Dans une réédition de son dernier ouvrage, Mgr Christian Tumi raconte ses tribulations avec les différents régimes politiques de Yaoundé, peu enclins à souscrire à l’exigence de vérité qu’il a si souvent prêchée.

Cardinal Christian Tumi
Photo: © Archives
Dans une réédition de son dernier ouvrage, Mgr Christian Tumi raconte ses tribulations avec les différents régimes politiques de Yaoundé, peu enclins à souscrire à l’exigence de vérité qu’il a si souvent prêchée.
C’est, d’après la quatrième de couverture de l’ouvrage, une partie de ce qu’on aurait pu appeler les «mémoires du Cardinal Tumi». L’Archevêque émérite de Douala y compile la somme de ses expériences de prélat confronté aux instincts totalisants d’un système désireux de tout contrôler, y compris l’Eglise. Pour cette figure de l’Histoire récente du Cameroun (il est le seul Cardinal de l’Eglise catholique romaine que le pays n’ait jamais eu, ndlr), le ministère semble correspondre à l’histoire des libertés publiques de ce pays. D’où peut-être ce titre qui décrit bien la trame de l’ouvrage: «Les deux régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre (Eclairage)». Un tout rendu saisissant par les nombreuses anecdotes qui s’y multiplient. Comme en 1977. Alors que le Cameroun vit encore le monolithisme du premier régime, Christian Tumi, alors Recteur du Grand séminaire Saint Thomas d’Aquin des diocèses de Buea et de Bamenda, fait déjà parler de lui. Il anime un groupe de réflexion qui inspire la publication d’une lettre pastorale sur «la lutte contre la corruption au Cameroun». Cela lui vaudra, avoue t-il, sa première menace venant du Gouverneur du Nord-Ouest de l’époque. Un an plus tard à Yagoua, lorsque Evêque de la ville, il dénonce la persécution des chrétiens par des musulmans qui bénéficient de la protection des autorités administratives, il reçoit une nouvelle menace de la part du Gouverneur de la Province. Sa vie de prélat, raconte t-il, fut ainsi faite: dénonciation des injustices sociales, ripostes des autorités qui procèdent assez souvent pas des menaces et quelques fois, normalisation de la situation. «Il appartient à l’Eglise d’annoncer en tout temps en tout lieu (qu’elle soit écoutée ou non), les principes de la morale, même en ce qui concerne l’ordre social ainsi que de porter un jugement sur toute réalité humaine, dans la mesure où l’exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le salut des âmes», écrit-il.
Eduquer les consciences
Face à cette omniprésence oppressante de la puissance publique, l’éducateur qu’il est s’attèle alors à la formation des consciences. «Que l’Etat n’ait pas peur d’une parole qui est vraie. La vérité seule libère, enseigne la vertu, préserve ou guérit de la peur, de l’égoïsme et de l’orgueil, des ressentiments de la culpabilité, et des mouvements de complaisance, nés de la faiblesse et des fautes humaines», défend t-il. Cette vérité là aura été fortement mise à l’épreuve lors de l’épisode du Commandement opérationnel au début des années 2000. Cette unité spéciale chargée de réprimer le grand banditisme alors préoccupant dans la ville de Douala, s’est, d’après lui, rendue coupable d’un grand nombre d’exactions dont des rafles impromptues, des actes de tortures, de blessures graves et d’assassinats de victimes sans jugement préalable. Le sommet des exactions est atteint lorsque se déclenche l’affaire des 9 jeunes disparus de Bépanda qui auraient été tués sans que leur exécution n’ait été notifiée à leurs familles. «Mon souci pastoral est de venir au secours des innocents et de demander que la justice soit faite. Celui qui mérite le châtiment sera puni en fonction de son crime après avoir été jugé d’une façon équitable et impartiale», écrit-il dans une lettre adressée au Gouverneur de la province du Littoral. Dans cette région cosmopolite où les partis d’opposition recueillent nombre de suffrages populaires, le Cardinal est souvent taxé d’opposant. On lui prête même des ambitions de Présidence de la République. Les menaces de mort et complots dans lesquels on veut l’impliquer semblent cependant ne plus l’effrayer. Lui proclame plus que jamais le triomphe de la vérité. «L’homme de vérité respecte l’opinion de l’autre, et essaye de convaincre l’autre sans violence verbale ou physique. L’homme de vérité respecte les droits fondamentaux de l’autre. L’autre peut être un individu ou l’Etat, car l’homme, je ne vous apprends rien, est un animal qui raisonne. Nous avons en commun le pouvoir de raisonner; mettons ce pouvoir au service de la Nation. Ce n’est que dans la vérité qu’on peut construire une nation selon la volonté de Celui de qui vient toute autorité», insiste le prélat.
Serge-Lionel Nnanga
Christian Wiyghansaï Shaaghan Cardinal Tumi, Les deux régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre (Eclairage), Pitambar Publishing House Co (P) Ltd, New-Delhi, India, 2008 (deuxième édition).
Bonnes feuilles
«Une guerre civile est aussi possible au Cameroun»
Réagissant à un communiqué du ministre de la communication d’alors, Jacques Fame Ndongo, qui l’indexait entre autres pour tribalisme et incitation à la guerre, Christian Tumi eut cette réaction ci qu’il rendit publique par une lettre ouverte datée du 13 septembre 2003. Extrait.
Monsieur le ministre,
Je crois toujours fermement-vous n’êtes pas obligé de partager ma foi- qu’une des causes graves qui peuvent nous pousser à la guerre civile, ce sont les élections mal organisées. N’oublions pas les villes mortes. Plusieurs de nos compatriotes sont morts au cours de ces tristes évènements, beaucoup ont perdu leur capital économique et d’autres biens de toute sorte… La cause était à n’en pas douter, politique.
