Mgr Samuel Kleda: Le Code Electoral est une honte au Cameroun - Le parti au pouvoir refuse l’alternance politique

Par Jacques Eric Andjick | Mutations
- 07-Jun-2012 - 08h30   51525                      
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Deux mois après le vote de ce code, et une fois les tensions retombées, l’Archevêque métropolitain de Douala donne son avis sur le nouveau code électoral et estime que, avec l’adoption de ce code, le Cameroun s’installe dans une vraie dictature.
Le 13 avril, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau code électoral. Ce texte régira l’ensemble des scrutins organisés dans le pays. Il prévoit la mise en place de la biométrie lors de l’inscription des électeurs sur les listes électorales, comme le souhaitait de longue date l’opposition. Leurs autres revendications n’ont, malheureusement, pas été entendues. Parmi celles-ci, leur hostilité à la hausse du cautionnement financier nécessaire aux candidats. Le texte prévoit en effet de multiplier par six la caution pour la présidentielle, désormais fixée à 30 millions de Francs CFA au lieu de 5 millions de F CFA précédemment, pendant que celles des députés passe de 500.000 F CFA à 3 millions de F CFA. La mise en place d’un scrutin présidentiel à deux tours, le bulletin unique ou le vote à 18 ans n’ont également pas été pris en compte. De même, le nouveau code supprime le droit pour chaque candidat de pouvoir désigner des scrutateurs pour le représenter dans les bureaux de vote. Deux mois après le vote de ce code, et une fois les tensions retombées, l’Archevêque métropolitain de Douala donne son avis sur le nouveau code électoral et estime que, avec l’adoption de ce code, le Cameroun s’installe dans une vraie dictature. Le 13 avril dernier, le Cameroun a adopté un nouveau code électoral. Qu’est-ce qu’il vous inspire? Ce nouveau code électoral n’est pas bon ; il n’a pas été conçu selon les principes démocratiques, et il ne pourra pas favoriser l’instauration d’une vraie démocratie dans notre pays ; cela est bien dommage. Beaucoup de Camerounais s’attendaient à un code qui pût obtenir l’assentiment des Camerounais ; mais il a plutôt provoqué la déception. Quels sont les manquements que vous avez décelés dans ce nouveau code? Il y en a beaucoup. Commençons par noter ceci : presque toutes les propositions faites par les partis politiques de l’opposition et la société civile ont été rejetées. On comprend pourquoi les membres de certains partis d’opposition ont refusé de participer à l’adoption du projet de loi portant code électoral. Aujourd’hui, dans un pays qui veut s’engager dans la voie de la croissance économique, le président doit être élu selon les principes démocratiques, pas un vote à un tour, ce qui existe depuis l’indépendance du pays. L’indépendance de Elecam est, dites-vous, illusoire… Tout à fait, Elecam n’est pas du tout indépendant ; il est totalement soumis au Président de la République, qui en nomme les membres : les 18 membres du Conseil Electoral, le Directeur Général et le Directeur Général Adjoint. Il peut également mettre fin à leurs fonctions en cas de défaillance et de dysfonctionnement notés, mais lesquels ne sont pas définis (Art. 44). Il est évident que le président de la République ne peut pas nommer des gens qui ne sont pas acquis à sa cause, issus de l’opposition. Elecam n’a pas d’autonomie financière. Si on veut bloquer son fonctionnement, il suffit tout simplement que le Ministère des finances ne mette pas à sa disposition les fonds nécessaires. Et même la composition d’Elecam fait sérieusement problème: il est composé du Conseil Electoral et de la Direction générale des élections. On se demande bien pourquoi ? Si ce n’est pour permettre à ceux qui veulent pécher en eaux troubles. Tantôt c’est le Conseil Electoral qui dépend de la Direction Général des élections, tantôt c’est le contraire. Si on pousse l’analyse un peu plus loin, on voit bien derrière la Direction Générale des élections le Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, sinon quel rôle peuvent jouer deux personnes, le Directeur Général et son Adjoint ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Elecam n’est pas un organe libre indépendant, capable d’organiser des élections selon des principes démocratiques. En ce qui concerne les circonscriptions locales, leur nombre est fixé par un décret du Président de la République (Art. 150) ainsi que le nombre des députés. Un silence est gardé sur les critères de ce mode de désignation. Je pourrai continuer de relever ces manquements, ces insuffisances de ce nouveau code électoral, je m’arrête là. Selon les leaders de partis d’opposition qui ont quitté l’hémicycle pendant le vote de ce code il ne recherche pas le consensus… Je ne suis pas à mon aise lorsqu’on parle de consensus à trouver au sujet du code électoral. Nous savons très bien comment on peut parvenir à un consensus, surtout dans notre pays. Cela peut refléter l’intérêt de quelques individus ou de quelques groupes. Heureusement que certains partis ne sont pas tombés dans ce piège. Les conséquences peuvent être très néfastes pour notre pays : notre pays ne sera presque jamais gouverné de manière démocratique. Il est à craindre qu’il n’y ait plus de dialogue entre les membres du parti qui gouverne et les