4 prévoit des sanctions pour les contrevenants. Notamment les civils qui trouvent depuis quelques temps du plaisir à arborer les tenues assimilables aux uniformes des bidasses. Selon cet article, " est puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 50.000 à 200.000 Fcfa ou de l'une des deux peines celui qui achète, vend, confectionne, distribue, porte ou détient des effets ou insignes militaires”. La loi du 26 novembre 1982 indique qu'un décret fixe, en cas de besoin les modalités d'application. Ce texte ne précise pas la juridiction amenée à sanctionner les violations de cette loi. Même si la plupart des bidasses rencontrés estiment que les contrevenants sont traduits devant le tribunal militaire. La loi reste également muette, comme la grande muette, sur les sanctions encourues par ces soldats qui arborent de fausses tenues. Ici, seuls les autres militaires peuvent les démasquer. Et non les civils. Justin Blaise Akono




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