Une conférence-débat entre signataires et non signataires de la récente motion au président de la République a viré au procès du système en place vendredi dernier; L’argumentaire de Fame Ndongo et ses co-signataires a suscité le tollé de l’assistance à l’amphi 700 du campus de Ngoa-Ekellé.
Motion de soutien: Paul Biya conspué à l’université
Une conférence-débat organisée sur la question vendredi dernier à Ngoa-Ekellé a tourné au procès contre le régime en place.
Il faut certainement remonté à des temps lointains dans les annales de l’université de Yaoundé I pour retrouver une telle affluence à l’amphithéâtre 700. Etudiants, journalistes, universitaires, hommes politiques, c’est une véritable faune humaine qui pris d’assaut cet espace académique vendredi dernier dès 14h. A telle enseigne que 15 minutes après le début de la conférence-débat vers 15h, les nombreux retardataires seront réduits à la station debout, faute de places assises.
Avant le début des «hostilités», les deux modérateurs, Innocent Futcha et Morine Ebanga-Tany, tous deux enseignants d’université, briseront le chahut des pronostics qui a littéralement gagné l’amphi. Le recteur Oumarou Bouba se pourlèchera pratiquement les babines, fier d’accueillir ces agapes intellectuelles. Alain Fogué Tedom, le directeur du centre d’études stratégiques pour la promotion de la paix et du développement, organisateur de l’évènement, en rajoutera une louche.
Claude Abé, enseignant à l’université catholique, est appelé à porter la première estocade contre les non signataires. Le sociologue déroule des arguments qui emportent l’adhésion de l’assistance. En témoignent le tonnerre d’applaudissements qui sanctionne son propos. Puis arrive Owona Nguini. Le débit paresseux de cet universitaire très médiatique se transforme rapidement en harangue au point où à la fin, l’enseignant entre dans une totale osmose avec le public. Surtout lorsqu’il scande que «le temps de pharaon est terminé».
Mais avant d’entrer dans le vif sujet, Owona Nguini remettra en cause l’ordonnancement des interventions, pour le moins suspect. Ainsi, Xavier Messè ne prendra la parole qu’après le passage de Joseph Vincent Ntuda Ebodé et Jacques Fame Ndongo. Sentant la température montée, le ministre de l’Enseignement supérieur tombe la veste, arrachant les youyous de la foule. Dans sa communication, il puise dans la culture gréco-romaine pour porter la réplique aux non signataires. Il cite une foultitude d’intellectuels français qui ont pris par le passé position pour tel ou tel champion. Il qualifie la motion de «genre littéraire», de technique de communication et de preuve d’engagement politique. L’éloquence et l’érudition du ministre ne le placent pas pour autant en tête à l’applaudimètre. Vincent Ntuda Ebodé monte au créneau, à son tour. Il «tombe le masque» en insinuant un «calcul politique» derrière la motion des universitaires. Le public marque son dédain devant cette posture. Xavier Messè, qui argumente sur la «manipulation» heurte de front Jacques Fame Ndongo lorsqu’il évoque ces intellectuels qui déclarent qu’ils sont «des esclaves et des créatures de Paul Biya».
Owona Nguini-Fame Ndongo
Le visage buriné, le ministre demande une motion d’ordre. Il rappelle que le débat porte sur un objet scientifique et non sur un sujet. «Nous avons aussi des arguments pour donner des coups sous la ceinture», déclame-t-il. Dans l’élan de rejet systématique des arguments des signataires des motions de soutien, les exposés de Mabou Mabou et Rachel Bidja Ava sont noyés par le brouhaha ambiant. «Elle a donné la honte à la chèvre», hurle un étudiant. Un autre de dégainer: «espèce d’intellectuel du ventre». Jusqu’à la phase des questions et observations du public, la foule en délire s’acharnera à conspuer tout argument allant dans le sens du bilan du chef de l’Etat sortant ou de sa longévité au pouvoir. D’aucuns iront jusqu’à comparer le ministre Fame Ndongo à Charles Blé Goudé [leader des Jeunes Patriotes pro-Gbagbo], compte tenu de son obsession à défendre Paul Biya.