partis d’opposition et la société civile. C’est la vraie dictature qui s’installe, et la justice sociale, on n’en parlera plus jamais. Les maux qui minent notre société camerounaise n’auront jamais de solution. Et que vous suscitent les discours autour de la lutte contre corruption au Cameroun? Depuis bien longtemps, nos dirigeants prononcent beaucoup de discours sur le phénomène de la corruption, le pillage du bien commun, des structures de lutte contre ces phénomènes ont été créées; mais rien ne change. La misère de nos populations ne fait qu’augmenter; l’inégalité entre les populations camerounaises ne fait que se creuser. Les conséquences peuvent prendre d’autres tournures : une partie des Camerounais n’acceptera plus l’injustice qui leur est faite ; pensons à tous ces gens de nos villes qui ne travaillent pas, qui vivent dans la misère totale, ils obligeront ceux qui possèdent à partager avec eux, on observe déjà d’ailleurs cela aujourd’hui. C’est une paix véritable qui peut résoudre ces problèmes. Les élections dans la majorité des grands pays démocratiques sont à deux tours. Mais le Cameroun continue de garder le système électoral à un tour. Ceci n’est-il pas un frein à l’alternance politique dans notre pays? La réponse à cette question est déjà dans la question. Justement c’est le refus de l’alternance politique que les membres du parti au pouvoir ont choisi à travers le nouveau code électoral. Toutes les structures de l’Etat du plus bas au plus haut niveau sont contrôlées par le parti au pouvoir à travers Elecam. Allez voir vous-même dans ces différentes structures: Commissions chargées des opérations préparatoires aux élections (Art. 52), commission de contrôle de l’établissement et de distribution des cartes électorales (Art. 53), commission départementale de supervision (Art.64), commission communale de supervision et commission régionale de supervision (263), voyez qui sont les membres de ces différentes commissions, et vous pouvez vous-mêmes tirer la conclusion. Le Président de la République qui reste en place et organise une élection présidentielle à un tour ne peut jamais la perdre. Dans les pays d’Afrique où les élections présidentielles sont à un tour, il y a presque toujours des troubles, des contestations, à la suite des élections. Une loi maintenant les élections à un tour traduit le refus catégorique de l’alternance politique. Cela vient garantir le mandat illimité du Président de la République, puisqu’il est rééligible (Art 116). Le Président de la République peut garder le pouvoir tant qu’il veut. Ce n’est plus de la démocratie. Le montant des cautions aux élections municipales, législatives et présidentielles augmente avec le nouveau code électoral. Quelle appréciation faites-vous de ces augmentations? Cela fait partie des moyens que les dirigeants actuels se donnent pour se maintenir au pouvoir, eux seuls sont capables de trouver facilement ces moyens financiers. Tout cela ne peut que favoriser la corruption dans notre pays. Des partis d’opposition estiment que le nouveau code électoral favorise le parti au pouvoir (Rdpc). Pensez-vous que ce parti tire profit de la nouvelle loi électorale? Je ne sais pas si cette question mérite d’être posée. Ce nouveau code électoral a été taillé sur mesure par le parti au pouvoir et pour le parti au pouvoir. Ce sont les députés du Rdpc qui l’ont voté, c’est le même parti qui envoie dans toutes les régions du pays des délégations pour expliquer ce code; c’est leur code. Pourquoi les Camerounais n’ont-ils pas été consultés avant? On se moque quelque peu des Camerounais. Quelle honte et quelle misère! Comment jugez-vous le paysage politique camerounais, avec une mosaïque de formations politiques qui n’ont jamais brigué le suffrage universel ? Il y a quelque chose qui explique le grand nombre de formations politiques dans notre pays, c’est la mauvaise compréhension de la vie politique de la part des Camerounais; bien des gens créent des partis pour se faire un nom, pas toujours dans le but de participer à l’organisation et à la construction du pays. Je me demande bien aussi si certains chefs de parti ne créent pas leur mouvement politique sur demande pour détruire d’autres partis d’opposition plus influents. Quel rôle peut jouer les responsables religieux dans le processus électoral au Cameroun? Il faut comprendre que les responsables religieux sont des citoyens à part entière qui aiment leur pays. A ce titre, ils sont appelés à se prononcer sur l’organisation et la gestion de leur pays. Ils ont à intervenir par la proclamation de l’Evangile, qui est un message de paix, de justice, d’amour, de réconciliation. Ils ont à dénoncer tout pouvoir qui n’œuvre pas pour le bien-être des citoyens. Dans le cas du processus électoral au Cameroun, nous les évêques, nous avons souvent donné des propositions en ce qui concerne la loi électorale, mais qui ont toujours malheureusement été rejetées. Cela ne nous empêchera pas de continuer d’enseigner. Lors de notre dernière Assemblée Plénière à Yaoundé, nous avons pris acte de la promulgation du nouveau code électoral, et nous avons décidé de donner notre position le concernant. Une analyse serrée de ce code donnera donc notre position. Ce travail est en train d’être fait.




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