Mandats présidentiels: Pour qui ? Pour faire quoi ? A quelle heure ?

Par Jean BAPTISTE SIPA | Le Messager
- 03-Jun-2005 - 08h30   51470                      
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Telle une fumée sombre qui annonce un incendie de la forêt, une voix téméraire venue de la Mvila, fief du chef de l’Etat, est montée vers le ciel ces jours derniers pour suggérer que soit abrogée la limitation constitutionnelle des mandats présidentiels.
Cette voix, authentiquement identifiée comme celle du Rdpc (section départementale) qui croit “ incarner ” la population locale, vient simplement confirmer en fait, que l’appel lancé à Douala avant la campagne électorale 2004, par le couple fétiche Foning-Owona, n’est pas tombé dans des oreilles de sourds. Ceux qui ont pris Biya en otage, et se servent de lui comme bouclier contre le peuple, veulent donc qu’il reste au pouvoir jusqu’au rendez-vous qu’il a lui-même donné aux Camerounais pour ses funérailles ! Pourtant, avant d’hériter fatalement du siège de son prédécesseur en 1982, M. Biya qui apparaît à certains comme ayant été programmé pour le pouvoir, avait déjà partagé au plus haut niveau, sinon bâti avec lui, celui quasi despotique de M. Ahidjo durant 25 ans. Allant de postes de chargé de mission à ceux de chef de cabinet… puis de ministre d’Etat secrétaire général à celui de Premier ministre chargé de la Coordination des affaires économiques. Sans pour autant jamais avoir subi les humeurs du petit peuple dans une sous-préfecture, ni discuter le budget d’un conseil municipal, et encore moins brigué un mandat de député. Son destin était donc accroché au sommet de la montagne où, comme disait J.F. Kennedy, “ seuls parviennent les aigles et les reptiles ”. S’il avait à l’époque renoncé un seul jour aux avantages de cet article 2 organique à tous les décrets présidentiels qui nomment ou promeuvent les commis de l’Etat, on pourrait le croire en mal de rappel. Encore que, même en passant par perte, et profits le premier quart de siècle du pouvoir dont il a joui en dauphin jusqu’au parricide de 1983/84, il resterait que de 1983 à 2005, M. Biya a déjà totalisé 22 ans de pouvoir suprême. Peut-être ne s’en rend-il pas tout à fait compte lui-même ; car, il n’aurait pas argumenté sa dernière campagne électorale comme s’il briguait son premier mandat… Démocratie ou monarchie héréditaire ? Vingt-et-deux ans de pouvoir comme chef d’Etat ! C’est déjà une durée intolérable dans les nations démocratiques où le mandat présidentiel dure 4 ans, 5 ans ou 7 ans renouvelable une seule fois, même quand on est aussi populaire que l’était Bill Clinton à la fin de son second mandat. En octobre 2011, le digne fils du Sud aura réalisé un record de 4 ans supérieur à celui d’Ahidjo à la tête de l’Etat. Soit un total cumulé de 54 ans d’exercice de pouvoir ! Dans un pays où l’espérance de vie du citoyen moyen est redescendu de presque 60 ans à seulement 46 ans sous son régime présidentiel. Que ce ne soit pas étrange dans un pays encore marqué par les séquelles de sa préhistoire monarchique, moi je veux bien. Encore fallait-il qu’on fût en monarchie héréditaire ; ou alors que le peuple n’ait pas été à chaque échéance électorale, amené par la ruse, la corruption ou la fraude, à accepter la confiscation de sa souveraineté ! Il y a d’ailleurs ici un choix à faire pour l’avenir, ne croyez-vous pas ? Mais, qu’à cela ne tienne, puisque certains politologues pensent que l’essentiel est moins dans la manière de gagner une élection, que dans la capacité de l’élu à comprendre que le pouvoir acquis est un mandat de service public. Et que sa légitimité est davantage avérée dans l’utilisation manifestement volontariste dudit mandat à la construction du bien-être du peuple électeur et mandant. De 1960 à 1982, Paul Biya n’était ni un élu, ni le donneur d’ordre. OK ! De 1982 à 2004, il a tenu le gouvernail sans pouvoir empêcher que le bateau Cameroun échoue dans le sable mouvant et marécageux où s’enlisent les pays pauvres très endettés. Et il me semble bien que c’est le sort de tous les navires qui voguent sans radar. Le président a apparemment acquis son mandat actuel sur la promesse que “ les choses vont changer ”. Le peuple semble avoir compris qu’il y aura changement de cap. Non seulement les premiers signes conséquents dudit changement ne sont pas encore perceptibles sept mois après, mais la gouvernance se dilue toujours plus et les indicateurs économiques annoncent l’atonie. C’est le moment que choisit le parti au pouvoir, non pour proposer un débat national sur la situation… en vue de clarifier nos “ grandes ambitions ”, leurs objectifs réels et les méthodes efficientes de leur réalisation, mais pour nous dire que leur seule prospective, et peut-être leur seule perspective, est que leur leader puisse se maintenir au pouvoir après 2011. Mais, pourquoi et pour qui ? Mépris souverain et arrogant Comment peut-on mettre en relief une telle démarche par rapport au contexte de quasi non-gouvernance que connaît le pays, sans qu’elle apparaisse comme un mépris souverain et arrogant pour les souffrances et la désespérance des Camerounais, voire pour le pays qui brade sa souveraineté, et perd sa fierté et son sérieux. Victoire d’une prédation néo-coloniale et mafieuse que l’Etat n’est plus assez fort pour endiguer, le Cameroun s’enfonce toujours plus dans la pauvreté depuis 20 ans et traîne encore aujourd’hui une dette extérieure de 6 milliards de dollars US. Soit environ 120% de ses exportations. Son taux de croissance va repasser sous la barre de 4% et sa capacité de réactiver une macroéconomie génératrice de richesse est plombée par une camisole ultra-libérale que porte joyeusement le gouvernement de M. Biya. Comme ces esclaves noirs d’Amérique qui cultivaient en chantant le coton de leur maître ! Au nom de la mondialisation et de la loi du marché que les peuples d’Europe récusent, M. Biya s’interdit (sur le dos du Fmi et de la Banque mondiale) de protéger l’embryon industriel de son pays qu’étouffent dans l’œuf la contrebande, la contrefaçon, la fraude, et surtout la concurrence déloyale des produits subventionnés d’Occident. Et ce, malgré la clause de sauvegarde prévue par l’Omc à laquelle recourt aujourd’hui l’Europe et les Etats-Unis pour combattre le textile chinois. Malgré le marché alimentaire de proximité d’environ 200 millions de consommateurs qui entoure le Cameroun (Nigeria et Cemac) et celui plus large (700 millions d’habitants) du continent, le gouvernement de M. Biya n’a pas encore pu réduire par un ajustement structurel agricole la dépendance du pays vis-à-vis des négociants occidentaux des matières premières. Ses discours enchanteurs poursuivent les investisseurs étrangers qui, à l’arrivée, sont plutôt désespérés par les freins bureaucratiques, juridiques et judiciaires qu’ils rencontrent sur le terrain. Le monde entier se scandalise devant le gâchis d’un Cameroun regorgeant de potentialités, mais dont les dirigeants font plutôt le choix permanent de l’autodestruction, se contentant de faire comme si le pouvoir dont ils disposent n’était que le droit de se servir à vie, c’est-à-dire de vider le grenier rempli par ceux qui sont partis, sans penser à le remplir pour ceux qui viendront à leur tour après eux. Alors ? ? ?




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