Cependant, le chancelier des ordres académiques ira puiser jusque dans ses tripes pour confondre ses adversaires. Mais le K.O n’était pas bien loin : sur les origines des motions de soutien, le ministre cite la Grèce antique puis, acculé, il évoque le sage Dogon Ogotomeli. Owona Nguini prend le contre-pied de Fame Ndongo en inscrivant la motion de soutien dans la mythologie égyptienne. Le grand sémioticien accuse le coup. Le politologue, quant à lui, sera porté en triomphe à la fin de la conférence par des dizaines d’étudiants.
Argumentation: Chassé-croisé magistral
Les deux camps ont défendu leurs positions, même si au final les signataires de la motion ont recueilli peu de suffrages.
Imposture, manipulation, terrorisme intellectuel. Ces mots sont revenus à plusieurs reprises dans l’argumentaire des universitaires non signataires de la motion de soutien à Paul Biya. Selon Claude Abé, l’universitaire a pour vocation de produire et disséminer des connaissances devant concourir à la transformation qualitative de la société. Pour cela, il est le phare de la société et non un agent de reproduction de ce que la société fait mal.
Le sociologue voit en outre dans la signature des motions de soutien par les grands maîtres un risque de transformer l’université en un champ de bataille. Il signale également «une démarche d’usurpation d’un mandat sans consultation à la base». Bien que concédant la possibilité aux universitaires de prendre position en tant qu’individus, Claude Abé notera plus loin la chasse aux postes qui sous-tend leur initiative, laquelle confine selon lui à la trahison. De son point de vue, l’usage des expressions telles que «soutien sans faille» au chef de l’Etat est la preuve que ces intellectuels se sont soustraits du sens de la réserve et de l’esprit critique chevillés à leurs missions.
Owona Nguini dénoncera pour sa part «l’enrégimentation et la captation de l’institution universitaire au profit d’un champion». Pour l’enseignant de sciences politiques, le débat sur les motions de soutien est politique et non scientifique.
Pharaon
Pour lui, la motion des universitaires vise à reproduire la traditionnelle soumission de l’universitaire au pouvoir, du scribe au Prince. Sur cette lancée, il indique que cette pratique a fait florès dans l’Egypte ancienne où une stèle avait été érigée en l’honneur du Pharaon Ramsès II. Mais, il s’empresse de préciser que le temps de Pharaon est terminé. «A ceux qui ne comprennent pas, les puissants de ce monde s’en chargeront. Qui vivra verra !», indiquera-t-il. D’après Owona Nguini, les universitaires signataires pêchent davantage dans leur démarche du fait qu’ils perdent de vue que le Conseil national de l’Enseignement supérieur, instance de réflexion sur le rôle social de cet ordre d’enseignement, a tenu sa dernière session en… octobre 1982. Il soutient qu’un intellectuel qui a pour références Karl Marx, Max Weber, Mongo, Béti, Eboussi Boulaga ou Jean Marc Ela ne pouvait signer cette motion.
Selon Fame Ndongo, la motion de soutien des universités d’Etat ne participe ni de l’imposture, ni de la flagornerie, ni du banditisme intellectuel, ni de l’opportunisme. Mais de l’exercice des libertés individuelles. Avant les universitaires camerounais, Malraux, Molière, Jean Pierre Sartre, Raymond Aaron avaient exprimé leurs positions politiques. La motion de soutien est dans son essence quelque chose de scientifique. Elle a une architecture esthétique et est constituée à partir de la rhétorique gréco-romaine.