Partout en Afrique, la cause de la guerre civile que personne ne souhaite de gaieté de cœur, est toujours politique. Les mêmes causes produisent chaque fois les mêmes effets. Une guerre civile est aussi possible au Cameroun parce que les injustices ont atteint le seuil de l’intolérance.
Les frustrations dans les cœurs des camerounais sont indescriptibles. Le Pape jean XXIII que je citais ci-dessus affirmait avec clarté «Pour la pensée contemporaine, le bien commun réside dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine; dès lors le rôle des gouvernants consiste surtout à garantir la connaissance et le respect des droits, leurs conciliation mutuelle, leur défense et leur expansion, et en conséquence à faciliter à chaque citoyen l’accomplissement de ses devoirs. Car la mission essentielle de toute autorité politique est de protéger les droits inviolables de l’être humain et de faire en sorte que chacun s’acquitte plus aisément de sa fonction particulière. C’est pourquoi si les pouvoirs publics viennent à méconnaitre ou à violer les droits de l’homme, non seulement ils manquent au devoir de leur charge, mais leurs dispositions sont dépourvues de toute valeur juridique». Ne pensez-vous pas que les injustices sociales ignorées superbement par le gouvernement sont un vivier pour une guerre civile?
Quand je dis qu’une situation sociale belligérante est possible au Cameroun, cela ne veut pas dire que le Cardinal Tumi souhaite une guerre civile dans son pays. Le possible n’est pas nécessairement réalisable. Je souhaite sincèrement le contraire, Dieu m’est témoin. Je souhaite fermement la paix. Mais il nous faut éviter à tout prix les causes d’un désordre social. «La guerre, disait, un savant est un mal qui déshonore le genre humain».
Je ne veux pas la guerre; je veux la prévention à la guerre; car ses ingrédients au Cameroun ne font que s’accumuler. Toute guerre est un échec politique.
Sans la paix intérieure de l’homme, une guerre se prépare. Toute guerre commence dans le cœur de l’homme. Beaucoup de camerounais sont malades moralement. Ils souffrent, ils sont humiliés par la misère et la mendicité malgré l’admission de leur pays dans le cercle dont on a eu la «superbe» de se vanter des: «pays pauvres très endettés-PPTE»… Ils sont en guerre avec eux- mêmes. La honte morale est pire qu’une gifle infligée par ennemi. L’ennemi qui gifle, s’humilie et celui qui est giflé grandit. En face de la misère des uns, les autres fêtent l’acquisition, Dieu sait comment, de leur énième milliard!
La vraie paix est plus qu’une absence de guerre. Beaucoup de Camerounais ne sont pas en paix, fruit des injustices multiples dont ils souffrent. Là où la justice est absente la guerre est prépare. Si nous voulons éviter la guerre civile, il faut une juste appréciation, une reconnaissance et un respect des droits, du mérite de chacun. «La justice est le respect de la dignité humaine.» Elle est la liberté en action. Sommes-nous libres de dire ce qui ne va pas?
Tout homme politique doit justifier ce qu’il fait. Il doit même justifier et déclarer l’origine de ses biens. Son pouvoir vient de Dieu par la voix du peuple et pour le peuple; la politique est l’affaire du bien commun, je ne suis pas le premier ni le dernier à le dire. Or au Cameroun on est politicien pour s’enrichir, pour échapper au fisc et à la prison.
La pureté de cœur consiste à vouloir qu’une chose en ce moment au Cameroun: la paix sur la base du respect des compétences; la justice sur la base de la répétition équitable des richesses du pays pour tous. C’est le cri de mon cœur. C’est l’appel que je vous lance. Est ce là l’incitation à la guerre civile? Qui la gagnera? Personne.
Vous connaissez l’histoire du roi Balthasar de Babylone (Daniel 5) qui festoyait avec ses seigneurs et ses concubines lorsque des mots écrits en araméen apparurent sur le mur. Le roi fit immédiatement venir ses conseillers pour lire et en donner l’interprétation. Aucun des conseillers n’a su quoi dire. Balthasar appela Daniel et en se lamentant lui dit: On m’a amené les sages et les magiciens pour cette écriture et m’en faire connaitre le sens, mais ils sont incapables de le découvrir». L’écriture était en araméen, langue parlée par les juifs qui constituaient une minorité nationale importante dans l’empire babylonien. Mais aucun des sages de Babylone n’avait pris la peine d’étudier la langue, la religion et la mentalité de cette minorité. Les ennemis de Babylone, les Mèdes et les Perses, étaient déjà aux portes de la ville. La nuit même, Balthasar fut mis à mort et la vielle Babylone tomba aux mains des ennemis. Les sages de Babylone n’avaient plus de royaume. Ils n’avaient pas su l’imminence danger.
L’ignorance tragique de ces sages se répète aujourd’hui dans notre pays. D’importants dignitaires du régime auquel vous appartenez sont assez avisés pour s’assurer les bénéfices et le renom des fonctions de chef, mais ils ne savent pas ce qui arrive chez ceux qu’ils sont censés conduire vers les lendemains inconnus. Ils ne reconnaissent pas le danger imminent des injustices sociales, de la corruption et du détournement des biens communs. L’avertissement au roi Balthasar a été écrit par une main sur le mur; l’avertissement à votre gouvernement est écrit avec les larmes des Camerounais innocents, mais nos «sages» ne peuvent pas en comprendre le sens.
Source: Les deux régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre (Eclairage), pp.111-114.