Le quotidien Mutations traverse une fois de plus une zone de turbulences. Menacé de fermeture par l'administration fiscale, il est en sursis par rapport aux cotisations patronales à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS).
Le quotidien Mutations traverse une fois de plus une zone de turbulences. Menacé de fermeture par l'administration fiscale, il est en sursis par rapport aux cotisations patronales à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS). Dans le même temps, l'entreprise est menacée d'expulsion des locaux de Yaoundé et Douala par les bailleurs, pour cause de non paiement des loyers. Au plan technique, le plateau totalement dégradé, le climat social à son comble avec entre autres, quatre mois d'arriérés de salaire auxquelles il faut ajouter trois mois d'une précédente ardoise, au 29 avril 2013, date de signature du préavis de grève. A vrai dire, la South Media Corporation (SMC), voulue par ses promoteurs comme le premier groupe de presse d'Afrique centrale, passe pour être un volcan en activité. Au plan de la gestion, les organes sociaux ne se réunissent pratiquement plus.
Le dernier Conseil d'Administration date du 21 janvier 2012. C'est pour aborder tous ces griefs contenus dans un mémorandum remis par le Syndicat des Journalistes du Cameroun (SNJC) au PCA de la SMC, Protais Ayangma Amang, que nous publions cet entretien avec l'ancien Rédacteur en chef et porte-parole du personnel.
Quel commentaire faites-vous suite aux décisions relevant de leurs fonctions certains personnels de Mutations dont vous-même?
En réalité, ces décisions ne méritent aucun commentaire. Sinon qu'elles sont malheureuses et injustes si nous étions dans un Etat de droit où la revendication n'est pas perçue comme un crime. Dans un pays où les gens, jadis insoupçonnés, ne couvrent pas la population d'illusions et de déconfitures. Pour tout dire, ces décisions de mon point de vue épousent le sens de la vie. La naissance prévoit la mort, la nomination, le limogeage, la réussite et l'échec. Mais encore une fois, cela doit se mériter.
Sur plusieurs stations de radio, le Directeur de la Publication de Mutations, Xavier Messe, vous a accusé d'avoir enfermé vos collègues et lui-même pour justifier ces mesures. Qu'en dites-vous?
Mitterrand disait: «tout fanatisme est quelque peu imbécile. Et une cause juste n'a pas besoin pour être de mobiliser les sots». Pas besoin donc, si la vérité se trouve de son côté, de faire le tour des rédactions pour se faire entendre. En d'autres circonstances, j'ai dit à ce monsieur pour qui, jusqu'en 2008, j'avais beaucoup de respect (le maître ayant choisi de rentrer dans le rang), qu'à 60 ans, ma bouche sera sacrée. Il n'en sortira que des choses de valeur. Pas besoin donc de mentir. Nous avons organisé un mouvement d'arrêt de travail en nous entourant des précautions prévues par la loi. La preuve, il y a eu un préavis une semaine plus tôt pour annoncer aux dirigeants de Mutations notre grève d'avertissement. Sans suite! Ce n'est que le 05 mai à 12h24 que j'ai reçu un SMS dans mon téléphone m'annonçant que le Directeur de la Publication envisageait de rencontrer l'équipe le lendemain 06 (jour prévu pour le début de la grève), après la conférence de rédaction. Chose jugée impossible et méprisante de la part de toute l'équipe réunie le dimanche 06 mai 2013, dans la salle de rédaction de Mutations à Yaoundé. Le lendemain, le Directeur de Publication, fidèle à ses méthodes, a tenté un passage en force pour tenir une réunion. Sans succès. C'est alors qu'il s'est prévalu de sa qualité de Rédacteur en Chef. Nouvel échec! Il s'en est allé à son bureau non sans menacer certains stagiaires sommés de contribuer à la confection du journal qu'il avait entrepris de fabriquer avec son clan largement minoritaire. Toute la journée durant, ils se sont livrés à cette occupation jusqu'à 18h où je l'ai enfermé avec un des stagiaires dans son bureau. Voilà la vérité.
Comment comptez-vous gérer cette situation?
Laquelle? Je suppose que vous voulez parler de l'après limogeage de Léger Ntiga de la rédaction en chef de Mutations. D'abord, il n'existe pas de situation. Depuis mon jeune âge, j'ai rêvé d'être journaliste. Tous ceux de mon enfance le savent. Je le suis. Quel épanouissement que d'avoir réussi un rêve d'enfant. Maintenant, sur le trajet, on a une carrière à mener. Elle n'a pas débuté à Mutations. Elle ne va pas s'achever dans ledit organe d'information où, il faut le dire, je n'ai pas connu que des frustrations, misères, médisances et calomnies. J'y suis arrivé jeune. Nous voici 12 ans plus tard. Donc pour moi, la décision de me relever de mes fonctions n'est pas une situation. Pour autant, il y a un passé. Il y aura forcément un avenir, parce qu'aujourd'hui, nous vivons le présent.
Pouvez-vous être plus clair...