Les enseignants qui n’ont pas signé, souligne-t-il, ne s’exposent pas aux représailles. Pour Vincent Ntuda Ebodé, la signature d’une motion de soutien est un comportement rationnel. «On calcule le pour et le contre. Vaut mieux signer que de ne pas le faire. Ne pas prendre position, c’est prendre position», affirme-t-il. Xavier Messè, quant à lui, déplore une manipulation des universitaires et un «contingentement grégaire». Mabou adosse sa signature sur «l’exercice de sa citoyenneté» pendant que Rachel Bidja avance qu’ «il vaut mieux prendre parti pour celui dont le programme politique est connu que pour des gens en qui on croyait, mais qui ont fait quatre pas en arrière».
G.A.B
Engagement: Les signatures des grands maîtres font foi
L’historique des motions de soutien aux leaders politiques remonte à très loin, avec quelques surprises.
Dans son édition du 4 mai 1993 sous la plume de l’historien d’heureuse mémoire Wang Sone, le journal Le Messager, pas encore quotidien, dressait la chronologie des rencontres malheureuses entre le pouvoir politique et son université au travers des motions de soutien. Une chronique restée dans la mémoire des lecteurs par son caractère fouillé et le degré d’assujettissement de l’intelligentsia camerounaise aux différents présidents de la république exhalé par cette chronique.
A l’en croire, tout commence avec la première séance du Conseil de l’enseignement supérieur tenu en 1974. Rendez-vous à l’issue duquel les enseignants de l’unique université du Cameroun d’alors, par la voix du doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines Francis Mbassi-Manga, adressèrent une motion de soutien à Ahmadou Ahidjo dans laquelle ils promettaient une conformité sans faille aux directives du parti unique. Quelques semaines plus loin –le 26 janvier 1975- leurs idées allaient être clairement exprimées avec la demande expresse signée de 162 enseignants de la même institution au président de se représenter.
Allait ainsi commencer un compagnonnage malsain entre les deux parties, avec notamment ce clou du 11 février 1977 où l’amphi 700 pour saluer la désignation du président Ahidjo comme tout premier lauréat du doctorat Honoris Causa de l’Université. Avec l’arrivée du président Biya, les choses ne vont guère changer. C’est ainsi que le 22 juin 1987, les étudiants rejoignent les rangs de leurs maîtres avec une motion de soutien adressée à ce dernier à l’initiative du président de la jeunesse du parti unique dans la ville de Yaoundé.
La motion est doublée d’un franc symbolique, modeste contribution de la brigade universitaire du parti unique dans la lutte contre la crise. En 1989, les rédacteurs des motions passent à l’acte en organisant une marche en direction de la présidence. En 1990, une autre motion monte de l’arrière-pays, du Centre universitaire de Dschang, pour célébrer le «guide providentiel».
Au plus fort de la contestation du régime Biya au lendemain de la promulgation des lois sur les libertés, des universitaires, sans doute alléchés par une victoire prochaine de leur poulain, allaient rédiger une motion de soutien, cette fois adressée … au candidat de l’opposition Ni John Fru Ndi. Qui compte alors parmi ses thuriféraires des intellectuels de haut vol comme Mongo Béti, Charly Gabriel Mbock ou Eboussi Boulaga.
L’issue du scrutin a-t-il découragé les initiateurs de ces motions ? Toujours est-il qu’en 1997, on ne sentira pas beaucoup les «intellos». Qui reviendront cependant en 2004 pour cette fois appeler le président sortant à se représenter. François-Xavier Etoa, l’un des signataires, allait, devant le chahut qui s’ensuivit, expliquer l’initiative chez les confrères de Cameroon tribune en ces termes : «J’ai signé cet appel parce que j’ai trouvé son fondement justifié».
Puis viendra donc 2010 et cet appel publié dans son édition du 18 août par les universitaires et dont on est loin d’avoir fini de parler. Tant une autre s’est invitée en avril dernier, appelant sûrement d’autres et que certains signataires continuent d’entretenir un mystère douteux sur leur participation à cette nouvelle écriture.
Wamba Sop