Je vais dire que la vie ne s'arrête pas à Mutations. Elle n'y a pas débuté. Y étant, j'ai été élu à plus d'une bourse m'ayant donné l'occasion de me former à des choses qui, dans le cadre d'une activité intellectuelle, me permettent de travailler dans différents domaines. C'est dans ce cadre que je mène des activités de consultant auprès de certains organismes. Par ailleurs, j'enseigne dans des écoles de communication. Pour ne pas tout énumérer, j'ai des projets plein la tête. De ce point de vue, les possibilités de résilience existent.
Pensez-vous que quatre mois d'arriérés de salaire soient suffisants pour entraîner un débrayage?
D'emblée, je dis oui. Mais je dois préciser qu'il ne faut pas se focaliser sur les arriérés et le nombre de mois qui, de mon point de vue, est dérisoire. A propos des salaires justement, les retards ne sont pas le fait d'une crise financière au sens strict du terme. Mais d'une mauvaise gestion. D'une faute de vision. D'une cécité prévisionnelle qui fait qu'en cette fin de mois de mai, Mutations ne dispose toujours pas de dossier fiscal à jour. Comment peut-on mener ses activités dans ces conditions. Que peut-on recouvrer auprès des clients sans dossier fiscal. Voila les vrais problèmes auxquels le Président du Conseil d'Administration aurait dû s'attaquer. Sachant que la crise actuelle est la résultante d'une gestion lamentable. Tout à côté, il y un ensemble de problèmes dans la boîte. Ils sont contenus dans le mémo que le Syndicat a remis au PCA. Mais pas tous. Les confrères du SNJC ne pouvaient tout réunir au risque de produire un livre que personne n'aurait lu. Le premier problème est l'arrogance que personne ne reconnaît. Mais aussi le mépris pour les autres. Une autre chose, est la paresse et l'ignorance. Sinon comment comprendre qu'on tente d'obtenir de moi des explications le 11 mai alors que je suis relevé de mes fonctions depuis le 07 et notifié le 10. Si ce n'est pas la médiocrité, c'est quoi?
Je vais dire que Mutations fait face à des problèmes conjoncturels et structurels. Notamment parce que les comptes de 2007 n'ont pas été soldés. De replâtrage en replâtrage, nous revoici! Il faut interroger certains choix et orientations. Il faut relever l'outil. Il faut réunir les moyens dont la question date d'avant mon arrivée, il y a 12 ans. On parlait alors d'ouverture du capital. On n'y est pas sorti. Au plan social, où en est-on avec la couverture? Qu'en est-il des reclassements du personnel dont la commission n'a pas siégé une seule fois? Voilà entre autres, les raisons pour lesquelles il fallait s'arrêter. Au lieu de le voir comme cela, les gens ont parlé d'un agenda caché.
Que faut-il pour que Mutations renaisse de ses cendres?
J'aurai pu dire, le retour de tous ceux qui sont partis. Or, il est clair que, navrés, ils sont tous allés faire fortune ailleurs et ne sont pas prêts à revenir. Il reste alors la réflexion. Mais c'est un exercice qui n'est pas donné notamment à ceux qui n'en ont pas l'habitude. Lorsque vous arrivez le matin et trouvez un journal bien ou mal fait par d'autres, il est facile d'en parler même en commentant le sens contraire de ce qu'il dit. Il faut une sérieuse réflexion pour repartir. Quel est le projet qui correspond au journal demain? Comment l'adapter à l'économie actuelle des médias au Cameroun? Avec qui le faire? Le quotidien d'information au Cameroun aujourd'hui exige une certaine expérience certes, mais il demande surtout une agilité d'esprit et une disponibilité. Il faut en tenir compte. Il faut mobiliser les ressources financières nécessaires. Quand j'arrivais à Mutations, il y a 12 ans, toutes les machines étaient en réseau. En cette année 2013, la salle de rédaction ne compte pas trois machines qui marchent à peu près normalement. Rédacteur en Chef, j'ai fait 18 mois sans machine. J'ai dû mettre mes ordinateurs portables au service du journal. Avec ces moyens de N'djamena Hebdo, l'on prétend vouloir faire Le Monde! C'est utopique!
Mutations était réputée être une famille. Cette ambiance peut-elle revenir?
En ces temps-là, il y avait un esprit et des gens pour l'entretenir. D'autres diraient que c'était la belle époque. Il n'y avait alors ni clan, ni tribu, ni religion, ni chapelle. Aujourd'hui, le règne est celui des clans et de la tribu aussi bien dans le contenu que dans la gestion. C'est dommage! Cette tendance contribue à déshumaniser les gens et notamment les dirigeants qui ne pensent qu'à eux-mêmes. Ils oublient que «le peuple neuf margera la bourgeoisie épuisée de jouissance et du sang nouveau germera la nouvelle société». L'entreprise a ses lois. Elles ne s'éloignent pas de la logique de la vie adossée sur des valeurs et le respect des autres. C'est pour cela qu'il faut savoir en toute circonstance que «le pouvoir a beau terrorisé le savoir, le diamant survit toujours aux nations éteintes».